Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Il s'en était pris à sa mère et sa tante (3)
Publié le 16 Janvier 2020 à 19h14
La salle d’audience du tribunal, ce jeudi 16 janvier, accueille un peu de monde mais tout est bien calme quand retentissent trois coups de cannes. Impérieux. La mère du prévenu est dans la salle et exige l’attention de son fils en frappant le sol. Une accompagnante lui demande d’arrêter car elle risque de devoir quitter la salle si elle la trouble. On croirait cette vieille dame sortie d’une bande dessinée.
Le tribunal est parti délibérer sur la question d’un nouveau renvoi car le prévenu est en détention provisoire depuis le 27 novembre, et le délai au-delà duquel il sera libérable s’achève bientôt, mais les avocats sont en grève. On a relaté ici : https://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2019/11/29/41369/tribunal-de-chalon-il-s-en-etait-pris-a-sa-mere-et-sa-tante/ et là https://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2019/12/27/41880/tribunal-de-chalon-il-s-en-etait-pris-a-sa-mere-et-sa-tante-2/ les deux audiences précédentes. On dit souvent, que par la re-présentation de faits délictueux dans une unité de lieu et de temps, ainsi que par des fonctions qui seraient autant de rôles (les juges, les procureurs, les avocats), le tribunal est comme un théâtre, c’est rarement aussi vrai qu’à cette audience où les faits sont éclairés avant même le jugement, par les attitudes du prévenu et d’une des victimes.
Le huis-clos qui fut le leur, prend corps à travers eux
Alors que le tribunal est sorti un instant, le prévenu, posé paisiblement dans le box, tourne la tête et son regard croise celui de sa mère qui lui fait un sourire mais il n’accroche pas, elle le rappelle donc de sa canne frappée au sol, le visage soudain extrêmement dur et autoritaire. Elle le cherche du regard, il regarde ailleurs, il explique doucement à son escorte, « c’est ma mère ». Le huis-clos qui fut le leur prend corps à travers eux. Le tribunal décide de renvoyer à lundi prochain. Quelle mesure prendre, pour ce prévenu au casier vierge mais dont l’isolement l’a conduit en prison comme on irait dormir dans un foyer ? Le parquet demande son maintien en détention, son avocat, maître Duquennoy, confirme que « la situation est inchangée ». Le prévenu a-t-il quelque chose à dire ?
Comme une sorte de Carmen Cru figurée en reine-mère
« Ben, non… J’ai pas entendu grand-chose, alors… » Alors le président Dufour lui explique le renvoi à lundi et le fait qu’il restera peut-être en prison. Quelque chose à dire ? « Ben… non. » L’audience touche à sa fin quand le tribunal réalise qu’une des victimes est dans la salle, il invite madame-mère à la barre. « C’est moi ! », tonne-t-elle, avant de ponctuer d’un « allez hop ! », l’effort qui la propulse comme si elle circulait en papamobile, d’abord devant le box, puis devant les juges.
Elle porte un pardessus légèrement rose en toile un peu raide qui dessine une silhouette en triangle. On aperçoit des bas de grand-mère et des chaussures noires. Ses cheveux blancs sont complètement aplatis à l’arrière de sa tête de sorte que lorsqu’on la voit debout, on dirait qu’une planche invisible la plaque par derrière et lui impose ce maintien pas tout à fait perpendiculaire au sol. Elle penche légèrement, en ligne bien droite, vers l’avant. Son menton en galoche a pris le pas sur le reste de son visage, elle a le nez plutôt fin. Ses yeux restent surmontés de sourcils épais et foncés qui accentuent son expression parfois si dure. Le président Dufour va en prendre pour son grade.
« Si ! C’est moi la patronne ! »
« Mes parents sont morts ! (coups de cannes au sol)
- Euh, oui, c’est bien possible, mais là on parle de votre fils, il sera jugé lundi.
- Je veux qu’il rentre ! (coups de cannes) »
Le président explique rapidement que ça n’est pas possible, elle ne l’écoute pas.
« Il rentre chez moi, c’est tout ! (coups de cannes)
- Ce n’est pas vous qui décidez, madame. »
On flotte un instant, songeant que c’est peut-être la première fois de sa vie qu’un tiers vient lui dire qu’elle ne décide pas du sort de son fils. Réponse : « Si ! C’est moi la patronne, c’est comme ça ! » Le fils a le regard vaporeux, comme perdu dans le vague, comme ailleurs, pendant que le président se fait houspiller. « Il sera jugé lundi, madame. – Pourquoi faire ? – Eh bien, pour des violences… - Mais pourquoi faire ? Pour une claque ?! Alors là ! – Il n’y a pas que vous, madame, il y a votre sœur. »
C’est pas bien, c’est sûr, mais à quoi ces vies-là sont-elles référées ?
Ces deux-là, confinés. Lui, à 46 ans, jamais parti, jamais eu de vie personnelle, jamais vécu pour lui-même. Elle, qui semble breloquer un peu, mais si incroyablement autoritaire, si dure, également, « il rentre chez moi, c’est tout », « je veux mon garçon ». On se les figure, désormais, dans le confinement de leur tripot familial. Son garçon abattant chaque jour avec des doses d’alcool, elle, abattant l’homme qu’il n’est pas devenu, à coups de cannes frappés au sol. Le soleil devait à peine se lever, là-bas.
Alors bien sûr, il lui a filé quelques tartes, et à sa vieille tante un peu démente, également. C’est pas bien, c’est sûr, mais on ne voit pas quelle place est faite à la moindre règle de vie (sans même parler de loi) dans cette relation embryonnaire, où les mots, entre autres, manquent. Pas d’espace, pas de place, rien. C’est assez impressionnant, et si l’on sourit de voir le juge se faire morigéner par une vieille dame qui ne voit vraiment pas au nom de quoi il se permet de décider à sa place à elle, on reste triste pour l’homme qui se tient dans le box, qui ne se plaint pas de sa détention. Si ça se trouve il y a plus d’air là-bas que chez elle, si ça se trouve on y parle davantage, si ça se trouve.
FSA
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