Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - La justice fait preuve de clémence pour aider à la reconstruction
Publié le 02 Décembre 2019 à 19h58
Au nord de Tournus, côté Bresse, vit un homme de 50 ans qui a le même employeur depuis 27 ans et des revenus supérieurs à 3000 euros mensuels. Il a aussi une maison. Il avait une épouse et des enfants, mais le couple a divorcé. Ensuite il a eu une autre relation amoureuse mais « ça n’a pas marché ». « Il y a eu ces deux échecs et puis je me retrouvais seul dans la maison, alors… » C’est ainsi que débute l’histoire, si on l’en croit, qui l’a mené illico en garde à vue aux premières heures du 1er décembre, et directement à l’audience de comparution immédiate ce lundi 2. Son casier judiciaire est vierge.
Il dit être devenu alcoolique après deux ruptures qui le laissent au contact de sa solitude, et ?
Le prévenu a commencé à boire en « 2011-2012 », suite à ces ruptures et à cette solitude redécouverte sous l’angle de « l’échec » (cette interprétation lui appartient). Pourtant, un an plus tard il fait une autre rencontre, « et vous avez une relation stable depuis 7 ans », cherche à comprendre la présidente Catala. « Qu’est-ce qui a fait que ça a persisté ? – J’avais vu un médecin qui m’avait donné un médicament pour éviter de trop boire. Mais j’ai toujours repoussé l’échéance. Je me disais, ‘Ce week-end, c’est le dernier’. Et puis il y avait toujours quelque chose qui déclenchait l’achat d’une bouteille. Ma façon de consommer de l’alcool fait que ce n’est pas tous les jours, mais quand je bois c’est à haute dose, et à haute dose, mon comportement change complètement. »
« Le problème c’est l’alcool. Je n’ai plus de filtres et mes rancœurs ressortent »
Sa compagne avait pris le pli de s’absenter les week-end, lassée de la routine-alcool de son conjoint. Il avait, lui, pris le pli, de la rabaisser et de l’insulter dès qu’il avait un coup dans le nez. Il y avait eu quelques sorties de route, des gifles, par exemple, contre elle et le fils adolescent (enfant d’elle) « Le problème c’est l’alcool. Je n’ai plus de filtres et mes rancœurs ressortent, c’est pas bien, c’est contre-productif (sic). » Ce week-end, sa compagne et son fils étaient restés avec lui, une amie était là. Les trois adultes descendent un cubi de rouge pendant l’après-midi, et le soir « les rancœurs » ressortent. Maître Duquennoy décrit des scènes de violences réciproques, « chacun a donné une gifle à l’autre. Ça ne vole pas haut. » L’avocat plaide le contexte, sans oublier qu’« avec deux grammes, il n’y a plus rien de raisonné ».
Il lance aux gendarmes qu’il a « un ami avocat », qu’ils n’ont qu’à « bien se tenir »
L’amie du couple, affolée par le climat, appelle le groupement de gendarmerie et des gendarmes débarquent rapidement au domicile. Les trois gendarmes se constituent parties civiles pour insultes (« tu fermes ta gueule – je t’enc…, connard – tu sors, tu es chez moi), rébellion (coup de poing à un gendarme, on use du taser en mode choc pour calmer l’énervé avec un succès très relatif puisqu’il trouve le moyen d’en mordre un autre à la main. Il a fait du cirque pendant de longs moments), puis menaces (« t’es mort », « vous êtes morts »). Il leur a lancé qu’il avait « un ami avocat », qu’ils n’avaient qu’à « bien se tenir » : ça allait chauffer pour leurs matricules. A l’audience il dit : « Je pensais réellement que les gendarmes n’avaient pas le droit d’entrer chez moi, qu’ils n’étaient pas dans leur droit. » Il était décalqué, en orbite, mais il apprend au passage un point de droit : on ne fait ce qu’on veut chez soi que dans les limites autorisées par les lois. Frapper les autres est interdit, qu’on soit in ou qu’on soit out.
« J’ai décidé de me soigner »
Sa compagne n’était pas en reste. Alors que les gendarmes tâchaient de mettre un terme aux violences, elle essayait encore de frapper son conjoint, elle était « très énervée ». Elle a dit à l’enquêteur social qu’elle voudrait partir, et réfléchit à un hébergement dans sa famille. Son conjoint répond à cela en homme vexé : « Elle fera ce qu’elle voudra. J’ai 50 ans, j’ai déjà eu des relations. » Puis il ajoute : « Mais j’ai décidé de me soigner. Je pense que si je me fais soigner, ça marchera. Car quand y a pas d’alcool, ça marche très bien. » En fin d’audience, et parce que le parquet requiert une interdiction de contact « pour protéger madame », il s’adoucit : « Ma compagne, que j’aime, n’est pas sous emprise, elle peut partir quand elle veut. J’aime son fils aussi, je tiens à ces gens. Je veux payer pour ce que j’ai fait mais je trouverais difficile de m’interdire de voir ceux que j’aime. »
« En arriver là », deuxième coup de taser en mode choc
« Était-il nécessaire qu’on en arrive là, en salle d’audience, pour que ça fasse un déclic, monsieur ? demande la présidente Catala. – Oui (voix tremblante sous le coup d’une émotion). S’il n’y a pas de déclic ici, il n’y en aura jamais. Je suis ouvert à tous les soins et à toute assiduité. » C’est le deuxième coup de taser en mode choc pour cet homme parfaitement inséré socialement (les violences intra-familiales, avec ou sans alcool, sont monnaie courante et dans tous les milieux sociaux, sans exception, ndla). La consommation abusive du toxique a fait son œuvre de dégradation, et prend fin – du moins le tribunal l’espère -, en apothéose. Le grand jeu : 5 infractions. Clémence Perreau, substitut du procureur, lui apprend ou lui rappelle qu’il encourt 5 ans de prison. « Je n’ai pas entendu de regrets particuliers ou de conscience d’avoir fait du mal. France Victimes dit que madame est en état de souffrance et de fragilité. Et son fils ? Rabaissé lui aussi. Un enfant doit se sentir protégé. Monsieur a dit ‘il n’y a pas de traces’. Oui, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de violences, ni de souffrances. » Elle requiert 8 mois de prison intégralement assortis d’un sursis et d’une mise à l’épreuve pendant 2 ans.
« Un avertissement et un encadrement »
Ce cadre est condamné à 6 mois de prison assortis de sursis et d’une mise à l’épreuve de 2 ans avec des obligations de soins et d’indemniser les victimes. Le tribunal ordonne l’exécution provisoire, « ça commence maintenant, lui explique la présidente, même si vous faites appel. Il faut vite trouver un service d’addictologie. Vous serez suivi par un juge d’application des peines et un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce suivi est un avertissement et un encadrement. Vous avez l’interdiction, comme tout citoyen, de commettre une nouvelle infraction, si jamais, vous pourriez aller en prison.
Vous n’avez pas d’interdiction de contact, monsieur. En revanche, s’il y avait de nouveaux faits, vous seriez en état de récidive légale, vous reviendriez en comparution immédiate, avec le risque accru d’un mandat de dépôt. » La juge est limpide. Le tribunal dispense cette peine d’inscription au B2 : l’emploi de cet homme exige un casier vierge.
Florence Saint-Arroman
La compagne du prévenu ne se constitue pas partie civile, les trois gendarmes, si. Ce monsieur devra leur verser en tout 1 000 euros d’indemnités.
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