Agglomération chalonnaise
L’armée lui a ouvert les yeux : Ömer Yalim, un parcours courageux
Publié le 13 Avril 2021 à 18h45
Info-chalon l’a rencontré pendant ce confinement : voici le portrait d’un homme qui a su s’ouvrir à d’autres cultures, d’autres valeurs que celles de sa communauté, sans pour autant renier le cœur de ses origines. Le parcours d’Ömer Yalim (à droite sur la photo), cogérant de « Saint-Léger Kebab », est un exemple à bien des égards.
Engagé dans l’armée à 18 ans, il a traversé les frontières, rencontré d’autres cultures, été témoin de la vraie pauvreté. Il a surtout connu une vraie famille, faite de valeurs de cohésion, de discipline, d’entraide et de respect de l’autorité : l’armée française.
Ses parents ont fui la Turquie et la pauvreté pour chercher en France une nouvelle chance. Ömer est l’un de leurs 5 enfants. Aujourd’hui, père à son tour, il gère avec son cousin un kebab dans la commune de Saint-Léger-sur-Dheune. Mais surtout, il est riche d’une expérience de vie qu’il souhaite partager.
Enfance tourmentée
Ömer est né en France. Son père travaille, sa mère est à la maison, elle ne parle pas la langue. De ses années de scolarité plutôt agitées, il ne retient que cet état de malaise qu’il ne peut ni expliquer ni comprendre : « J’avais une boule de rage en moi ». La communication dans la famille est absente. Ömer est, comme d’autres enfants de son quartier, livré à lui-même, souvent dans les rues. Devenu père de 3 garçons, il s’insurge : « Comment peut-on être parent et laisser ses enfants errer sans surveillance ? Devenir parent implique une responsabilité vis-à-vis de ses enfants : moi, je communique avec mes enfants, je m’intéresse à ce qu’ils font dans la journée, je leur inculque l’esprit de responsabilité. Tout parent doit guider ses enfants » Ses propres parents ont sans doute des circonstances atténuantes, « ils n’ont pas vraiment eu de parents eux-mêmes », modère-t-il.
Y aurait-il autre chose ? Oui, le manque d’ouverture à une autre culture que celle de la communauté, turque en l’occurrence. « Certains parents sont arriérés, ils enferment leur famille sur leur communauté, sans aucune ouverture sur les autres. Pas facile alors pour leurs enfants de prendre du recul et comprendre la vie. »
Grandir, accéder à une maturité implique de s’ouvrir à ce qui est différent, c’est sortir de sa zone de confort.
Voler de ses propres ailes
En réaction contre un horizon étriqué – le manque de structure familiale et le repli communautaire –, Ömer cherche un socle plus solide à sa vie. Cette énergie rentrée qu’il a en lui, il va devoir l’employer. Là, Ömer fera un choix commandé par un esprit de responsabilité : aider sa famille, surtout depuis que son père a été grièvement blessé à son travail.
En même temps qu’il passe son brevet de tourneur fraiseur au lycée du Creusot, Ömer se présente devant un recruteur de l’armée de sa ville, Autun. Il a 18 ans, agit de sa propre initiative, à l’insu de ses parents. « Ils n’auraient pas compris, explique-t-il. Quant aux garçons de mon quartier, ils me traitaient de traitre. »
Le recruteur lui demande les raisons de sa démarche : « J’ai dit que c’était pour le drapeau de la France, tout ça, alors qu’en réalité, je voulais gagner de l’argent pour ma famille, avoue Ömer. Mais ensuite, ce petit mensonge est devenu une vérité. »
Il n’a pas un sou en poche, l’armée lui paye le billet pour Nancy où il passera avec succès les épreuves. Ses résultats très satisfaisants le promettent dans quelques mois à la section des commandos parachutistes, très convoitée. Mais le départ en vacances de ses parents pour la Turquie le laisse à nouveau seul et désorienté. Il opte pour une affectation immédiate dans l’infanterie, à Colmar. « À la descente du train, je n’avais pas un sou en poche. Je suis monté dans un bus, l’ai avoué honnêtement au chauffeur qui m’a quand même mené devant la caserne 15.2 RI. »
L’armée, une véritable famille
« Dans l’armée, explique Ömer Yalim, j’ai trouvé un cadre, une cohésion, un esprit d’entraide et de confiance totale, quelle que soit notre culture. Nous étions tous soudés par un but commun : secourir et protéger, qui que ce soit. C’est aussi dans l’armée française que j’ai découvert l’esprit d’ouverture : je suis musulman pratiquant, on me laissait prier et je mangeais halal. L’armée a même engagé un aumônier imam sur les missions. J’y ai aussi appris une chose essentielle : pour savoir donner des ordres, il faut savoir les recevoir et donc accepter l’autorité. »
Cette expérience de 6 années dans l’armée a forgé la force d’esprit d’Ömer Yalim : « Elle m’a appris à devenir mature, à être responsable et non à me voir en victime. J’ai deux fiertés : la Turquie est dans mon cœur, c’est le pays de mes ancêtres ; et la France est mon pays, elle m’a tout appris, mes valeurs, mon indépendance et ma force de caractère. »
Leçon de vie : l’ouverture au monde
C’est en quoi le regard d’Ömer est exemplaire : il est porteur d’une parole courageuse, souvent tue par peur du jugement de sa propre communauté. L’indépendance d’esprit est une force de caractère.
« Je voudrais que mes garçons fassent l’armée. Je leur enseigne le respect de la hiérarchie et de l’autorité, à commencer par celle de leur enseignant. C’est ça qui les structurera. »
Un autre message qu’Ömer adresse aux jeunes de quartier : « Ils ont en eux une énergie qu’ils doivent employer. En s’ouvrant au monde. Car que savent-ils de la pauvreté ? Pendant nos missions en Afrique, je l’ai vue : c’est celle qui pousse un homme à proposer sa sœur ou sa mère contre de la nourriture ! Les jeunes ont tout et ils ignorent la chance phénoménale qu’ils ont, que la France leur offre. »
Lui-même a dû arrêter l’armée pour aider sa sœur à poursuivre ses études supérieures. « Mon père refusait de financer son école privée. Pourtant ma sœur Huriye a été courageuse : en parallèle de son BTS (obtenu avec mention), elle travaillait à mi-temps. »
Aujourd’hui, à l’issue de l’IFAG d’Auxerre, Huriye Beyargum occupe un poste de responsable chez Orange. C’est la plus diplômée de la famille.
Ömer Yalim a construit sa vie. Il est la preuve que, lorsqu’on surpasse le repli communautaire, on prend sa vie en main et on en sort grandi.
Le Saint-Léger Kebab existe depuis 7 ans à Saint-Léger-sur-Dheune, une longévité qui s’explique par leur sérieux. Nul doute qu’on peut y faire escale pour se restaurer et, pourquoi pas, venir saluer les patrons.
Par Nathalie DUNAND
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