Faits divers
Procès de Valérie Bacot - « Quand on me dit qu’il a disparu, honnêtement je m’en fous »
Publié le 23 Juin 2021 à 22h03
Un homme disparaît, le 13 mars 2016. Personne ne s’en soucie. Il disparaît, et voilà. A l’automne 2017, on découvre son corps, face contre terre, en état de décomposition, enterré à environ 25 cm de profondeur, sans autre forme de ménagement. Il a été tué. Au procès de celle qui a reconnu l’avoir tué : personne pour pleurer sa mort.
C’est un fait inhabituel. En dehors du plus jeune des fils de Daniel Polette, qui est encore mineur, et pour lequel le conseil départemental 71 se constitue partie civile en sa qualité d’administrateur ad-hoc, personne, rigoureusement personne ne s’est manifesté. Voici deux témoignages qui ont secoué la salle d’audience mais aussi la salle de retransmission, ce mercredi 23 juin en fin de journée, et qui raconte un peu celui qui ne manque à personne.
Daniel Polette avait 7 frères et sœurs. Il avait eu 3 fils d’unions précédentes, et les anciennes compagnes sont venues témoigner. En fin d’après-midi, la présidente a fait venir, l’une après l’autre, deux de ses sœurs. La première, vivante, expressive et cash, a envoyé du bois. La seconde, minée par la souffrance et très abîmée par une vie bousillée par son frère Daniel, dit-elle, a généré pas mal d’émotions.
Mireille porte la vox populi dans la salle des assises
C’est un bout de femme au corps et au ton toniques. Elle a 56 ans, son frère Daniel avait 6 ans de plus qu’elle. « J’ai connu Valérie quand sa mère s’est mise en ménage avec mon frère, mais déjà, lui, je ne le voyais plus. Quand j’avais 24 ans, j’ai appris d’une de mes sœurs ce qu’il lui avait fait subir. Violée, tabassée. Une fois on a vu Valérie, chez notre mère, sur les genoux de Daniel. Ma sœur m’a dit ‘Je te parie qu’il fait la même chose qu’avec moi’. On est allées voir une assistance sociale. Mon frère, c’était un pervers, donc on a déposé plainte. Il est allé en prison, et, comble de l’horreur, j’apprends que sa mère emmène Valérie voir mon frère en prison. (Ce n’est pas tout à fait la réalité, mais la réalité n’est pas chouette pour autant, ndla) Moi je suis très en colère contre la justice parce que, comment Valérie a-t-elle pu aller le voir ? (Les permis de visites étaient refusés à la jeune victime, ndla) Et j’étais très très en colère : il a eu 4 ans et il en a fait 2 et demi ? Je suis choquée, je suis choquée. Il ressort et il peut retourner chez cette femme qui n’a rien compris ? On était allées à son magasin pour nous excuser d’avoir un frère aussi tordu, et elle nous a fait un sketch, ‘vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait’ ! Et je suis très en colère contre la justice, parce que je trouve qu’en France, ces gens-là, on ne les punit pas, quoi ! »
Sur son enfance
« On avait tous peur de lui. Moi, je sais pas à quel âge il a commencé à être détraqué. Il a bousillé la vie de ma sœur. Mon frère, j’ai du mal à dire son prénom. On a tendance à l’appeler ‘l’autre’. Il me donne la chair de poule, ce garçon, il est terrorisant. Je pense que c’est quelqu’un qui aime les petites filles, parce que les femmes, il en avait quand il voulait, hein, donc. Quand on me dit qu’il a disparu, honnêtement je m’en fous. Il ne peut pas me manquer. (…) Pour moi, Valérie, c’est une victime. Moi, je l’ai vécu. Je sais de quoi il était capable, personne n’a jamais bronché. Lui, on ne le quittait pas comme ça. Celle qui a pu divorcer, c’est qu’elle avait des parents posés, et un frère. La différence, c’est que Valérie n’a personne. » Elle revient sur son enfance : « Il n’avait pas la loi, mon père. » Elle mime une scène. Son père mange sa soupe, et le fils met des coups de latte dans les pieds de la chaise jusqu’à ce que le père tombe. Puis elle brandit un poing qu’elle abat sur le corps imaginaire du père au sol. « Il n’avait besoin d’aucune raison pour mettre des raclées. Moi j’ai pas eu de peine pour mon frère. Faudra m’expliquer quel nom ça porte, d’être comme ça. »
Monique
Mireille prévient la cour que sa sœur fait des malaises, et « quand elle tombe, elle tombe comme ça ». L’huissier lui apporte une chaise, elle restera à proximité, et la présidente fera assoir le témoin sur le petit banc de la barre.
« J’ai été violée à l’âge de 12 ans par mon frère. » Elle décrit une scène. « Mon frère me dit : Si tu dis quoi que ce soit - il lui place un 22LR sur la gorge -, une balle pour toi et une balle pour la maman, si tu parles. » Puis elle continue, et son récit, que nous ne retranscrivons pas en entier, est éprouvant pour tout le monde.
« Moi j’ai jamais pleuré. Il me tapait tout le temps, il avait tellement peur que je parle. J’étais son esclave. Je ne sais pas pourquoi il s’acharnait sur moi. J’ai jamais pleuré. Il me disait : Que j’apprenne jamais que tu as un petit copain, sinon je le tuerai. Tu dois faire tout ce que je dis, sinon la maman, elle y passera. »
Elle dit avoir fait une tentative de suicide, à l’âge de 13 ans, en prenant des cachets. « Et j’ai pris une arme, j’ai dit faut que je le tue. J’aurais dû. Valérie ne serait pas là. C’est mon plus gros regret. Pour moi c’était un bourreau, il me violait et me frappait. C’est trop facile de profiter d’une gosse de 12 ans. Mais pourquoi moi ? J’ai jamais compris. C’est trop horrible. Le sang, les cris, les armes, on a grandi là-dedans. »
Elle est assise, les genoux joints, les pieds tournés en dedans. « Il me disait : Tu finiras sur le trottoir, t’es qu’une putain. Mais je pleurais pas. Un jour j’ai appelé le juge des enfants, je pleurais. J’ai dit si vous venez pas je me tuerai. Il est venu. Je suis partie en foyer, et lui il est resté à la maison. Je suis tombée dans l’alcool, le foyer m’a mis dehors. T’es infernale on me disait. C’est sûr j’avais la violence en moi. »
La femme gémit. Elle sanglote. Elle poursuit son récit encore un temps puis s’arrête. La présidente Therme ne veut pas l’interroger, elle estime que c’est suffisant et il est à craindre que la malheureuse n’en supporte pas davantage, « tout le monde a compris que ça vous a détruite ». Maître Tomasini toutefois veut poser une question, dans la salle on réagit, « est-ce que c’est nécessaire ? ».
L’accusée a la parole
« De ma mère (entendue ce matin) je n’attendais rien du tout, pour moi, elle n’existe pas. Mais ça m’a quand même soulagée qu’elle dise un ‘peut-être’. Avec mes thérapies, j’ai passé le cap d’attendre des réponses. (…) Avec mes enfants et la famille P. on va fabriquer une famille (beaucoup d’émotion dans la salle). J’espère que ce jugement nous permettra de passer une page, et même pour eux. J’ai trouvé du soutien dans mes suivis (obligations du contrôle judiciaire, ndla), et qu’on pourra être heureux, et gagner contre lui, mentalement. »
Florence Saint-Arroman
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