Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Vulnérables l'un et l'autre mais la violence est au coeur des débats
Publié le 03 Juillet 2020 à 16h34
Il tient fermement une main avec l’autre, bras dans le dos. Il passe d’un pied sur l’autre, comme pour se caler à la barre, parce qu’il est nerveux. Il est sous contrôle judiciaire depuis le 16 janvier dernier, autant dire en période probatoire, et il va, là, maintenant, ce jeudi 2 juillet, rendre compte de ses actes devant un tribunal.
« Elle m’a traité de trisomique, ça m’a fait beaucoup de mal »
Ça s’est passé le 13 janvier dernier à Louhans. Lui et elle sont ensemble depuis 7 ans, mais chacun chez soi. Ce dimanche elle est passée le voir en fin d’après-midi, puis en début de soirée elle a voulu rentrer chez elle, il aurait préféré qu’elle reste. Dispute. « Elle m’a traité de trisomique, ça m’a fait beaucoup de mal, mais je n’aurais pas dû lui donner un coup. J’assume mes responsabilités. » Un coup au visage. Le lendemain elle va travailler. Un éducateur de l’ESAT voit le coquard, l’emmène à la gendarmerie. Violence sur personne vulnérable.
Vulnérables, les deux
Ils sont vulnérables tous les deux. Lui, 28 ans, reconnu handicapé, vit sous curatelle renforcée. Sa curatrice est dans la salle, elle dira aux juges que le jeune homme évolue plutôt bien, qu’elle le trouve « beaucoup plus calme depuis quelques temps ». Il faut dire que ce n’est pas la première fois que son impulsivité lui cause des soucis avec la justice (et cause des bleus à sa chérie). La représentante du ministère public s’y attarde : plusieurs classements sans suite, et quelques rappels à la loi.
« Allons-y ! Ça fait deux litres chacun, vous deviez être en forme »
Mais c’est compliqué. D’autant que l’alcool est de la partie. Le 13 janvier dernier, ils avaient l’un et l’autre picolé. Qu’avaient-ils bu ? « Des bières noires. – Ah, de 25 cl ? – Non, des 0.75 cl. Trois chacun. – Allons-y ! rugit le président Dufour. Ça fait plus de deux litres chacun, vous deviez être en forme. » Pourquoi ne voulait-il pas qu’elle rentre chez elle ? « Je vais être honnête, ça fait 7 ans qu’on est ensemble, et avant ça se passait très bien… - Non, vous avez été condamné déjà. » Le prévenu répète qu’il assume ses responsabilités.
« C’est normal de prendre des coups dans la tronche, madame ? »
Au fond de la salle se tient la victime. Elle ne veut pas que son chéri aille en prison. L’avocate a prévenu son client qu’il risquait une peine de prison, cette fois-ci, parce qu’il est en état de récidive légale et qu’au bout d’un moment ça va bien. Ils ont peur tous les deux. Le président hèle le bout de femme : « C’est normal de prendre des coups dans la tronche, madame ? » Elle, interdite, le regarde. « Non, c’est pas normal ! » répond le juge.
L’inégalité de fait
On songe rapidement qu’être juge, c’est être confronté à cette impuissance : des gens, pas mauvais, aux vies plus difficiles, aux chemins escarpés (vivre à Louhans, sans conduire, alors que l’ESAT* le plus proche est à Crissey, par exemple), qui trouvent à se donner de l’affection, mais qui, parce qu’ils sont impulsifs et/ou qu’ils boivent trop, vont multiplier les problèmes, pour eux-mêmes d’abord et sociaux, ensuite. Un léger souffle de révolte a parcouru la salle : l’inégalité de fait l’emporte sur l’égalité en droit, as usual.
Faire le lien entre sa consommation d’alcool et son agressivité
Un expert psychiatre a rencontré le prévenu. Il est majeur protégé, l’expertise psychiatrique est obligatoire avant tout jugement. « Personnalité immature, instable, irritable, et psychorigide. Ne maîtrise pas sa consommation d’alcool, alors qu’il en connaît les effets sur lui. Le risque de récidive est élevé. Il élabore peu, donc ne mesure pas les conséquences de ses actes. » Comprend-il le souci du tribunal ? On ne sait pas, mais le rapport du juge d’application des peines, nourri de celui du conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), dit que cet homme est en train de faire le lien entre sa consommation d’alcool et son agressivité.
Une relation qui du coup est problématique
« J’aimerais bien qu’on nous laisse encore une chance », demande le prévenu. Le président lui oppose que si madame devait décéder sous des coups… Le parquet fait une balance des plus et des moins, et requiert une peine mixte, pour que le prévenu soit contraint d’aller de poursuivre des soins (il dit qu’il prend désormais un traitement qui le stabilise). Mais, pour la chance réclamée par le jeune homme et vraisemblablement par sa compagne : « Moi je n’ai pas les mêmes objectifs pour leur couple, je demande une interdiction de contact et de paraître au domicile de madame. »
« Que madame entende qu’elle doit elle aussi faire des efforts »
Maître Thomas plaide l’enfance de son client. Des parents violents mais pas d’accompagnement pour l’enfant ni le jeune garçon qu’il fut. Elle parle de son isolement social, même s’il a un soutien familial. Certes il boit toujours trop mais « nette évolution depuis 2018 ». «Une interdiction de contact serait très compliquée pour les deux, mais il faut que madame entende qu’elle doit elle aussi faire des efforts, et lui laisser le temps d’engager des soins. » L’avocate suggère que le prévenu fasse un stage de sensibilisation aux violences conjugales, « pour comprendre que la loi interdit les violences ».
Peine mixte, interdiction de contact
Le tribunal déclare cet homme coupable, et le condamne à 6 mois de prison dont 3 mois sont assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. Obligation de travailler ou de se former (car il cherche du travail mais est retoqué), obligation de soins, de faire un stage de sensibilisation aux violences intrafamiliales. Le tribunal prononce une interdiction de contact avec madame, et interdiction de paraître à son domicile. Ordonne l’exécution provisoire : les mesures prennent effet immédiatement.
« Pour l’instant, nous, on estime que vous ne devez plus voir madame. C’est compris, madame ? – Oui ! – Donc ce n’est pas la peine de lui téléphoner. – Oui. – Ni d’aller chez lui. – Oui. – Ni de lui envoyer des mails. – Oui. »
Florence Saint-Arroman
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