Saône et Loire
La justice restaurative, un espace de dialogue qui comble un manque important
Publié le 22 Novembre 2019 à 12h34
« La justice restaurative vient en complément de la justice pénale », « c’est aussi un mode de résolution des conflits », « on offre aux personnes un espace de parole où les intéressés vont échanger sur les répercussions des faits », « l’objectif : cheminer vers un apaisement ». Cette semaine, le SPIP 71 recevait Robert Cario, criminologue réputé et père de la justice restaurative en France, ainsi que Philippe Pottier, ancien directeur de l’ENAP(1), compère et co-padre de cette mesure en développement.
Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation est un pilier porteur du système judiciaire français. Son personnel assure des missions essentielles à la bonne marche de la justice, comme le suivi des peines, le travail d’accompagnement des personnes condamnées vers leur réinsertion sociale, dont le but principal est d’éviter la récidive. A ces fins le SPIP est une administration qui ne cesse de travailler à ses propres outils, sur bien des fronts. Alexandrine Borgeaud, directrice du SPIP 71, a organisé dans les locaux situés à Chalon, une formation à la justice restaurative destinée à des partenaires du SPIP, « nous ne pouvons pas prévenir seuls la récidive, nous avons un maillage important d’institutions et d’associations partenaires, et nous travaillons beaucoup avec la dynamique de groupe. »
Les principes fondateurs de la justice restaurative sont aussi simples que de l’eau vive
Ce jeudi 21 novembre, la formation s’est close sur la projection d’un film, avec l’association La Bobine, à l’Axel. Les professionnels se mêlaient au non-professionnels et pour au moins un soir, ils ont fait communauté. Les principes fondateurs de la justice restaurative sont aussi simples que de l’eau vive ou que du bon pain. Vivre en société, c’est vivre en communauté, et ce, même si les pratiques d’orientations sociales tirent du côté de l’individualisme et de la fraction. Du reste la France reste un pays dans lequel le tissu associatif est dense : tout le monde ne se résout pas au « chacun pour soi ». Et puis vivre, c’est communiquer. « Une colère qui n’est pas accueillie est une colère qui continue à monter, explique Robert Cario. Cela vaut pour toutes les autres émotions : les mettre en partage, se voir accueilli avec ce qu’on éprouve, c’est aller vers l’apaisement. »
La justice restaurative : pour les victimes aussi, toujours
« On redécouvre des pratiques ancestrales : celles des coutumes qui prennent en charge les conflits par la parole, en groupe. » La loi du 15 août 2014, dite loi Taubira, a inscrit la justice restaurative dans les textes, dans les dispositions visant à « assurer le prononcé de peines efficaces et adaptées ». La justice restaurative inclut toujours les victimes. Auteurs, et victimes, ensemble, pour confronter les passages à l’acte et leurs effets (condamnation pour les uns, difficultés de toutes sortes pour les autres). « Les répercussions du crime ne sont qu’exceptionnellement envisagées », la justice restaurative permet, dans un cadre sécurisé, d’aborder toutes les questions, et si elle n’est pas a priori focalisée sur la lutte contre la récidive, elle conduit en fait à la réduire significativement.
Un regard sur l’être humain et ses besoins fondamentaux
Des esprits chagrins, ou acerbes, ne manqueront pas d’ironiser qu’il ne manquerait plus que ça, d’aller parler avec un délinquant, voire un criminel, et puis quoi encore ? Eh bien tout est une question de point de vue sur l’être humain : soit nous le sommes tous, avec une visée sociale riche de ses interactions et soucieuse de réparer les accrocs, les déchirures, les béances que créent les passages à l’acte délinquant et criminels, dans le tissu social mais aussi à l’intérieur des personnes touchées. Soit, le monde est scindé et chacun chez soi, mais on le sait ça annonce des tensions et une violence accrue, et toutes les belles études sur l’isolement concluent unanimement que la vie y est moins bonne à vivre. Question de regard et de choix, donc. Philippe Pottier, qui a travaillé et vécu tant en Polynésie qu’en Nouvelle-Calédonie, pointe cette carence, dans la société française actuelle, de saines communauté(s) et de la conscience que nous sommes interdépendants.
« Le pire est de rester ‘criminel’ ou ‘victime’ à vie »
« Et puis, ne manque-t-il jamais d’ajouter, le pire est de rester ‘criminel’(2) ou ‘victime’ à vie. Ce ne sont pas des statuts qui permettent de bien vivre, ils sont vrais pendant un temps (qui peut être long) mais ensuite ? » La question du temps est cruciale : on ne va pas à la rencontre de celui, ou d’un de ses semblables, qui vous a frappé, agressé, volé, ou, pire, qui a causé la mort d’un des vôtres, en 5 minutes, et au-revoir. La justice restaurative désigne une démarche, un cheminement, qui commence dès le premier contact avec des formateurs, les étapes sont définies, car le travail de préparation est long, il est partie intégrante, et opérante, du processus, et il ne se fait pas seul, il se fait avec des membres de notre communauté, à la fois garants de la bienveillance qui doit présider aux échanges, et garants de ce que la communauté, justement, assume son rôle d’enveloppe, un rôle protecteur quand il est bien posé.
La condamnation et la peine sont nécessaires, mais elles ne réparent pas (les personnes)
Du coup, le processus est très encadré, et jamais ne cherche à se substituer à l’autorité judiciaire : les tribunaux font ce qu’ils doivent faire. Mais qui assiste souvent aux audiences sait qu’elles portent leur propre dureté (de fait), et que celle-ci n’apporte rien de constructif, aux victimes en particulier. La condamnation et la peine sont nécessaires, mais elles ne réparent pas, contrairement à ce qu’on entend souvent, « il faut être sévère, pour permettre à la victime de se reconstruire ». Comme si nous étions des Lego, auxquels le rajout d’une pièce permettrait mécaniquement de retrouver une plénitude perdue par la faute d’un tiers, et d’actes délinquants ou criminels. Ce raccourci est faux. Pourtant la non condamnation, fautes de preuves, par exemple, est l’indice que si cette pièce manque, tout en devient beaucoup plus difficile, et la justice restaurative peut aider des victimes à se restaurer, justement. A retrouver un état d’équilibre perdu.
« Il faut des gens formés »
« Le film(3) montre bien que si c’est pas encadré, ça peut déraper grave », dit Philippe Pottier. Robert Cario s’anime : « Les initiatives personnelles sont des moments dangereux, il faut respecter le protocole. Il faut des gens formés, que ça soit les animateurs, ou les membres de la communauté, c’est-à-dire monsieur ou madame Tout-le-monde qui viennent donner de leur temps pour accompagner un de leurs pairs sur ce chemin. » Le temps de préparation est fondamental, et ensuite les parties choisiront à nouveau d’aller jusqu’au bout, ou pas. Cela peut ne plus être nécessaire, ou elles ne le veulent plus. Le SPIP de Saône-et-Loire travaille activement aux premières mesures de justice restaurative ici, autour, pour commencer, des violences conjugales.
Un cadre charpenté. L’apaisement, et le long temps
Ce cadre strict, adossé à la loi et articulé à l’institution judiciaire, permet en réalité, mais parce qu’il est solidement charpenté, beaucoup de souplesse. Sur un autre plan, tous ceux qui ont connu les maladies graves et qui ont pu en guérir, sont parmi ceux qui savent le mieux, dans toutes les fibres de leur corps et de leur esprit, ce que signifie l’effraction dans une vie d’un événement perturbant, angoissant, qui altère l’état de santé et toutes les dimensions de l’existence. Ils savent d’autant mieux ce que signifie dans ce contexte, l’apaisement, que vise la justice restaurative, et le temps long nécessaire à y parvenir. A l’époque du quickly, du « vite fait », on retrouve là aussi un lien vers une sagesse ancestrale, et le droit à une parole libre, puis à ses effets qui ne manquent pas d’arriver quand le chemin est intelligemment balisé.
Florence Saint-Arroman
(1) ENAP : école nationale de l’administration pénitentiaire
(2) Note : le mot criminel a quelque chose d’effrayant. Il est effrayant, c’est vrai, pourtant il ne désigne pas exclusivement les personnes qui ont le crime chevillé au corps, mais tout ce que jugent les cours d’Assises dont les meurtres, les assassinats, certains homicides involontaires, les vols à main armée, les viols, les enlèvements, etc. Les procès mettent au jour tous les degrés possibles, toutes les situations possibles, ce que le mot seul ne permet pas de nuancer. C’est une question de qualification juridique.
(3) En mille morceaux, de Véronique Mériadec
Lien vers l’Institut français pour la justice restaurative : https://www.justicerestaurative.org/
Photo FSA : Robert Cario (à gauche) et Philippe Pottier, dans les locaux du SPIP71, ce mercredi 20 novembre.
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