Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - "Ces trois-là étaient comme des oiseaux vivant dans la même cage"
Publié le 21 Janvier 2020 à 21h09
Le tribunal a jugé un homme poursuivi pour violences sur personnes vulnérables, soit sa tante et sa mère, avec lesquelles il vivait comme reclus. Une audience aux accents surréalistes, à l’image de cette situation et de ses conséquences.
Pas loin d’un demi-siècle… 46 ans de vie avec ses parents puis avec sa mère devenue veuve, cette mère impérieuse qui ordonnait à la justice, à l’audience de vendredi dernier, qu’elle lui rende « son garçon », sans jamais le nommer par son prénom. 46 ans collés l’un avec l’autre, la vie ramenée à cette seule exigence. Et puis le grand âge, et puis la démence de l’une, la fragilité de l’autre, et l’incapacité de le supporter. « Il n’aimait pas qu’elles deviennent de plus en plus dépendantes, ça l’énervait. »
« Dépassé par la situation »
Il est incarcéré depuis le 28 novembre dernier, en attendant d’être jugé, car il n’a nulle part où aller. Pas d’amis, pas d’autre famille que ces deux femmes désormais placées sous protection civile. Hier en fin d’après-midi de ce lundi 20 janvier, cet homme à qui on voudrait rendre son prénom, a été reconnu coupable de violences sur sa tante et sa mère, deux femmes âgées et démentes à des degrés différentes. Violences sur ascendants, « des faits particulièrement graves » dit Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur. Des faits inévitables, a plaidé Jérôme Duquennoy, vu ce contexte d’une vie repliée sur elle-même, d’un homme qui buvait tant depuis si longtemps, habitué à être pris en charge et finalement « dépassé par la situation » quand ses tutelles ont fini par perdre peu à peu leurs forces et leurs esprits.
Vie sacrifiée. Sur quel autel ? Mystère
Le tribunal dit qu’il est entièrement responsable des préjudices subis, aussi sa tante, qui se constitue partie civile alors qu’elle est arrivée à un stade où « elle ne communique presque plus sur quelque chose de cohérent » dit sa curatrice à la barre, verra ses intérêts défendus en mars prochain. Maître Bouflija est en grève, elle plaidera en mars. Mais le prévenu est libérable le 27 janvier, sans qu’aucune solution de logement pour lui n’ait été trouvée, la détention provisoire ne permet pas de préparer une sortie, puisqu’on y attend d’être jugé et, cas échéant, sanctionné. Le tribunal insiste pour le juger, son avocat accepte, il faut en finir. La salle est parfaitement vide. Personne pour lui. Vie sacrifiée. Sur quel autel ? Mystère.
Son neveu l’a tapée « pour la calmer, elle était très agitée »
La procédure commence par un courrier de l’infirmière qui intervenait dans la maison de l’impasse, le 5 octobre 2018. Elle fait un signalement au procureur de la République : deux sœurs, âgées de 85 et 81 ans, vivent là avec le fils de l’une d’elle, il a 45 ans. Début juillet elle voit des hématomes sur l’aînée, celle qui est frappée de démence sénile. La vieille dame rapporte que son neveu l’a tapée « pour la calmer, elle était très agitée ». Elle fait jurer à l’infirmière de ne le dire à personne. Les deux mois qui suivent sont calmes, mais en septembre la dame est marquée au visage et à la tempe. Son état s’est dégradé. Le médecin la fait placer. L’autorité judiciaire ouvre une enquête, les gendarmes entendent le maigre entourage. Alors le huis-clos s’ébrèche. Les auxiliaires de vie rapportent ce qu’elles avaient observé. Cet homme qui buvait au point de devoir décuver les matins. On l’avait même un jour trouvé couché au sol, il ne tenait plus sur ses jambes.
Un jour, il arrête de travailler. Définitivement
On dit aussi que les crises de démence de la tante pouvaient durer plusieurs jours, et que c’était difficile à vivre. Dès l’instant où la tante est placée en EPHAD, elle n’a plus d’hématomes. Il s’était opposé au placement. « Pourquoi ? lui demande le président Dufour. – Ben c’est comme ça, c’est mon choix. Elle voulait pas y aller. » Lors de sa première audition, la mère du prévenu a déclaré : « Mon fils (elle le nomme) est gentil et je l’aime, c’est un bon garçon. »
Ce bon garçon a travaillé un temps dans le secteur de la mécanique auto. Mais un jour l’affaire est déplacée dans la zone commerciale de Chalon Sud, soit à 23 km de la maison de l’impasse, au lieu des 10 km habituels. « Ça avait changé de patron, et moi je voulais pas venir à Chalon, ça me plaisait pas, ça faisait trop loin, quoi. » Alors, il arrête de travailler. Définitivement. C’était il y a 12 ans.
« Ben… C’est chez moi, quand même ! »
« Comment vous expliquez, à votre âge, de vivre avec votre mère, votre tante, comme ça ? C’est pas très banal, comme situation ? – Ben, ben… (il ouvre la bouche pour lâcher des « ben », comme estomaqué par l’incongruité de cette question). Ben… C’est chez moi, quand même ! – Non, c’est chez votre tante, corrige le président. » L’homme grommelle : « Y a eu une donation, un truc comme ça. » Il tente même le « je paie un loyer ». La curatrice de sa tante fait « non » de la tête. Elle avait précisé à la barre que si monsieur devait loger là-bas, on exigerait qu’il s’acquitte d’un loyer précisément.
Ce retour forcé dans la vie commune a des allures lunaires
« Quels sont vos projets pour l’avenir, monsieur ? » Décidément, le président n’a de cesse que de lui poser des questions pas pensables : « projets », déjà, c’est énorme. Et quand ça sous-entend « personnels », c’est vraisemblablement sans le moindre sens pour ce prévenu problématique, cet homme comme sorti d’un bois où il aurait mené une vie quasi animale. Quand les gendarmes sont venus l’arrêter il était environ 9 heures du matin, il a fallu le placer en cellule de dégrisement. Avec ça, ce retour forcé dans la vie commune a des allures lunaires, il est impossible de savoir, à l’audience, ce qu’il comprend de sa situation.
« Et vous vivrez où ? – Ben, chez moi. »
Ses projets : « Ben, trouver du boulot, déjà. Je sais pas en quoi. – Et vous vivrez où ? – Ben, chez moi. C’est chez moi. » Point mort. Deux mois, trois passages devant le tribunal, un avocat, point mort. « C’est effectivement une situation compliquée de vivre avec des personnes dont l’état se dégrade de jour en jour, mais en aucun cas ça ne peut justifier des violences de monsieur contre sa mère et sa tante. » Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, requiert 10 mois de prison dont 6 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve, maintien en détention pour la partie ferme : « Il n’a aucun projet pour l’avenir, il n’a pas conscience de la gravité de ses actes, il veut retourner là-bas. » Elle demande aussi un suivi AIR (accompagnement individuel renforcé), au vu de sa situation « particulièrement précaire ».
Il n’a jamais connu la vie hors captivité
« Les violences apparaissent dans une situation très dégradée » plaide son avocat. C’est vrai, et que faire avec ça ? Ces trois-là étaient comme des oiseaux vivant dans la même cage, et le plus jeune, celui qu’on juge, n’a jamais connu la vie en dehors de cette captivité. Captif, il l’est toujours, et il va le rester un peu car le tribunal le dit coupable et le condamne à 12 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis mis à l’épreuve pendant 2 ans. Il ne bronche pas. Interdiction de paraître au domicile de sa mère. Interdiction de tout contact avec sa tante. Obligation d’indemniser la victime (sa tante, car la mère refuse de se constituer partie civile). Obligation de répondre aux convocations de l’AEM dans le cadre du suivi renforcé. Il ne bronche pas. Le tribunal ordonne son maintien en détention. Il ne bronche pas.
Voilà, c’est fini. Plus de cage, plus de vie commune avec sa mère. Dans quelques mois il sera libre. Libre ?
Florence Saint-Arroman
Note : Il a déjà fait presque 2 mois de prison qui seront décomptés de sa peine. Il reste donc environ 4 mois, soit 3, en fait, avec les crédits de réduction de peine : il faut au moins ça pour qu’un CPIP organise quelque chose, on voudrait écrire « avec lui » mais on a des doutes.
A-t-il compris que la vie commune avec sa mère c’est fini ? Comment va-t-elle le vivre, cette femme si autoritaire et si attachée à ce gosse qu’elle n’avait pas encore mis au monde ? (« Sa volonté est d’être à domicile avec son fils. ») Quelles sortes de liens peut-il établir avec les autres ? Va-t-il parvenir à tenir son sevrage ? Il a dit au président : « Si y avait pas les cachets, en prison, je pense pas que j’aurais tenu. »
Il n’a pas bénéficié d’une expertise psychiatrique, pourtant son degré de vulnérabilité doit être élevé et l’alcoolisme a fait son œuvre. Bref, il fallait bien quelques mois de prison (on ne dit pas que c’est une bonne solution, on dit que les juges n’en ont pas d’autre, d’ailleurs ce n’est pas une solution, c’est une sanction, et dans son cas, c’est aussi du temps) pour laisser du temps aux personnes qui vont l’encadrer de trouver une solution d’hébergement, pour commencer.
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