Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Le 23 décembre dernier à 00H20, ils tendaient un guet-apens aux sapeurs de pompiers à Chalon

TRIBUNAL DE CHALON - Le 23 décembre dernier à 00H20, ils tendaient un guet-apens aux sapeurs de pompiers à Chalon


Quand le véhicule des pompiers arrive rue Saint-Helens à Chalon-sur-Saône, le 23 novembre dernier, il est minuit vingt. Le second confinement tient la population chez elle, la rue est déserte, le calme règne. Au milieu de la chaussée, une poubelle en feu. Le silence en devient angoissant. Les pompiers descendent du camion, sortent la lance, et les tirs de mortier* éclatent. « Un guet-apens », dit la représentante du SDIS 71, à l'audience des comparutions immédiates, ce jeudi 14 janvier 2021.

Un guet-apens tendu aux pompiers

Dans un contexte de violences urbaines, les poubelles crament volontiers et le protocole exige alors que les pompiers soient accompagnés par la police. Celle-ci arrive alors que des mortiers d’artifice sont tirés de manière tendue (et non en hauteur, comme le veut leur usage pour les feux d’artifice – cela en fait des armes par destination) et assaillent les sapeurs-pompiers. Ceux-ci reçoivent ordre de se replier, mais la conductrice doit contourner le camion car il est impossible d’ouvrir la portière côté chauffeur : les tirs sont trop importants. Le camion a des impacts sur la carrosserie, sur les vitres, sur le rouleau métallique du coffre de rangement, une portière est enfoncée. « Les pompiers sont tous très choqués, alors qu’ils sont préparés aux interventions. Ce guet-apens est intolérable, il a mis en danger les personnels alors qu’ils sont en mission de secours. »

De l’ADN et des empreintes sur un engin saisit par un policier

Les témoins (tout le quartier fut réveillé par les détonations) rapportent que des tirs contre les pompiers venaient de la rue Paul Eluard, du stade de basket, du square Ferry. Les tireurs sont mis en fuite par l’arrivée des policiers, lesquels ont craint, dit maître Bibard qui les représente, « de finir en torches humaines ». Ils parviennent à saisir un mortier entouré d’un masque : les analyses révèlent des empreintes sur l’engin, et un ADN sur le masque. Les deux sont ceux de G., né en Russie, dit-il, en 2001, arrivé en 2012 ici, avec sa famille. Le travail sur les images de vidéo-surveillance permet d’identifier un autre jeune. A 00h26, plusieurs coups retentissent du côté de la rue Edouard Benes. « Un engin à 8 coups automatique en 30 secondes » dit la présidente. Or ce jeune, K., né en 2000 à Autun, vit là, on le voit sortir à 23h19 puis rentrer dans le hall de son immeuble à 00h28.

Refus de donner accès aux contenus de leurs téléphones portables

G et K. sont dans le box. Interpellés le 12 janvier, ainsi qu’un mineur. Le parquet les poursuit pour des violences (les tirs) en état de récidive légale (les deux), pour la destruction de la poubelle, pour avoir détérioré le camion des pompiers, et pour avoir refusé de communiquer les codes d’accès à leurs téléphones. Maître Duquennoy pour K. et maître Dufour pour G. plaident que ce refus n’est un délit que dès l’instant où le téléphone a servi pour préparer le délit, justement, et que cela n’est pas établi. G. a refusé « parce que j’ai des trucs personnels dedans, je ne veux pas que les policiers y voient », il précise benoîtement qu’en plus de ça, les messages via Snapchat ne disparaissent qu’après 24 heures. Les prévenus n’ont pas voulu de délai pour préparer leurs défenses.

Leurs avocats plaident des relaxes

Ils contestent absolument avoir participé à ces attaques. Leurs avocats plaident des relaxes, plaident le manque de preuves, établissent que rien ne rattache leurs clients au feu de poubelle, et que finalement si le masque de G. se trouvait autour d’un des engins, c’est qu’on avait dû le ramasser là où il l’avait jeté, pour s’en servir ainsi. Maître Dufour insiste : l’ami de G. qui a fait les cent pas sur le perron du palais de justice jusqu’à 18 heures (mais K. et G. sont jugés en soirée) était prêt à venir crier l’innocence de son ami. Maître Duquennoy estime qu’au dossier ne figure qu’une infraction : K. a violé le confinement en restant environ 1 heure au milieu de la nuit, « pour fumer une cigarette » (pour ne pas choquer ses parents en fumant chez eux, dit-il) dans la contre-allée en bas de chez lui, un endroit que les caméras ne peuvent pas capter. 

« Toucher des pompiers, c’est pas un acte de bonhomme »

G soutient qu’un mâconnais était venu quelques jours auparavant, vendre des mortiers à la ZUP. C’est ainsi qu’il a laissé ses empreintes sur l’un d’eux, « je l’ai touché, j’étais curieux, madame, j’en n’avais jamais vu ». Pour le masque, mystère. « Vous ne trouvez pas ça curieux ? – Bien sûr, madame le juge, que c’est surprenant ! Mais je ne suis pas du genre à faire de tels actes, madame. Je réprouve ces actes contre les policiers et les pompiers. » En audition, K. a déclaré : « Toucher des pompiers, c’est pas un acte de bonhomme. » 15 tirs contre les pompiers, 14 contre les forces de l’ordre : c’était pas les bonshommes du quartier, donc. K., ce soir-là, n’a « rien vu, rien entendu ». « Vos propos ne collent pas aux constatations relevées » objecte la présidente. « Pourtant, même les enquêteurs qui m’ont interrogé il y a deux jours, m’ont dit que je dis vrai. » … A force de baratin, les juges s’agacent un peu.

« Si les enquêteurs avaient ouvert mon téléphone… »

« Vous contestez, mais alors il fallait donner l’accès à vos téléphones, ça aurait été une solution plus raisonnable que d’encourir une peine de prison. Je suis très étonné que vous ne cherchiez pas à vous disculper. » Et le jeune K., qui quelques secondes auparavant se targuait d’avoir le soutien des enquêteurs, de dire : « Dans tous les cas, si les enquêteurs avaient ouvert mon téléphone, pour eux je serais coupable. Ils me le répétaient : y avait un seul tireur (rue Benes), ça peut être que moi. » A son casier, deux condamnations par le tribunal pour enfant (TPE). Conduite sans permis et vol aggravé. G. aussi est passé au TPE : vol aggravé et outrage, rébellion, violence. Une admonestation pour recel. « Mais c’est fini, dit-il, je me tourne vers les études. » Il n’est inscrit nulle part. 

« Moi aujourd’hui je suis accusé pour des faits vraiment graves »

La procureur reprend les éléments incriminant les garçons, requiert la même peine pour chacun : 3 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire de 2 ans, obligations de travailler et d’indemniser les victimes. Les prévenus ont la parole après les plaidoiries de leurs avocats qui demandent des relaxes. K. : « Moi aujourd’hui je suis accusé pour des faits vraiment graves. Je ne voudrais pas que vous fassiez une erreur. » G. : « Je m’adresse au chef des pompiers (le chef du centre de Chalon est dans la salle). Je suis désolé. Je ne cautionne pas ce genre d’actes, je ne suis pas venu faire la guerre contre vous. »

 2 ans ferme, maintien en détention, puis 2 ans de probation

Après avoir délibéré, le tribunal relaxe les prévenus pour la dégradation de la poubelle (déboutera donc le Grand Chalon de sa demande d’indemnité), et aussi pour le refus de communiquer les codes d’accès à leurs téléphones. Les déclare coupable du surplus, les condamne à des peines de 3 ans de prison dont 1 an est assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans, obligations de travailler et d’indemniser les parties civiles. Interdiction de détenir une arme pendant 3 ans. Ordonne leur maintien en détention. C’est leur première condamnation en tant que majeurs.

 

FSA

Le tribunal les déclare par ailleurs solidairement responsables des préjudices causés, ils devront payer au SDIS 71, les 2 767 euros qu’a coûté la réparation de son véhicule et 300 euros pour ses frais de traitement de dossier. Ils devront indemniser 6 pompiers et 4 policiers à hauteur de 600 euros chacun. 9 000 euros en tout. A les en croire c’était pas des actes de bonshommes. Ces non-bonshommes (il va de soi qu'ils étaient plus que trois à agir) ne seront donc pas dérangés de les voir payer pour tous les autres.

* Les mortiers utilisés n’ont rien à voir avec des armes de guerre. Un mortier, c’est un dispositif explosif utilisé en pyrotechnie : https://www.liberation.fr/checknews/2019/11/05/qu-est-ce-que-les-tirs-de-mortier-qui-ont-vise-la-police-lors-des-affrontements-a-chanteloup-les-vig_1761617
Pour autant, ce sont des engins extrêmement dangereux : https://actu.fr/grand-est/boofzheim_67055/bas-rhin-un-jeune-homme-meurt-la-tete-arrachee-par-un-mortier-d-artifice-la-nuit-du-nouvel-an_38456407.html

Depuis 2017, la vente de ces engins est réservée aux professionnels : https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/les-mortiers-d-artifice-de-plus-en-plus-souvent-utilises-contre-la-police_2136205.html