Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Le procès de l'"éleveuse-tueuse" sous protection judiciaire
Publié le 04 Septembre 2018 à 07h38
La décision a été mise en délibéré au 10 septembre.
A la première audition elle a juste dit qu’elle avait peur du chien, et elle a parlé de la relation fusionnelle que son compagnon entretenait avec lui. A la deuxième audition elle a avoué : c’est elle qui a fini par incendier le chien, au départ elle voulait juste « qu’il parte », mais voilà. « C’est quand j’ai vu le brasier que j’ai réalisé ce que j’avais fait. » Le chien se roulait au sol, il a étouffé les flammes lui-même mais il décèdera des suites de ses blessures. Harcelée, insultée, et menacée par messages et sur les réseaux sociaux, cette femme de 38 ans, plusieurs fois récompensée pour ses succès en agility*, comparaît libre et sous protection policière.
Les faits, en deux temps
Marie Gicquaud, substitut du procureur, résumera les faits. Ils se déroulent en 2 temps : le 9 août, la femme détache le chien. Son maître n’est pas là, et avec un peu de chance il se sauvera. « Je voulais qu’il parte », répète-t-elle à la barre, d’une voix étranglée. Mais le 10 août, elle retrouve Fudji empêtré dans des maïs sur le champ à côté de la maison, à Sagy. Elle dit qu’il a grogné, retroussé les babines. Elle fait demi-tour, rentre dans la maison, se saisit d’une bouteille d’alcool à brûler et d’allumettes et retourne vers le chien. Elle l’asperge du liquide, elle craque plusieurs allumettes, le vent en éteignait la flamme, et puis le feu a pris, d’un coup, et le chien a hurlé.
« J’avais essayé d’établir une relation avec lui, mais ça n’a pas marché »
La femme qui comparaît a le visage du malheur : elle a commis un acte dont elle mesure aujourd’hui la cruauté sur ce chien qui lui pourrissait la vie, sur ce chien qui était en même temps l’outil de travail de son compagnon, agent de sécurité. « J’avais essayé d’établir une relation avec lui, par le jeu, par la récompense, mais ça n’a pas marché. » Le maître du chien avait même éloigné l’animal, conscient de sa jalousie envers sa compagne, mais il avait dû le récupérer, pendant l’été, et la tragédie s’est accomplie. Le couple a un enfant, âgé d’un an, l’enfant a été placé une semaine après les faits, le jour même où l’on est venu saisir les chiens qui restaient. Qui peut mesurer l’impact de tout cela sur ces gens ?
Elle s’occupait bien de ses chiens
Le compagnon a gardé une position loyale vis-à-vis de cette femme qu’il aime depuis 2 ans, avec laquelle il avait choisi de s’engager dans une vie commune. A la barre, il se démarque de la marée de boue et de fadaises qui ne cesse de vouloir tout engloutir. Situation du couple : compliquée, à de nombreux égards, et pourtant il vient dire aux juges qu’elle s’occupait bien de ses chiens. Elle était éleveuse dérogatoire, une portée autorisée par an, mais cela faisait 15 ans qu’elle concourait en agility, *activité éducative et sportive pour les chiens, qui exige, plaidera maître Anne-Charlotte Charrier pour sa cliente, « une cohésion entre le chien et son maître, elle était reconnue par ce milieu, elle aime les animaux ». Elle aime les animaux, alors pourquoi ? Pourquoi avoir commis ce geste irréparable ?
Les fondations et associations de défense des animaux veulent faire évoluer la législation
Sept avocats vont plaider en parties civiles, sept : maître Terrin pour le maître de Fudji et pour l’association les Cha’malloos qui s’occupe des chiens qui ont été retirés à la prévenue. Maître Delmas pour la fondation Brigitte Bardot, maître Destruel pour l’association Stéphane Lamart, maître Bailly pour la SPA nationale, maître Schmid pour la fondation Assistance aux animaux, la fondation 30 millions d’amis, et l’association Les amis des bêtes, mais aussi maître Ravat-Sandre, bâtonnier du barreau de Chalon, pour la SPA de Châtenoy-le-Royal, et maître Symniacos pour l’association Animal Cross. La présidente de la confédération nationale de défense de l’animal vient également se constituer partie civile, c’est dire à quel point ce couple ou cet ex-couple, est dépassé par ce qu’il vit. Alors pourquoi ?
« La jalousie du chien est avérée, et on peut supposer qu’elle (la prévenue) l’était aussi »
L’instruction menée par la présidente Jeanne Delatronchette puis les plaidoiries, ainsi que les réquisitions, vont dessiner un contexte singulier : « Une relation particulière, développe maître Ravat-Sandre, un couple et un chien au milieu. La jalousie du chien est avérée, et on peut supposer qu’elle (la prévenue) l’était aussi. Dans les SPA, on prévient bien les gens que des réactions de jalousie sont toujours possibles à l’arrivée d’un conjoint, d’un enfant… Elle a dit ‘à un moment, j’ai la haine’ : on est dans l’excès, qui a mené à ce geste terrible, et le chien a souffert. » La substitut du procureur ne dira pas autre chose : « Ce chien a fait les frais de cette relation de couple qui n’était pas sereine. Madame tient des propos qui interrogent sur la place qu’elle fait aux animaux dans sa vie, elle est excessive dans un sens comme dans l’autre. » Elle requiert 18 mois de prison, dont 9 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 3 ans, avec l’interdiction de détenir et de s’occuper d’animaux pendant cette période. Des soins, la poursuite des soins plutôt, puisque « madame en a engagé volontairement ».
« Sur le moment, la haine de l’incompréhension d’un chien qui a voulu me faire du mal »
« Je suis allé la voir pour la soutenir moralement, à l’hôpital, plusieurs fois, deux à trois fois par semaine. Je l’ai aussi conduite chez son avocate, et à Sevrey », a dit sincèrement et honnêtement le maître du chien mais aussi compagnon de la prévenue, à la barre. Celle-ci a été hospitalisée à sa demande. Elle avait fait une tentative de suicide en novembre, « un appel au secours, dit encore son compagnon, c’est mon plus grand regret : avoir demandé qu’elle rentre rapidement alors qu’elle avait besoin de soins. » Elle dit : « J’ai eu un coup de folie, un ras le bol, et, sur le moment, la haine de l’incompréhension d’un chien qui a voulu me faire du mal (la voix de la femme au visage rougi et saturé de larmes s’étrangle), alors que j’ai essayé de l’intégrer comme je le pouvais. » Maître Charrier, non sans tacler avec élégance sa consœur la plus virulente va boucler la boucle : « Ils n’ont pas su expliquer au chien, lui faire comprendre quelle place serait la sienne dans ce remaniement des relations. »
Le visage du malheur a encore lâché : « Je juge mon geste, à l’heure actuelle, il était cruel. Je regretterai toujours, il est impardonnable. » La décision est mise en délibéré au 10 septembre. La BAC se place devant la prévenue le temps que la foule quitte la salle : les menaces ont porté des fruits, cette autre scène a occupé tout l’après-midi.
Pendant ce temps-là… sur une autre scène
On l’aura compris, les mouvements de l’opinion publique ont dessaisi les acteurs de ce tragique fait divers de leur histoire, du moins elle essaie. D’un côté on trouve des associations qui militent pour faire évoluer la législation relative aux droits des animaux, et de l’autre, mais avec une limite parfois trouble, se déverse une forme d’hystérie : les gens projettent leurs fantasmes sans le moindre égard (la logique du fantasme le veut) pour les personnes, pour les réalités, et encore moins, si cela est possible, pour la justice. Les appels à la vengeance ont été entendus : renforts policiers, dispositif de sécurité.
Le chef du Parquet fait une allocution au public (la salle est pleine, les autres attendent sur les marches du palais) avant l’arrivée du tribunal. Le commissaire de police Bertrand Pic, en tenue, se tient au fond de la dite-salle. Les mots et les signes sont très clairs, mais la foule n’en a cure. « Le lynchage public n’est pas acceptable dans une société de droit, dira la substitut du procureur, Marie Gicquaud. Les menaces de mort et les insultes sont indignes. Ceux qui se comportent de la sorte méritent eux aussi de comparaître, ils seront identifiés. » « Il y en a beaucoup ! » ricane la salle. La présidente intervient pour rétablir le calme.
Des comptes Facebook alimentés pendant l’audience, de la salle
Dans ce contexte, la plaidoirie de maître Terrin, pour le maître du chien et in fine le chien lui-même, ne fait rien pour apaiser les esprits. Elle plaide la terreur de la vie à la douleur sans cesse relancée : « On va demander la garde exclusive du petit, on est très inquiets » (la prévenue a deux autres enfants, qui furent placés, « mais ce n’est pas le fond du débat aujourd’hui » recadre la présidente), et trouve un jugement, davantage qu’une explication, à la hauteur des temps anciens auxquels l’image de l’immolation peut renvoyer : « La barbarie, elle la porte en elle. » Une partie du public y trouve son compte : certains profils Facebook sont alimentés pendant l’audience, et la loyauté du compagnon de la prévenue reçoit elle aussi son injection de poison : « Fudji avait une plus grosse paire de c****** que son gavalo de pov mari ! Parce que lui aussi, dans le genre burne molle… pppffff… ».
« Un chien, c’est une source d’affection énorme, et la création de lien social »
Maître Charrier a abordé le cœur du problème, du moins celui qui rassemble tout ce monde autour de ce couple perdu d’abord dans son propre enfer, celui de vies affectives qui n’ont pas les moyens de trouver leur équilibre, puis dans celui, brûlant d’un autre feu dont les morsures, n’en doutant pas, peuvent être létales, et du reste, le veulent, le revendiquent, le clament, l’invoquent, celui d’une morale haineuse qui veut que « moi, jamais je ne ferais une chose pareille ». Haineuse, mais à la vue courte. Maître Charrier, donc, pointe le noyau dur qui a tissé la trame de ce tragique épisode : « Elle porte un amour inconditionnel à ses chiens. Un chien, un animal de compagnie, c’est une source d’affection énorme, et la création de lien social. » C’est ainsi que la prévenue a trouvé à consolider son abord si difficile de l’existence. Et puis un chien, c’est un être « sensible, innocent de tout ! » lance maître Terrin. Nous y voilà : c’est l’innocence qu’on a tué, et quel pire crime que de tuer l’innocence, du moins l’idée qu’on s’en fait ? Et comme un chien, ça ne parle pas, en dépit de tout ce que ça peut manifester, eh bien on parle pour lui.
D’un certain point de vue, les personnes qui se déchaînent sont plus proches de la prévenue qu’elles ne sauraient l’imaginer
Vu ce qu’on lit et entend, il n’est pas dit qu’un chien serait bien fier de servir de vecteur à tant de haine avec l’amour pour alibi. Pourtant, tous ceux qui ne sauraient supporter leurs existences sans être accompagnés de leurs chiens (cela ne concerne pas tous les propriétaires de chiens) le savent : quand sa propre part d’humanité a été abîmée au point que seul un chien peut venir lui donner un écho, avec la part de fidélité et de tendresse reconnaissante qui l’accompagnent, le chien est investi de tout, il est indispensable, il est vital. De ce point de vue on mesure les blessures, les détresses, les attentes déçues qui ont trouvé apaisement dans le lien avec des animaux, cette forme d’attachement unique. Cela rend toutes ces personnes qui se déchaînent bien plus proches qu’elles ne sauraient l’imaginer de cette prévenue fragile au visage nu qui n’a plus supporté la hargne de ce berger allemand contre elle, « je me disais, ça va être lui ou moi, à force ».
Florence Saint-Arroman
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