Chalon sur Saône
L’Espace des Arts va accueillir 50 000 spectateurs cette saison !
Publié le 23 Décembre 2019 à 13h36
Après 18 années passées à la tête de ce formidable équipement culturel incontournable, info-chalon a rencontré, à quelques heures d’une retraite bien méritée, Philippe Buquet, le Directeur qui lui a donné ses lettres de noblesse. Entretien…
Maison de la Culture à sa création en 1971, rebaptisée Espace des Arts en 1984, service culturel municipal, en régie directe, ce lieu unique devient un théâtre missionné plus de dix ans plus tard puis est labellisé Scène conventionnée. C’est avec l’arrivée de Philippe Buquet en 2002 que l’Espace des Arts deviendra Scène nationale. Homme de conviction, bienveillant mais entêté, son passage à sa direction durant 18 ans marquera au fer rouge l’histoire de ce haut lieu de diffusion mais aussi de création et de production. Mais qui est-il ? Né au Havre, il y a 65 ans, Philippe Buquet qui a effectué ses études dans une école supérieure de Commerce ; c’est sans oublier son goût pour la littérature et l’art dramatique développé au Conservatoire de théâtre qu’il intègre à l’âge de 15 ans. Pendant son temps libre, il travaille à déchirer les billets à la Maison de la Culture pour se faire un peu d’argent. À l’âge de 22 ans, il postule pour un stage rémunéré de 15 mois dans le domaine de la culture. Son aventure professionnelle commence d’abord dans le sud puis c’est à Lyon qu’il s’installe. Il travaille au Théâtre de Lyon aux côtés, pendant quelques années, du remarquable metteur en scène Jean-Louis Martinelli. On le retrouve ensuite, pendant 7 ans, au poste d’administrateur, au Théâtre National de Strasbourg (TNS) l’un des 5 théâtres nationaux, le seul en dehors de Paris, au moment où il faut le reconstruire. Un an avant que Jean-Louis Martinelli, directeur en titre, ne reprenne la direction du Théâtre Nanterre-Amandiers, Philippe Buquet accepte une mission de 13 mois au Théâtre du Rond-Point. Les deux hommes auront passé 18 ans à travailler ensemble, scellant ainsi une amitié indéfectible. C’est à l’issue de cette expérience parisienne qu’on lui parle alors de l’Espace des Arts.
Quel défi vous a fait venir à Chalon-sur-Saône, il y a 18 ans ?
Ce théâtre, quant au volume et à l’espace, si on le faisait vivre, allait devenir un théâtre d’importance. Karine Delorme, adjointe à la Culture et Dominique Perben, Maire de Chalon-sur-Saône à cette époque, m’ont donné carte blanche pour remettre l’Espace des Arts dans le giron national. Quand je suis arrivé, c’était la fin d’une histoire, le théâtre était un service culturel municipal essoufflé. Il y avait très peu de représentations, beaucoup de séances de cinéma programmées mais peu de public affichant un taux de fréquentation de 18 000 spectateurs. Cette année, ce sont 50 000 spectateurs qui le fréquenteront. Aussi, nous n’avons pas voulu de concurrence avec La Bobine, c’est pourquoi nous avons choisi de développer plutôt le cinéma jeune public. Le défi, c’était donc de tout remonter, développer l’activité, réconcilier la Maison de la Culture avec l’Espace des Arts à venir. L’État connaissait bien mon travail, ce qui a grandement facilité les choses pour ce qui est de l’aide et de la mise en place de la Scène nationale. Fin 2005, il devient l’un des premiers EPCC (Établissement Public de Coopération Culturelle). Nous en avons fait une maison d’artistes également, où la présence de la danse est plus forte, tout comme le cirque et la musique. J’ai voulu notamment que le public jeune soit plus présent, c’est une manière de toucher les familles.
« J’ai eu beaucoup d’ambition pour ce théâtre. »
Je suis venu à Chalon-sur-Saône parce que je me suis dit que cette ville était placée dans un endroit stratégique et qu’elle était amenée à se développer. J’ai dû bousculer beaucoup d’habitudes, être offensif et le public est venu, chaque année plus nombreux et trouve ici une programmation de qualité. Je leur donne à voir et à partager ce que j’aime avec l’équipe, ce que je pense intéressant et important à présenter. Les Scènes nationales ont une vocation contemporaine, sans oublier les formes classiques, les formes contemporaines sont privilégiées. Concernant la danse, les spectateurs étaient plutôt sceptiques au début, le festival de danse Instances a trouvé son public aujourd’hui. Il a fallu du temps et être curieux.
L’Espace des Arts a bénéficié, il y a peu, d’une rénovation qui a duré deux ans et qui a nécessité l’investissement de plus de 9 millions d’euros, pouvez-vous nous en dire plus sur ce grand chantier ?
L’État nous a bien accompagnés sur ce projet. Je veux dire que je n’ai été complaisant avec aucun élu mais j’ai travaillé avec tous ; tous ont eu de la considération pour cette maison et avec tous, nous avons avancé. Les travaux ont été une grande bataille qui a duré 10 ans. Ce qui a été déclencheur, c’est l’étude technique très solide qui a été faite. L’État a suivi à hauteur de 4 millions d’euros, cela devenait donc crédible, ensuite la Région a suivi puis nous avons décroché l’accord de Sébastien Martin, Président du Grand Chalon. Sur ce projet, rien n’a été simple mais l’équipe s’est constituée progressivement. Nous avions eu également l’expérience des travaux (sièges et réorganisation) au Théâtre Piccolo en 2010 dont nous étions fiers et satisfaits car ce théâtre est un écrin poétique et fragile.
Qu’est-ce-qui a motivé votre action durant votre carrière à Chalon-sur-Saône ?
La création et la production de spectacles, l’exigence de la programmation.
« On construit avec son travail et son engagement. »
Qui sont les artistes qui vous ont le plus accompagné au sein de ce théâtre ?
Et réciproquement. Il y en a beaucoup. Pauline Bureau que j’ai produit, Julie Berès, Maëlle Poesy, Tatiana Julien, David Géry, Mathilde Delahaye, Olivier Balazuc, Gilles Cohen… Nous avons eu le privilège d’avoir la présence constante de l’Orchestre de Lyon, le Ballet de l’Opéra de Lyon, le Cirque Plume. Il y a des fidélités, c’est certain mais nous avons programmé énormément de Compagnies différentes.
Quelle est la production dont vous êtes le plus fier ?
Je ne peux pas répondre à cette question. C’est comme demander lequel de ses enfants ont préfère. Pour chaque production, c’est environ 3 ans de travail, c’est une aventure. Ce sont souvent de jeunes artistes que l’on accompagne, de la production aux tournées, ça dure parfois 7 à 10 ans. À chaque fois, c’est différent mais ils sont tous arrivés à quelque chose d’important. Nous avons également beaucoup travaillé en co-production, comme je n’aime pas l’esprit de concurrence et de compétition, il nous était facile de discuter avec le Conservatoire et développer de nombreux partenariats.
Avez-vous une anecdote à raconter ? Un bon souvenir ?
J’en ai plein. Quand on accompagne un jeune artiste, que l’on a été impliqué, que l’on a construit quelque chose ensemble et que le spectacle réalisé est une forme réussie, c’est très gratifiant. C’est comme un accouchement artistique. Aussi, je veux dire que le théâtre du Port Nord a été une aventure incroyable. Nous avons eu la chance tout d’abord de tomber sur ce chapiteau ; le travail qui a été accompli par chacun, le super état d’esprit, ont contribué à cette grande réussite. Là encore, le travail d’équipe a été prépondérant. Tout comme l’histoire de la résidence au 9e étage du nouvel Espace des Arts. Ce sont de grandes fiertés. Tout le monde a regardé cela d’un oeil inquiet, ce n’était pas gagné mais ensemble nous avons réussi. Quand on arrive à gagner une bataille pour faire avancer l’activité du théâtre, on est heureux. Voir le public heureux nous rend heureux. Il ne faut rien lâcher. Ces victoires nous encouragent mais ça n’a pas été toujours facile.
Un scénario catastrophe ?
Je n’ai pas souvenir d’un scénario catastrophe, peut-être d’un malentendu sur un spectacle de danse du festival Instances. C’était sur The show must go on de Jérôme Bel avec le Ballet de l’Opéra de Lyon car on n’était pas sur une forme dansée. J’avais demandé à la billetterie de limiter le nombre de places par personne car quand on évoque le Ballet de l’Opéra de Lyon, le public s’attend à une forme bien précise. Or, ce spectacle était très conceptuel mais la salle a été très dynamique, très réceptive ; ceux qui étaient présents s’en souviennent. Soyons clairs, c’était un malentendu pas un fiasco. Finalement, c’était l’un des plus beaux spectacles du festival Instances qui cumule pourtant des réussites extraordinaires.
À qui aujourd’hui aimeriez-vous rendre hommage ?
À l’équipe évidemment, qui est une équipe très engagée, professionnelle. À beaucoup d’artistes bien sûr, qui, parce qu’ils avaient reçu un accueil formidable du public, ont été généreux avec lui. Le retour des artistes sur les spectateurs de l’Espace des arts a toujours été très positif. C’est un public bienveillant, attentif et chaleureux. Je salue les élus qui se sont engagés pour l’Espace des Arts. Je salue les moments où ils ont basculé vers un accompagnement. Je peux rendre hommage à : Karine Delorme, Florence André, Laurence Fluttaz, Florence Plissonnier. Sébastien Martin, Président du Grand Chalon, a été un interlocuteur fort ; je le remercie pour son engagement envers la culture. Je remercie également le Conservatoire du Grand Chalon qui a été un partenaire de choix. Dans les saluts, on oublie toujours la presse, durant toutes ces années elle n’a pas cherché à faire de polémiques, elle a toujours été bienveillante peut-être parce que j’ai toujours eu envie de travailler sur le consensus pas sur le dissensus.
« Je défends la culture et l’art. Je suis là pour ça ».
Nicolas Royer, un membre de votre équipe va prendre votre suite, quels voeux pour la suite ?
Qu’il puisse réaliser vraiment le projet dont il rêve et qui évoluera, c’est certain, face aux réalités de terrain. L’Espace des Arts est une grande scène ambitieuse, un fabuleux outil.
Vous arrêtez donc l’Espace des Arts au 1er janvier pour prendre votre retraite, quels sont vos projets ?
Arrêter l’Espace des Arts, vraiment ! Je serai spectateur, ami, je ne serai pas intrusif. La culture et l’art, la littérature, le sport, les amis, la famille vont animer mes journées et je garde un espace vide, une fenêtre vide que je ne veux pas remplir trop vite - mais qui va se remplir, c’est sûr. Comme je ne veux pas avoir des activités alibis, je veux laisser le temps au temps et faire un break.
SBR - Crédit photo : Julien Piffaut
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