Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - « Ça fait trois ans que je conteste, ça fait six fois que je me présente devant vous : je n’étais pas sur les lieux, ce n’est pas moi. »
Publié le 27 Octobre 2020 à 21h11
Madame X est plutôt grande, elle présente bien, comme on dit, mais elle n’a pas pris de conseil juridique (avocat), elle aurait peut-être dû.
A l’audience du juge des contentieux de la protection* de ce mardi 27 octobre au tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, EDF est représenté par son avocate : l’entreprise, fournisseur d’énergie, réclame à madame X plus de 3 500 euros de factures impayées. L’avocate déroule ses arguments : madame X dit qu’elle aurait quitté les lieux en juillet 2017, donc on lui demande de résilier son contrat, or elle ne le résilie qu’en mai 2018, soit presque un an plus tard. Ensuite, madame soutient que les relevés des consommations sont inexacts, or c’est ENGIE qui relève les compteurs. EDF et ENGIE sont deux entités morales distinctes, donc si madame conteste les relevés, elle devait s’adresser à ENGIE. EDF demande donc que cette femme soit déboutée de ses demandes.
« Vous dites que vous n'avez pas de ressources, mais vous n'apportez aucun justificatif »
Madame X a la parole : « Je maintiens que ce n’est pas moi. J’ai quitté les lieux pour prendre un autre emploi dans une autre ville, en août 2017. » La présidente Sordel-Lothe qui l’écoute, glisse : « On se base sur le droit et non sur la bonne foi. Avez-vous une pièce justifiant que vous aviez résilié votre bail ? » La femme proteste : « J’attends encore ce document de l’agence immobilière. Je ne l’ai jamais eu. J’ai sûrement été négligente. » La présidente enchaîne : si jamais elle était condamnée à payer, demande-t-elle des délais de paiement ? La réponse fuse : « Bien sûr ! Je n’ai aucune ressource. J’ai perdu mon travail en novembre 2018. J'espérais que cette dette serait annulée. » L’avocate d’EDF : « Vous dites que vous n’avez pas de ressources, mais vous n’apportez aucun justificatif. » La femme se défend : « C’est pas l’objet des débats. » … La présidente insiste sur l’importance de ce que nous appelons « la paperasserie » : il faut garder les papiers, les documents, surtout quand il s’agit d’actes juridiques. L’avocate dit s’opposer à des délais de paiement, car la défenderesse ne produit aucun document à l’appui de ce qu’elle dit. « Je trouve ça regrettable comme décision », dit la femme. Mais en réalité la décision n’est pas rendue, elle le sera mi-décembre.
« L'huissier a demandé 500 euros par mois, comme ça, d’un coup. Et nous, on pouvait pas »
Une autre femme est appelée à la barre mais elle entend très mal et sa fille (ses déclarations nous font penser qu’elles sont mère et fille) vient l’assister et en réalité parlera pour elle, tant elle est impliquée elle aussi dans l’affaire. La plus âgée des deux a contracté un prêt de 4 200 euros auprès de FINANCO, organisme de crédit spécialisé dans les prêts personnels. L’avocate de FINANCO demande la confirmation de l’injonction de payer, déjà rendue par ordonnance. La femme explique la situation : « On s’était mis d’accord pour payer 200 euros par mois à l’huissier, et on payait. Mais un jour l’huissier a demandé 500 euros par mois, comme ça, d’un coup. Et nous, on pouvait pas. L’huissier était très désagréable et ne nous répondait pas au téléphone quand on l’appelait, du coup on nous a conseillé d’appeler le tribunal… »
Elles sont d’accord pour payer, « plus vite c’est fini, mieux c’est »
Elle dit que sa mère perçoit 1 400 euros par mois, qu’elle est propriétaire donc qu’elle peut rembourser un peu, « et moi je vais l’aider, et à partir de janvier on pourra payer 500 euros par mois sans souci ». Mais, ajoute-t-elle, « l’huissier nous a fichées à la Banque de France, et du coup, là, on a des travaux à faire, la chaudière à changer, et on peut pas à cause de ça ». Ce signalement à la Banque de France est normal, lui explique la juge, dès l’instant où on cesse de rembourser une dette. Bref, elles sont d’accord pour payer, « plus vite c’est fini, mieux c’est ». La présidente rendra sa décision mi-décembre.
La bonne volonté des gens est prise en compte, sous réserve qu'elle se vérifie
Aux audiences civiles, les gens sont souvent inquiets, bien sûr, car leur vie matérielle est en jeu, donc leurs vies tout court, mais l'ambiance est paisible, cela n’a rien à voir avec les audiences pénales. Les avocats et le magistrat dialoguent, la plupart du temps, dans la recherche de solutions réalistes et conformes au droit, le greffier est très sollicité. Et si les procédures exigent des pièces et des justificatifs, pour autant la bonne volonté des gens est prise en compte, sous réserve qu'elle se vérifie. Cette jeune femme qui est convoquée pour des impayés de loyers pourra en témoigner. L’OPAC sollicite son expulsion, au terme de plusieurs démarches destinées à trouver d’autres solutions, mais la jeune femme reste irrégulière dans ses paiements et inconstante dans son comportement. Sa dette se monte à plus de 1700 euros (loyer mensuel hors charges : 305 euros), et elle n’a rien remboursé. Seule une aide de 500 euros du FSL, fonds de solidarité pour le logement, en avait diminué le montant.
La période dite « juridiquement protégée »
Le temps de l’audience se suspend : juge et avocate reprennent les dates et les délais, car la période dite « période juridiquement protégée » instaurée dès le mois de mars dernier, en raison de l’état d’urgence sanitaire, reportait le délai de deux mois* auquel chacun a droit lorsqu’il reçoit un commandement de payer (et qui lui permet de régler ce qu’il doit, s’il le peut, et d’éviter les poursuites). Dans le cas de cette jeune femme, le délai, en tenant compte de la période juridiquement protégée, expirait début septembre, or l’aide du FSL a été versée plus tard, cela signifie qu’elle n’a rien régularisé pendant le délai, donc le bailleur maintient ses demandes.
La jeune femme est très calme. « Y a pas de souci », dit-elle. « Vous voulez rester dans les lieux ? » Elle ne sait pas. Elle explique qu'elle a eu un accident de voiture en novembre, 4 mois d'arrêt maladie. Puis il y a eu le confinement, elle n’a pas pu travailler. « Et là, je viens de trouver un travail. »
Un contrat de travail pour 24 heures mensuelles
Ah, cela pourrait être une porte de sortie par le haut. La présidente lui explique ce qu’est une clause résolutoire, entend que finalement la jeune femme souhaite rester dans le logement, et donc lui demande si en ce cas elle voudrait bénéficier de délais de paiement. « Oui. – Vous allez gagner combien ? – Je ne sais pas encore combien, j’ai signé le contrat de travail ce matin. Ce que je sais c’est que je vais travailler 24 heures par mois. » … Quelles sont ses ressources actuelles ? « Officiellement, rien. – Officiellement ? – J’attends l’allocation chômage de la poste, j’y ai travaillé un an. Pour l’instant, mon papa me donne 80 euros par mois, et (elle désigne du bras le fond de la salle) mon copain s’installe avec moi. » Le copain gagne ou perçoit 900 euros par mois, il demande à venir à la barre.
La juge veut l'enquête sociale
« Moi je peux proposer quelque chose, dit le jeune homme d’une voix assurée. Je peux donner 100 euros par mois, car j’ai 900 euros, et après, elle va travailler. » La présidente pense renvoyer le dossier, pour que la jeune femme vienne justifier de ses ressources (ses 24 h/mois, et une allocation chômage sans doute pour le travail effectué pendant un an). C’est là que l’avocate pointe l’inconstance de la locataire, qui a eu l’opportunité d’« un CDI en mai, qu’elle a rompu pendant la période d’essai. Et son compagnon n’est pas titulaire du bail ». Il prend donc un engagement qui n’engage que lui. « Ce qui m’embête, c’est que je n’ai pas le retour de l’enquête sociale », lui dit la présidente, qui finalement renvoie le dossier au 24 novembre : la jeune femme devra apporter tous les justificatifs de ses ressources et de ses charges, et l’enquête sociale devra figurer au dossier.
FSA
Note : nous ne rendons pas compte de tous les dossiers appelés à l’audience, cela n’est pas possible.
*Le juge des contentieux de la protection est un juge spécialisé du tribunal judiciaire ou du tribunal de proximité. Il est compétent notamment pour la protection des majeurs, les baux d'habitation, les actions relatives aux contrats de crédits à la consommation et le surendettement des particuliers. Le juge est saisi soit par requête, soit par assignation. Avant le procès, un règlement amiable du litige doit être tenté. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1783
** ce temps n’est pas un délai supplémentaire, il est plutôt un temps qui gelait la possibilité d’actions, donc le délai de deux mois était repoussé. https://www.lexbase.fr/encyclopedie-juridique/58371596-etude-application-pratique-des-nouveaux-textes-arn-de-maitriser-les-delais-de-procedure-civile-pour
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