Chalon sur Saône
Les Pinette, saga d’une grande famille d’industriels à Chalon-sur-Saône
Par Nathalie DUNAND
Publié le 07 Novembre 2019 à 17h00
Ex-conservateur en chef du patrimoine, Mathieu Pinette a opéré un retour aux racines chalonnaises de sa famille. Depuis 13 ans, il consacre son temps et son savoir au château de Germolles, demeure qui appartient à sa famille depuis un siècle et demi. Pour Info-chalon, il retrace l’histoire de sa lignée, dont le nom est lié à l’essor économique de Chalon.
Le 27 juin 2017, Info-chalon faisait paraître un article sur l’entreprise PEI (Pinette Emidecau Industries) en soulignant : « C’est sans doute l’une des plus vieilles histoires industrielles chalonnaises que celle de l’entreprise Pinette Emidecau Industries, située sur SaôneOr, juste en face de Leclerc Nord. » Aujourd’hui, c’est à la genèse de cette entreprise que nous vous invitons, afin d’en comprendre les racines et le déploiement.
Chalon et la famille Pinette : quelles traces ?
N’oublions pas que la ville était ouvrière et rurale à l’origine. Si Chalon est aujourd’hui la 2e ville de Bourgogne grâce à son industrie, elle le doit en partie à la famille Pinette, dont le nom reste gravé dans notre ville. Trois lieux sont identifiables de l’empreinte de la famille : la rue Pinette, la résidence Pinette (rue Philibert-Guide) et l’usine actuelle Pinette et Emidecau Industries. Quant à la première usine Pinette et ses cheminées, il ne reste hélas que quelques résidences.
Le fondateur, Gustave Pinette (1840-1923) : une réussite fulgurante
Ce qui est édifiant dans l’histoire de cette lignée d’industriels, c’est l’origine modeste de son fondateur : Gustave est fils de boulangers de Saint-Léger-sur-Dheune, une famille de simples commerçants. Très tôt, il s’intéresse à la mécanique et décide, à 20 ans, de faire le tour de France dans la chaudronnerie. Trois ans plus tard, en 1863, il achète à Chalon un atelier à un certain M. Thurillet. Ce sera le premier site de son entreprise Thurillet & Pinette, située quai Michelet, au bord du canal, dans une arrière-cour où l’on peut encore admirer une ancienne tour.
À partir de cette date, l’entreprise se spécialise dans la fabrication et la réparation de machines industrielles, essentiellement pour les mines et les tuileries de la région (extraction du charbon minier au Creusot, métallurgie de Montceau). Et elle va connaître une expansion fulgurante : en 2 ans (1865) elle compte déjà 30 ouvriers et en 1900, 300 ouvriers ! Qu’est-ce qui peut expliquer cette prospérité ? Nous sommes alors en pleine révolution industrielle (développement du chauffage, des arts ménagers entre autres) et la condition des ouvriers est, disons-le, aliénante : ils travaillent 75 heures par semaine (puis 60 heures début XXe siècle), 7 j/7, le seul repos étant le dimanche après-midi. En 1878, Gustave Pinette est un chef d’entreprise installé dans la vie, comme en témoigne la peinture réalisée par Pierre Boulicaut (ne pas confondre avec Boucicaut), un peintre chalonnais reconnu à l’époque.
Dans les années 1880-1885, les nouveaux établissements Pinette sont transférés plus au nord du canal, donnant sur l’actuelle rue Jean Moulin. La construction de l’usine inclut, à l’entrée, la résidence des propriétaires dans laquelle s’installent Gustave, son épouse Irma Meugnier-Pinette et leurs enfants. Plus tard sera construite la propriété du gendre, M. Graillot. La seconde entrée de l’usine, rue Philibert-Guide, est signalée par deux pavillons – qui se trouvaient auparavant place de l’Obélisque et que Gustave Pinette a rachetés.
L’évergétisme : les bienfaiteurs de Chalon
Nous évoquions les conditions de vie laborieuses des ouvriers à cette époque, aussi est-il juste de rappeler la position morale des chefs d’entreprises. « Toute famille de notables se devait de faire profiter la collectivité de sa richesse, c’était une sorte de mécénat des notables envers leur ville, explique Mathieu Pinette. Cette tradition était alors profondément ancrée dans toutes les grandes familles de province. Son origine prend sa source dans l’évergétisme de l’Antiquité. S’inscrire dans la vie sociale en "faisant le bien” était à la fois une obligation morale et une volonté profonde. » La famille Pinette a toujours respecté cette tradition. Mathieu se souvient de sa grand-mère qui versait régulièrement des sommes d’argent destinées aux bourses des apprentis dans l’industrie. La famille Thévenin, également, a redistribué une grande partie de sa fortune pour l’aménagement de l’eau courante à Chalon. La fontaine Thévenin est un hommage rendu à ces bienfaiteurs.
Servir sa ville, faire profiter ses concitoyens de sa richesse : une attitude morale manifestement disparue ? Il y a là matière à réfléchir…
Un esprit curieux : Paul Pinette (1865-1932)
En 1887, à l’âge de 22 ans, le fils de Gustave devient chef d’industrie. Il partage la responsabilité de l’usine avec ses deux beaux-frères, Daniel Graillot et Pierre Nugue.
« J’aime beaucoup cet aïeul, confie Mathieu Pinette, il s’intéressait à beaucoup de choses, il était curieux de tout et dans des domaines très variés. » En effet, Paul Pinette est avide d’expériences nouvelles. Et il va diversifier l’industrie, comme en témoignent les machines conservées dans les musées de Blanzy, Ciry-le-Noble ou Ambert. Il se tourne également vers les domaines social et sanitaire et fut actif au sein de La Croix rouge comme dans la lutte contre la tuberculose.
« Gustave II » [1897-1966] et le renouveau de la presse hydraulique
Le grand-père de Mathieu, Gustave Pinette est le patron de la 3e génération. Il va devoir affronter une période difficile qui débute en 1936 : la crise économique sévit, l’entreprise Pinette s’essouffle. Il devient nécessaire de se diversifier. Pour cela, « Gustave II » va racheter les archives de la maison Galland — entreprise concurrente qui ferme ses portes — précisément parce que cette entreprise avait une direction différente. Des plans et croquis qu’il acquiert ainsi va naître une nouvelle branche d’activité : la presse hydraulique, qui devient dès lors la spécialité Pinette.
C’est dans les années 1960 que l’ancienne usine de la rue Jean Moulin sera détruite. « On peut regretter que ses cheminées soient perdues pour le patrimoine industriel, mais on doit comprendre la décision du maire de l’époque, Roger Lagrange, qui a d’ailleurs beaucoup fait pour sa ville. En effaçant les traces de ses anciennes activités, il souhaitait tirer Chalon vers la modernité et booster son économie » commente l’ex-conservateur du patrimoine.
Gérard Pinette : l’entreprise à l’international
Gustave Pinette décèdera en 1966 dans un accident de voiture, à 69 ans. C’est son fils Gérard qui en devient le président, après avoir exercé différentes responsabilités dans l’usine.
1963 est une date gravée dans la mémoire de la famille : c’est le centenaire des établissements Pinette. De l’arrière-cour quai Michelet à l’usine de l’actuelle rue Jean Moulin, un siècle s’est écoulé, témoin d’une expansion industrielle pour le moins spectaculaire.
L’entreprise Pinette en est à sa 4e génération – Gérard est le père de Mathieu. En 1967 débute la construction des nouveaux établissements Pinette, en face de l’actuel hypermarché Leclerc. Gérard Pinette accompagne le développement de la fabrication de presses hydrauliques. Les 250 ouvriers spécialisés dans la mécanique de précision doivent maîtriser une expertise sans faille. Les exportations se multiplient : l’Inde, la Turquie, l’URSS, le Brésil… elles représentent 50 % du chiffre d’affaires. Les machines industrielles Pinette sont de renommée internationale.
Une nouvelle date noire survient, qui affecte grandement l’entreprise : 1978, la révolution en Iran. Quatre ans plus tard, Gérard Pinette se retire de l’entreprise, qui conserve le nom « Pinette », indissociablement lié à l’excellence des presses hydrauliques.
L’esprit de la famille Pinette
Qu’en est-il des relations entre le président et ses employés ? « Mon père [Gérard] ne s’est jamais vu comme un chef d’entreprise, confie Mathieu, mais plutôt comme un ”ouvrier amélioré”. Cela tient sans doute à nos origines modestes. Je me souviens qu’il existait une proximité sincère et allant de soi entre mon père et ses employés. Chaque année, il y avait l’arbre de Noël de l’usine pour l’ensemble du personnel. Un monceau de cadeaux pour les enfants recouvrait la table, nous étions éblouis. Nous habitions sur place et, étant enfant, l’usine était notre terrain de jeu. J’ai de bons souvenirs de cette époque, toujours liés à ces odeurs particulières de métal… »
« Nous avons conservé un esprit assez rural finalement, en tout cas très éloigné de l’esprit de la bourgeoisie chalonnaise. Ma grand-mère, Madeleine Roy-Pinette, avait en horreur cet esprit bourgeois. C’est elle qui, dès 1970, a souhaité ouvrir le château de Germolles au public.
Le château de Germolles a été la deuxième maison familiale de Gérard et sa famille, et c’est Mathieu qui depuis 13 ans assure sa sauvegarde en lui consacrant son temps et ses connaissances. Nous espérons vous parler de cette demeure dans un prochain article.
Par Nathalie DUNAND
Nous tenons à remercier M. Mathieu Pinette pour les visuels qu’il a partagés avec Info-Chalon
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