Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Le 8 décembre dernier, il s’est énervé si fort contre elle qu’elle s’est réfugiée, en pyjama, chez une voisine.
Publié le 27 Avril 2021 à 08h20
Choquée, apeurée, en larmes. Il était environ 19 heures. La victime a 80 ans. Ce 26 avril 2021, monsieur X doit répondre de ses actes devant un tribunal. « C’est un désaccord qui a mal tourné. – Ça ne fait pas beaucoup de remise en question, monsieur, pour quelqu’un qui est sous contrôle judiciaire depuis le 24 décembre dernier. »
Un contrôle judiciaire assuré par l’association enquête et médiation (AEM) qui fait du bien à ce monsieur, lui-même âgé de 78 ans et qui en réalité vrillait lentement mais sûrement au fil des mois. Sa compagne et lui vivaient ensemble depuis une vingtaine d’années, mais ces dernières semaines, le voisinage avait remarqué que l’état général de cette dame se dégradait (perte de poids, s’isolait dans la voiture) pendant qu’en parallèle son comportement à lui devenait de plus en plus inquiétant y compris avec des voisins. « D’autant que vous vivez pas loin de l’immeuble dans lequel cet été quelqu’un a tué un voisin avant de mettre le feu » explique la présidente Catala, qui juge seule.
Après son arrestation, il est d’abord hospitalisé sous contrainte
Le prévenu se montrait intolérant, passait son temps à mettre des mots aux uns et aux autres, et manifestement avait /a un contentieux plus vif avec un voisin. Sa compagne, absente à l’audience (elle s’est d’abord réfugiée chez une de ses filles, puis s’est réinstallée, ailleurs), a déclaré qu’il la réveillait, qu’elle l’avait retrouvé en pleine nuit assis sur une chaise contre la porte d’entrée de l’appartement, un couteau à la main, disant qu’il allait saigner le voisin. Elle, forcément, ça l’angoissait tellement qu’elle a commencé à décliner, jusqu’au 8 décembre : la police est intervenue, a pu constater son état. Fin de la vie commune. Monsieur est d’abord hospitalisé un moment à Dracy, puis placé sous contrôle judiciaire et marqué à la culotte.
80 ans, 8 jours d’ITT
Toute la journée du 8 décembre, il s’était montré infect avec elle, et le soir, en furie, il lui a arraché des mèches de cheveux, l’a poussée, l’a tapée, tsss. Un médecin a examiné la dame, a fixé 8 jours d’ITT, a constaté les cheveux arrachés, la perte de poids (10 kg !), et « un traumatisme majeur ». Que dit l’ex, à la barre ? « J’ai pas eu de chance ce jour-là, je me suis énervé, j’aurais pas dû. » La juge lui demande si des fois, ça serait pas madame qui n’aurait pas eu de chance ? Ah oui, bien sûr. Mais encore ? « Le premier confinement s’est passé très bien. Le deuxième a été épouvantable. Elle ne voulait pas faire à manger. Elle disait ‘t’as qu’à aller au restaurant’. Elle sait très bien que tout est fermé ! » On entend une pointe d’indignation mais la juge n’est pas solidaire : « Et pourquoi vous ne faites pas à manger vous-même, monsieur ? Ou les courses ? » On apprend que s’il s’agit de faire une choucroute ou un cassoulet, alors là c’est toujours lui qui s’y collait. Bon.
Une fête Corse inconnue du tribunal est invitée aux débats
Il a trouvé le moyen de se pointer à un rendez-vous à l’AEM avec son couteau, effrayant tout le monde, il en rit comme d’une bonne blague. La juge ne rit pas : « Qu’est-ce qui s’est passé avec votre compagne et le couteau ? – Rien. – Vous ne lui avez pas dit ‘je te saigne’ ? – Ah non ! » L’instruction ne manque pas d’être distrayante puisqu’on apprend ensuite que monsieur avait des fumigènes, « vous avez fait peur aux voisins ». Alors, pourquoi avait-il des fumigènes ? C’était des fusées de secours sur son bateau, bateau qu’il n’a plus depuis plus de 10 ans. Et donc ? Donc le prévenu se lance dans une histoire, comme quoi c’était pour célébrer « une fête Corse ». « Je suis un peu de descendance corse, mais de très très loin. On a une tradition de faire un feu d’artifice, mais j’avais que des fumigènes. »
« Mon manger est livré, grâce à l’AEM »
Lors de son hospitalisation, d’abord contrainte puis volontaire, un médecin constate « des troubles cognitifs importants » et lui a prescrit un médicament qui lui fait un bien fou. Avant, des acouphènes l’empêchaient de dormir, désormais il dort. Et puis il marche droit, et puis il se débrouille et ça va. Le médicament est prescrit en traitement de la schizophrénie ou de la bipolarité. « Je me sens autrement mieux ! Je vais en commissions, je fais mon ménage, ma lessive. » Sinon, « mon manger est livré, grâce à l’AEM. » Qu’on mesure, au passage, le travail social fournit par l’association socio-judiciaire, comme par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Ce monsieur allait mal, et de plus en plus mal, comportements et humeurs déréglés, sa compagne en a souffert mais sans doute n’a-t-elle pas pu/su identifier le mal qui rendait son homme zinzin. Lui, il a eu des enfants, mais rupture de relations il y a 20 ans, quand il s’est remis en ménage. Résultat, pas de regard extérieur. Il a fallu en arriver à un ultime passage à l’acte pour que la prise en charge médico-sociale se fasse, sous main de justice.
Altération de son discernement
Avec tout ça, sa vie commune est bien terminée. « Jamais plus ! Parce que l’argent, c’est pas mon sport. » Il désigne deux petits pécules dont sa compagne venait d’hériter. « Elle garde son argent mais ne vient pas chez moi. » Pour le coup, il y aurait une pointe de jalousie ou de dépit, on ne serait pas étonné.
Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, requiert une peine de 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec des soins et interdiction « absolue » de contacts avec madame. Maître Fournier revient sur « le contexte de survenance des faits », puisqu’à 78 ans, « monsieur est inconnu de la justice ». L’expert psychiatre avait conclu à l’altération de son discernement au moment des faits.
2 ans sous main de justice, 8 mois de prison en sursis
Le tribunal déclare monsieur coupable, retient l’altération du discernement, le condamne à une peine de 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de soins psychiatriques, interdiction de contact avec la victime et de paraître à son domicile, obligation de l’indemniser « parce que vous lui avez fait très mal et très peur ».
« Il a peur d’être interné »
La présidente explique la peine, « et si vous entendez des bruits, que ça ne va pas, vite vous appelez le psychiatre et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). L’idée c’est qu’on ne vous voit plus avec un maillet, un couteau, des fumigènes. (« Je ne les ai plus, la police me les a pris ! ») Les voisins sont inquiets et je les comprends un peu. » Il aura rendez-vous non plus à l’AEM, mais au SPIP, « ce n’est pas très loin de chez vous ».
Ce changement inquiète le prévenu : « Je serai la journée complète chez eux ? - Non, non, monsieur. » Son avocate intervient : « Il a peur d’être interné. » Le vieux monsieur confirme : « J’ai peur de Sevrey*, là-bas ! Faut que j’arrive à 78 ans pour avoir un truc comme ça ! » (On songe que sa compagne – 20 ans de vie commune, tout de même, c’est pas rien – aura, elle, attendu ses 80 ans pour être ainsi maltraitée) La présidente conclut : « Vous y allez tranquillement, c’est pas la peine de faire votre valise. »
Florence Saint-Arroman
* Il parle du CHS situé sur la commune de Sevrey, et qu’on désigne souvent par le nom de la commune, de même qu’on désigne souvent le centre pénitentiaire, en disant « à Varennes ».
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