Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - « Ce soir-là, j’avais pas mal bu, et consommé de la drogue. J’avais assez faim, je suis parti à pied, et sur mon chemin j’ai vu les clés sur une voiture. »
Publié le 08 Septembre 2020 à 10h19
C’était pendant la nuit du 14 au 15 août, sur la commune de Sennecey-le-Grand. Vers 2 heures du matin, à Saint-Ambreuil, les gendarmes repèrent un véhicule à la tenue de route incertaine.
Contrôle. Le conducteur reconnaît tout. « J’ai volé la voiture, j’ai bu, j’ai fumé. » Le 16 août il est placé en détention provisoire, il est jugé à l’audience des comparutions immédiates ce lundi 7 septembre.
Sans domicile
C’est le deuxième prévenu en 15 jours qui explique au tribunal à quel point sa libération pendant le confinement, libération anticipée pour faire un peu de place en prison, à cause du risque d’épidémie à l’intérieur, ne lui a pas rendu service. Cet homme, âgé de 35 ans, est seul, très isolé, n’a pas de domicile, « c’était compliqué pour moi, on m’a donné le numéro du 115 ». Il passe l’été à Paris, revient en Saône-et-Loire, « pour faire les vendanges », mais il est déjà à nouveau dans le box, ses cheveux rassemblés en chignon, le visage dissimulé derrière un masque chirurgical, le teint pâle. On dirait un ado, de loin, vu comme ça.
« Le problème c’est pas d’arrêter, c’est de pas reprendre, en fait »
Mais c’est un adulte dont le casier judiciaire s’ouvre en 2005. Depuis 15 ans, des condamnations variées se succèdent. « Qu’en pensez-vous ? lui demande le président Dufour. – Ben, j’en suis pas fier, quoi, mais je sais pas quoi vous dire du tout. » Les faits sont « d’une simplicité biblique », comme dit le président, le prévenu l’est aussi, à sa façon. Il est même élémentaire : vissé aux shoots d’héroïne et de cocaïne depuis bien trop longtemps, il ne parvient pas à s’en extirper, répétant « j’ai un traitement de substitution pour l’héroïne, mais je n’ai rien pour la cocaïne ». Il a pourtant eu pas mal de mises à l’épreuve, donc de suivis, il n’a jamais fait de cure, « parce que le problème c’est pas d’arrêter, c’est de pas reprendre, en fait » dit-il.
Toute la misère humaine et la douleur qui l’accompagne se logent dans une virgule
Pourtant il voit des psy depuis longtemps – il est d’ailleurs demandeur motivé de séances, y compris en prison-, observe gentiment une juge assesseur, et vraiment il ne peut rien dire de ce qui l’arrime à la drogue ? « J’ai toujours été attiré par ça, je sais pas dire pourquoi. » Ses projets ? « J’aimerais être normal, mais j’ai pas vraiment de projet. » L’écrit ne restitue sans doute pas ce qu’on ressent à entendre cette phrase : toute la misère humaine et la douleur qui l’accompagne se logent dans la virgule qui marque une pause entre « être normal », « pas de projet ». Il est biblique, à sa façon, sans trouver la voie d’une rédemption, alors le président s’y colle.
Le président souligne et surligne : c’est donc possible !
« Comment vous faites en détention ? – J’en prends quasiment pas. (Que la drogue circule en prison est un fait acquis, ndla) – Et comment ça se passe ? – C’est assez compliqué, quoi, mais je suis enfermé, donc… » Donc il n’a pas le choix, et s’il en souffre, il fait avec. Il tient, bon an mal an, et le président souligne et surligne : c’est donc possible ! Mais le prévenu lui renvoie que lorsqu’on vit enfermé, on doit se passer de ce qu’on n’a pas, et ça ne veut rien dire, si lui, le juge, était enfermé et qu’on ne lui donne pas à manger, eh bien il ne mangerait pas. « Oui mais on en meurt », objecte le président, lui signifiant que même souffrant, lu,i il reste en vie. En vie ? Biologiquement c’est sûr, mais pour le reste, la vie fantôme du prévenu est trop impalpable pour qu’il en ressente quelque chose sur quoi s’appuyer, c’est l’impression qu’il donne.
« Je ne sais pas comment me défendre. Je sais même pas si je dois me défendre »
Angélique Depetris, substitut du procureur, fait « le constat de la facilité » et puis qu’ « on a tenté beaucoup de choses déjà », elle requiert une peine de prison ferme qui l’oblige à bâtir sa sortie, un projet, comme on dit et comme il n’en a pas. 12 mois ferme et révocation totale d’un sursis antérieur. Maître Bernard plaide du côté du lien, de la nécessité d’un bon lien, en veut pour preuve que lorsque ce client, au demeurant « plutôt agréable et sincère, aussi », fit « une belle rencontre avec une jeune femme », il en devint « abstinent pendant un an ». « Il lui faut trouver le bon accompagnant », conclut l’avocate. Le prévenu a le mot de la fin, il sort une phrase à son image : « Je ne sais pas comment me défendre. Je sais même pas si je dois me défendre. »
8 mois ferme puis un suivi renforcé
Le tribunal le condamne à une peine de 16 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans. Ordonne son maintien en détention. Révoque le sursis en cours au moment des faits à hauteur de 4 mois, ordonne son incarcération immédiate. 8 mois ferme, donc, puis un accompagnement renforcé. « Monsieur le tribunal a été indulgent à votre égard, vous serez suivi de très près. »
Florence Saint-Arroman
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