Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - « Il insultait même les gens qui passaient à la télé »
Publié le 22 Septembre 2020 à 07h38
« On se demande s’il y a eu des moments où on se parlait normalement dans cette famille. Lors des repas, par exemple ? » Maître Ravat-Sandre plaide pour deux ados, encore mineurs. Leur père est à la barre, jugé ce lundi 21 septembre pour des violences habituelles sur femme et enfants. Maître Maréchal intervient pour l’épouse et un fils plus grand, il insiste sur « la boule au ventre » qui les saisissait lors du retour du mari et père, chaque vendredi, à la maison. Il est chauffeur-livreur.
« C’est d’une violence ! D’une vulgarité ! C’est presque innommable, monsieur »
On se dit que s’il avait dû rentrer chaque jour chez lui, cette maltraitance n’aurait pas duré si longtemps, peut-être, car chaque membre de la famille aurait vécu avec la peur vissée au creux du bide, matin et soir, et en serait tombé malade. Peut-être.
En juin dernier, alors qu’il avait bu, comme toujours, il a claqué la cuisse de sa femme qui dormait, pour qu’elle aille « éteindre la télé ». Il était deux heures du matin. La photo de la cuisse montre l’empreinte de sa main à lui, dessinée en rouge, le détail des phalanges incrusté dans la chair. Faut-il y aller fort. Alors elle est allée poser plainte en gendarmerie. Ça faisait quelques mois qu’elle enregistrait les dégueulis de son époux. « Quand on lit les retranscriptions, c’est d’une violence ! D’une vulgarité ! C’est presque innommable, monsieur » lui dit la présidente Clara Verger.
« Il insultait même les gens qui passaient à la télé »
L’ordinaire était fait, depuis plusieurs années, d’insultes, tout le temps, « pour rien », contre elle et les trois fils encore au domicile. En gros, si un des fils sortait de sa chambre pour aller chercher un verre d’eau à la cuisine, son père le traitait de « connard ». « Il insultait même les gens qui passaient à la télé. » Voilà pour l’ambiance, et aussi pour l’état du monsieur qui manifestement se dégradait autant que les non-relations qu’il imposait à sa famille. « Image paternelle très dégradée qu’il a donné à ses enfants », plaidera maître Maréchal en partie civile. Dans la salle, l’administratrice ad hoc, chargée par le conseil départemental de suivre le parcours pénal du dossier, pour les mineurs. Elle s’assure que leurs droits et intérêts sont respectés.
L’insulte qui rabaisse, qui diminue, qui empêche d’avancer dans la vie
Sont « enfin » respectés, parce que pour leur droit à être respectés, on repassera. Le placement sous contrôle judiciaire du père, qui depuis vit ailleurs, a mis fin à cette vie violente et si pauvre. Il n’y avait plus de place pour des partages, des échanges, il n’y avait plus que ces coups sur la tête à chaque insulte : « fainéant », « fils de p… », « connard ». La vie ramenée à l’insulte qui rabaisse, qui diminue, qui empêche d’avancer dans la vie. L’insulte comme cailloux dans la chaussure, jusqu’à en avoir les pieds en sang, jusqu’à ne plus pouvoir marcher. C’est terminé. La peur les a quittés au moment où le père s’est vu interdire l’accès au domicile, l’autorité judiciaire a agi dès mi-juillet. Les avocats insistent à l’audience sur les effets destructeurs d’un tel régime. La procureur insiste, elle, sur le fait que la loi interdit de traiter les autres ainsi.
Violences psychologiques : « Des agressions aussi graves que les violences physiques »
Monsieur dit qu’il a commencé à boire lors du décès de sa sœur, en 2010. Soit. Il dit aussi qu’en 2012, il a soupçonné sa femme d’infidélité. Soit. N’empêche qu’on est en 2020, remarque la présidente, et qu’il a eu le temps d’aller chercher de l’aide à l’extérieur, et qu’il ne l’a pas fait. Et puis, « on ne voit pas pourquoi, dans ce dossier, les enfants, qui n’y sont pour rien, ont fait les frais de la violence de leur père ». Aline Saenz-Cobo s’est levée pour prendre ses réquisitions : « Ce sont des violences psychologiques. La jurisprudence dit que les comportements dégradants, et les violences verbales répétées sont des agressions aussi graves que les violences physiques. »
« La société ne permet pas qu’on détruise psychiquement les êtres »
« Ils ont droit à la sérénité, ces enfants. La société ne permet pas qu’on détruise psychiquement les êtres qui vous sont chers, et envers lesquels vous avec une dette. Une dette juridique et morale, vis-à-vis de l’épouse. Une dette aussi envers les enfants qui n’ont pas demandé à être là, et que vous devez aimer, protéger, aider. Monsieur va devoir répondre de cette dette. »
On peut parier sans prendre un grand risque que monsieur n’avait certainement jamais envisagé la question sous cet angle, mais puisque selon les acteurs du jugement, il a « un long chemin à faire », alors il apprendra, puisqu’aussi bien tout s’apprend, y compris que de maltraiter son entourage est interdit par la loi.
Il aimerait faire des sorties avec ses fils, « chose que je ne faisais pas ».
A son crédit : il n’est pas pervers. Il est même simple : il reconnaît tout sans discuter, et dit aussi que « je me suis rendu compte, maintenant que je suis calme. Ça fait 3 mois que je suis seul. » Il est seul, il est calme : l’équation mérite d’être développée mais pour l’instant il ne voit que son médecin traitant deux fois par mois. S’il a arrêté de boire comme il le soutient, alors ça en valait la peine, mais la vice-procureur requiert un sursis probatoire de 2 ans (avec 10 mois de prison à la clé) et demande des soins encadrés par des spécialistes.
Il a revu ses fils, il espère que tout cela va s’apaiser, il aimerait faire des sorties avec eux, « chose que je ne faisais pas ». Il espère « repartir sur de bonnes bases ». Maître Sarikan est en défense. « Monsieur était en dépression, une dépression non soignée. Il ne faut pas totalement interdire le contact avec son épouse et ses enfants car ils doivent tous se reconstruire, ensemble. Vous devez le juger comme il est aujourd’hui : il ne boit plus. »
Sursis probatoire pendant 2 ans, pour prendre une autre voie
Le tribunal condamne ce monsieur âgé de 52 ans, au casier judiciaire vierge, à 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de soins en addictologie, et psychologiques. Obligation de travailler, d’indemniser les victimes*. Interdiction de contact avec madame et interdiction de paraître à son domicile. Ces mesures prennent effet immédiatement. Les enfants, bien que mineurs, sont grands, ça facilite les choses, et le foyer, délivré des intrusions blessantes du père aviné, retrouve la paix.
Florence Saint-Arroman
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