Faits divers
Braquage d’un bureau de tabac à Chalon sur Saône : 27 mois de prison pour le jeune chalonnais
Publié le 13 Juillet 2021 à 21h00 , mise à jour le 13 Juillet 2021 à 21h01
« Quel âge avez-vous, monsieur ? - J’ai 19 ans. - Vous avez 19 ans, vous êtes jugé en comparution immédiate pour avoir braqué un bureau de tabac, et vous pensez que tout va bien ? » La présidente Clara Verger résume ainsi la difficulté du dossier.
Le 4 juin dernier, ce jeune homme a pris un sac, a mis un couteau dedans, un grand couteau, s’est vêtu de noir, une cagoule sur la tête, est entré dans un bureau de tabac de Chalon-sur-Saône, a sorti le couteau, « si vous ne me donnez pas tout ce que vous avez, je vous bute ». Il fut mis en fuite par le chien, mais une fuite sans trop de hâte. Il a jeté le couteau dans une bouche d’égout pas loin. Dans son sac, retenu par l’employée du magasin, les enquêteurs trouvent un avis d’infraction SNCF portant l’identité du garçon.
« Il est dans son monde »
On peut lire ici https://www.info-chalon.com/articles/2020/05/14/44225/TRIBUNAL-DE-CHALON-Le-confinement-n-etait-pas-apprecie-et-encore-moins-respecte , et là https://www.info-chalon.com/articles/2021/06/08/50173/tribunal-de-chalon-vol-aggrave-dans-un-bureau-de-tabac-le-prevenu-a-19-ans/ , le récit des audiences précédentes.
Ce lundi 12 juillet, sa mère est venue. Elle est dans la salle. Son fils accroche son regard au sien. Il échangera de nombreux regards avec elle, illustrant le propos de la procureur : « Il est dans son monde. » Pourtant, et ça n’aidera pas la défense, l’expert psychiatre qui concluait à l’altération du discernement du jeune homme, conclut un an plus tard, dans l’expertise fraîchement rendue, que pas de souci, ni abolition, ni altération. Allez comprendre.
« La prison, c’était pour me couper du monde »
Le jeune prévenu est incarcéré depuis le 6 juin dernier. Il débite les mêmes propos contradictoires qu’à l’audience précédente, il semble tout autant détaché, comme abstrait de ce qui le concerne, de ce qui pourrait le toucher. Il garde une position un tantinet dominante. Il se dit désolé pour les victimes, alors que « pour moi, y a pas de conséquences » -sic-, et offre de temps à autre un visage radieux à sa mère. Illuminé, plutôt, et que pour elle. « Dans ma tête d’un côté j’avais envie d’aller en prison. Avec mon père ça se passait mal. La prison, c’était pour me couper du monde. Mon père me soule tellement. La prison, ça me permettait de me reposer. » Il a écrit à son père, pour lui dire qu’ils pourraient repartir à zéro. Il attend sa réponse. « Qu’on s’aime, on le sait, c’est pas un problème. »
Un braquage ?!
« Je pense que c’est totalement idiot. Si on était en manque de moyens… mais dans ma famille on n’en manque pas. Ça fait 2 mois (1 mois, ndla) que je suis à Varennes. Je me suis dit c’est complètement idiot. » Un des deux employés du tabac est à la barre. Il se dit « marqué ». « Personne ne devrait avoir à vivre ça. » Il ne comprend pas un tel passage à l’acte alors qu’il a appris de quelle famille vient le garçon, « je les ai servis quand je travaillais dans un restaurant. Je souhaite personnellement que cette personne reste en prison. »
« C’était un acte préparé. Un couteau, une cagoule. Et son comportement est inquiétant. Il est totalement détaché, il est dans la rigolade. Il vient dire aux victimes qu’il n’y aura pas de représailles ?!! Merci, monsieur ! … J’attendais des excuses » plaide maître Bibard pour les victimes du bureau de tabac et les policiers victimes de menaces de mort et de crachats.
Le prévenu est hors plaque
Le prévenu regarde sa mère, fait quelques mimiques qui pourraient signifier que décidément ce qui les unit échappe à tout le monde, à toute cette société indifférente à l’immense injustice et à l’immense angoisse qui le frappent. Les policiers représentent quelque chose d’une autorité, d’un principe de raison, dont le gosse ne veut pas. Ils s’en sont pris plein la tête, d’insultes, de menaces de mort et de crachats. « Ils n’avaient pas été cool avec moi. » Le concept de cool attitude quand on arrête un individu qui a menacé deux commerçants d’un couteau dont la lame faisait plus de 20 cm pour les voler… comment dire ? Le prévenu est hors plaque. Le psychiatre écrit que sa consommation de cannabis ne peut pas l’aider à réguler ses humeurs. Immature jusqu’au bout, le prévenu dit consentir à essayer de rencontrer un thérapeute, si ça peut faire plaisir… à passer un bac, si ça peut faire plaisir… La question n’est pas de « faire plaisir », lui rappelle la présidente, mais de savoir comment il envisage de se sortir de son bourbier. A ce stade, il ne l’envisage pas vraiment.
« Le monde de l’égocentrisme »
« On est frappé par le décalage entre ce que vivent les victimes et ce que dit monsieur. Sa place n’est pas en prison, dit-il ? Si ! Quand on est dans ce type de passage à l’acte, sa place est en prison. » Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, liste tous les décalages qu’elle a relevés, et conclut : « Il y a un décalage entre la réalité et monsieur. Il est dans son monde. Le monde de l’égocentrisme et de l’intolérance à la frustration. Ce n’est pas un gamin des rues, sa famille a pignon sur rue. La réalité est qu’il y a des règles et des lois qui mettent des limites à nos envies. Cela permet de vivre en société et de protéger les autres. Il se réfugie systématiquement derrière la maladie de sa mère, mais il y les autres, aussi, et les autres ont des mères, et il arrive qu’elles soient malades elles-aussi. La réalité de monsieur n’est pas compatible avec la nôtre. Alors, tant que c’est comme ça, sa place est en prison. » La procureur requiert une peine de 4 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire renforcé pendant 3 ans. Elle demande la révocation intégrale de 9 mois de sursis. Et son maintien en détention. Le prévenu n’est pas démonstratif, mais son visage est plus grave.
« Il y a une situation symbolique, dans ce dossier »
L’avocate de la défense, faute de pouvoir s’appuyer sur une expertise psy dont la conclusion reste incompréhensible, se rapporte aux éléments communiqués par le médecin que le jeune garçon voyait dans le cadre de l’obligation de soins pendant son sursis mis à l’épreuve. Fin mai dernier : « aboulie, incapacité à ressentir une émotion positive, émoussement des affects ». « Il y a une situation symbolique, dans ce dossier », insiste maître Peleija. Sa mère dit que son comportement s’était dégradé depuis 1 mois. Il passe à l’acte le jour où son père partait en week-end avec quelques amis, « pour son plaisir » précisait le prévenu qui en a gros sur la patate. Le jour du braquage il prend un sac dans lequel se trouve son identité. Pendant sa garde à vue il a bouché les toilettes de sa cellule. Il a dit vouloir l’inonder, pour s’y baigner. Ce détail évoqué à l’audience fait marrer le gamin. Il ne fait aucun lien avec un film vu à la maison deux semaines plus tôt. Sa mère, si. La scène racontait cela : un détenu inonde sa cellule en bouchant les toilettes, et les policiers qui entrent glissent sur l’eau, et tombent. Voilà.
« Et pour ma santé mentale »
L’intéressé a la parole en dernier. « La procureur pense que je suis un voyou, mais moi je voudrais être vers ma mère. Et pour ma santé mentale, aussi. Et m’occuper de ma mère. Les discussions en prison… à part me faire évoluer en négatif, je ne vois pas. Être en prison, ça ne sert à rien. J’ai 19 ans, et je voudrais être près de ma mère. »
27 mois de prison puis un suivi renforcé pendant 2 ans
Le tribunal déclare le jeune garçon coupable, le condamne à une peine de 36 mois de prison dont 15 mois sont assortis d’un sursis renforcé pendant 2 ans. Obligation de travailler, de se soigner, d’indemniser les victimes. Interdiction de paraître dans le tabac en question. Le tribunal révoque 2 mois et 4 mois des sursis prononcés l’an dernier. Ordonne l’incarcération immédiate pour les 6 mois, et le maintien en détention pour les 21 mois ferme.
27 mois de prison, il ne semblait pas s’y attendre.
Florence Saint-Arroman
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