Faits divers
ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE – Procès de Valérie Bacot - L’avocat général a requis une peine qui évite une nouvelle incarcération à l’accusée
Publié le 25 Juin 2021 à 18h59
« Elle a un emploi, je crois que ses enfants ont besoin de la voir. La peine doit accompagner cette renaissance. »
Quand Daniel Polette, le beau-père de la très jeune Valérie Bacot à l’époque, était incarcéré, la jeune ado avait obtenu deux permis de visite au cours de l’été 95. Puis un expert psychiatre et le juge ont estimé que cela était mauvais pour elle, et tous les permis de visite demandés ont ensuite été refusés. Voilà un des éléments de réalité mis à mal par la défense de l’accusée qui s’obstine à brandir une contre vérité pour mieux renforcer l’idée que décidément l’institution judiciaire de la République française est pourrie et jouirait peut-être, au point où on en est, de participer au massacre d’un enfant. Comme on l’écrivait hier, un peu de mesure aurait été la bienvenue dans le traitement d’une histoire qui, elle, en a manqué. Manque de mesure, manque de bonnes limites, surtout. Pas de tabou de l’inceste, pas de tabou de l’interdit de tuer.
Plaidoirie de la partie civile
C’est en ce sens qu’a plaidé maître Saggio hier jeudi 24 juin en fin d’après-midi. Une plaidoirie en présence du dernier fils de la fratrie. Un garçon né en 2006, qui aura bientôt 15 ans, dont il est dit qu’« il va bien ». L’administratrice ad-hoc, Florence Baillet, est présente depuis l’ouverture du procès. À travers elle, c’est le conseil départemental 71 qui a pris la responsabilité de veiller aux intérêts du garçon. L’avocate commence par saluer des qualités de mère dont l’accusée a fait preuve, mais revient sur ce que le dernier des fils a vécu. « Il parle peu. Qu’est-ce qu’un enfant peut dire d’un père, qui fut le compagnon de sa grand-mère, et qui a violé la mère (de son futur fils, du coup, ndal) à ses 14 ans ? Qu’est-ce qu’il peut dire d’une mère qui tue son père d’une balle dans la tête ? Qui demande aux fils aînés de participer à l’enfouissement du corps de leur père ? Qui demande qu’on cache les preuves ? Qui a des relations sexuelles avec le copain de sa fille ? Qu’est-ce qu’il peut dire de ses frères et sœur qui gardent le secret de la disparition de leur père qui est aussi le sien ? »
« L’interdit de l’inceste n’a pas existé, il faut que l’interdit du meurtre fonctionne »
« Je ne crois pas qu’on puisse faire feu de tout bois. Les quatre enfants travaillent ou sont en formation. Ils tiennent debout. Et pourtant, n’en déplaise, ils ont été élevés par les deux parents. » Maître Saggio rapporte différents témoignages, « ils allaient à la pêche », « ils avaient des quads, des motos, ils étaient gâtés », « il paternait ses enfants ». Déclarations qui tranchent avec les témoignages à la barre. Le dernier fils avait déclaré, lui : « C’est plus calme depuis qu’il est parti. »
L’avocate retrace les placements du dernier fils après l’interpellation de sa mère et de ses frères et sœur. Elle revient sur les propos de sa sœur, à la barre, « sur le geste de sa maman » : « On est tous soulagés, je ne lui en veux pas. » « Par cette réponse, la mort donnée par l’accusée est légitimée par ses enfants. Il est à mon avis indispensable qu’autour du crime, la loi passe et vienne faire tiers dans ce huis-clos familial complètement dysfonctionnel, et ce, d’autant plus que madame Bacot dit avoir commis ce crime pour ses enfants. Ce garçon a besoin d’intégrer l’interdit. L’interdit de l’inceste n’a pas existé, il faut que l’interdit du meurtre fonctionne. »
Réquisitions – « la loi qui a tellement manqué dans ce parcours de vie »
« L’application de la loi qui a tellement manqué dans ce parcours de vie » : ce vendredi 25 juin, Eric Jallet, avocat général, a requis. « C’est l’affirmation des valeurs structurelles de la civilisation qui nous permettent de vivre ensemble. Protéger la vie. C’est quoi une société où on se fait justice soi-même ? » Le magistrat insiste : chaque dossier a ses particularités, on ne peut pas généraliser. Il envisagera le droit positif qui interdit de tuer, la notion de libre-arbitre, et la personnalité de l’accusée. Dès l’enfance de Valérie Bacot se dessine une configuration qui fait d’elle « une victime idéale pour un pervers sexuel ». « Recherche d’affection, mère très peu protectrice, et, déjà, on lui a coupé la langue : elle ne dit rien de ce qu’elle subit. »
« Sa mère l’a plongée dans un engluement »
Sur la correctionnalisation des faits pourtant passibles de la cour d’assises, en 1996, une explication. La victime ne dit pas que l’agresseur a été violent. « Quand la victime dit ‘j’ai dit oui’, la crainte du magistrat instructeur c’est d’aller aux assises avec un dossier qui ne tient pas. Alors, c’est peut-être horrible, mais c’est comme ça : pour éviter un acquittement aux assises, on va en correctionnelle et on obtient une condamnation pour agression sexuelle. » Lorsque l’agresseur revient au domicile de la mère de Valérie, il recommence, « les viols sont intégrés, il n’y a pas de résistance, elle dit qu’elle l’aime, et très vite elle est enceinte. Sa mère l’a plongée dans un engluement. Puis elle part avec lui, et il y aura environ 20 ans de vie commune, et 4 enfants naissent. Comment imaginer 20 ans de calvaire sans que personne ne voit rien ? Tous les jours, on a des signalements, mais elle, on lui a coupé la langue. Elle a intégré la domination et l’emprise de Daniel P. sur elle, et il est capable de souffler le chaud et le froid. Elle ne peut pas aller voir les gendarmes, la peur est ancrée en elle. »
« C’est une violence insupportable qui est faite à ces enfants »
« Qu’est-ce qui va conduire au crime et sortir de l’emprise ? La prostitution est un aménagement pervers de Daniel Polette. Valérie Bacot ne s’y oppose pas, mais ne peut pas l’accepter pour sa fille. Elle va ruminer et prend la décision de protéger ses enfants : c’est cela qui la fait réagir. C’est une femme-enfant figée dans ses 14 ans, sans autonomie. Elle va en prendre pour eux. » L’avocat général démontre ce qui relève de la préméditation. L’épisode du Stilnox dans le café, puis la femme apprend qu’elle a une passe ce soir-là, elle va chercher l’arme, vérifie qu’elle est chargée, prend des munitions. Elle subit ce soir-là la violence d’un autre agresseur, le « client ». Puis on connaît la suite. Ensuite « elle entraîne les enfants dans l’enfouissement du cadavre de leur père. Elle ne voyait d’autre solution, mais c’est horrible. C’est une violence insupportable qui est faite à ces enfants. »
« Nous, communauté humaine »
Eric Jallet demande à la cour de retenir l’altération du discernement, mais surtout pas l’abolition qui suppose qu’il n’y ait plus de rapport avec le réel au moment du passage à l’acte. « Son geste est utilitariste, elle sait ce qu’elle fait. » Il requiert une peine. « Nous, communauté humaine, on ne peut pas accepter qu’on prenne une vie. Toute vie. » Parce que l’avocat général estime qu’il faut « prendre en considération tout le contexte », « un emploi, le développement des enfants, je crois qu’ils ont besoin de voir leur mère », il demande une peine mixte : 5 ans de prison dont 4 ans seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 3 ans, avec une obligation de soins. L’accusée a déjà fait quasiment 1 an en détention provisoire. Valérie Bacot se tourne vers ses avocates qui lui expliquent la peine requise, puis fait un malaise. L’audience est suspendue, le SAMU arrive. On reprend à 13 heures.
« Ce n'est pas elle qui aurait dû se retrouver devant vous »
« J'ai l'honneur de plaider pour Valérie Bacot et pour toutes ces femmes. Si je peux plaider, c'est qu'elle est vivante, qu'elle est sortie des griffes de Daniel Polette. Ce n'est pas elle qui aurait dû se retrouver devant vous. C'est son violeur, son proxénète. » Maître Janine Bonaggiunta plaide la première, elle retrace elle aussi l’histoire depuis l’enfance, cette enfance si peu considérée, déjà malmenée, puis victime d’un crime, des viols, par un homme qu’elle avait rapidement investi comme un adulte protecteur, de 24 ans plus âgé qu’elle. L’avocate relate les différentes violences dont l’accusée a dit avec constance être victime, le récit est dur. Les mots dévalorisants, les exigences arbitraires, la roulette russe, puis la prostitution, « le psychiatre a été clair : c'est la perversion extrême ».
« Valérie n’est pas une femme violente »
« Le psychiatre a parlé du syndrome de la femme battue. Il a aussi évoqué le syndrome de Stockholm. » « Valérie n’est pas une femme violente, elle ne l’a été qu’une fois, plaide maître Bonaggiunta. Et elle n’est pas devenue violente ensuite. » Maître Tomasini ferme la marche. Elle plaide contre la circonstance aggravante d’assassinat : « Elle ne peut être retenue. » Elle veut faire tomber la préméditation, ça passe par dire que la tentative d’empoisonnement n’est pas imputable à l’accusée, « même si elle a pu dire le contraire. Elle a toujours voulu prendre la responsabilité de tout ». L’avocate plaide l’irresponsabilité pénale. « Elle a eu un geste automatique. » Et, sans surprise, demande l’acquittement.
« Je dis pardon à mes enfants… »
L’accusée a la parole en dernier. Nous sommes dans la salle de retransmission, on la voit de face, elle est épuisée, exténuée. « Je dis pardon à mes enfants, aux enfants qu’il (Daniel Polette) a eus avant, à sa famille, à ses ex-compagnes. Et merci à vous tous, de m’avoir écoutée, de m’avoir appris beaucoup de choses, ce qui j’espère, m’aidera à passer cette étape, et merci d’avoir écouté sa famille et ses compagnes, qui portent encore un fardeau. Je ne pense qu’à une chose, c’est d’être avec mes enfants et mon travail, et surmonter un peu tout, pour être comme vous tous, quoi. Juste, merci. Je suis contente de voir que maintenant on a notre famille et nos amis. Et que ça fait du bien de pouvoir se reposer sur les autres aussi, et j’en ai besoin. »
Le verdict est attendu dans la soirée.
Florence Saint-Arroman
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