Société
"Le Président de la République sait que sa proposition peut être entachée à la fois d’illégalité, d’inconventionalité et d’inconstitutionnalité. Il a donc préféré jouer sur les peurs et menacer les Français" pour Maxime Thiébaut, Docteur en droit public
Par Laurent Guillaumé
Publié le 17 Juillet 2021 à 11h00 , mise à jour le 17 Juillet 2021 à 11h39
Après les annonces du Président de la République de lundi dernier, Info-chalon.com interroge Maxime Thiébaut, Chalonnais qui apparaît désormais régulièrement sur les plateaux télé du fait de sa spécialité en droit public.
Docteur en droit public, vous êtes régulièrement invité à vous exprimer sur différents sujets, comment réagissez-vous aux annonces d’Emmanuel Macron ?
J’ai avant tout été choqué par la violence du verbe. Pourtant garant de l’unité nationale, le président de la République n’a pas hésité à opposer les Français les uns aux autres et à leur faire peur. Le ton était belliqueux et bien loin de l’esprit d’une société civilisée où chaque citoyen est considéré comme un adulte responsable. En somme, comme l’a reconnu M. Castaner, le chef de l’État a mis « un petit coup de pression aux Français ».
On me dira que ce dernier était nécessaire. Que le variant Delta va être catastrophique. Que les soignants non vaccinés nous mettent en danger. Que le vaccin étant disponible, tout le monde doit faire preuve d’altruisme pour que l’on puisse retrouver la liberté et éviter un nouveau confinement.
Pourtant ces arguments ne tiennent pas. En effet, le nombre des hospitalisations et des décès diminue depuis que les personnes âgées et vulnérables se font vacciner. Chaque personne vaccinée est par ailleurs protégée des formes graves de la maladie. Ainsi est rempli l’objectif initial de la politique sanitaire : éviter la saturation des hôpitaux.
On aurait pu s’attendre du président de la République qu’il se limite à demander aux dernières personnes âgées ou souffrant de comorbidités de se faire vacciner. Il reste en effet beaucoup d’entre elles qui n’ont pas fait l’effort de se protéger. Pourtant, la responsabilité de chaque citoyen réside dans le fait de faire le rapport bénéfices-risques afin d’évaluer objectivement l’opportunité de se faire vacciner.
Toutefois, le président de la République a préféré contraindre l’ensemble des Français de se faire vacciner en se fondant sur le taux d’incidence. Cet indicateur est pourtant devenu erroné dès lors qu’avoir la Covid19 n’est plus un problème dans la mesure où les plus vulnérables d’entre nous ont la possibilité de se protéger par la vaccination.
M. Macron a ainsi opéré à un changement de société. Le 12 juillet 2021 fut littéralement l’anti-1789. Chaque citoyen doit être conscient que nous passons d’un régime libéral à un régime d’autorisation préalable. La restriction devient le principe ; la liberté l’exception.
Avec ce passe sanitaire généralisé à l’ensemble des actes de la vie quotidienne, il rend de facto obligatoire la vaccination. Personne n’acceptera d’effectuer un test PCR toutes les 72 heures afin de vivre « normalement ». Une normalité au demeurant de façade dans la mesure où la nécessité de présenter son passe sanitaire plusieurs fois par jour vous rappellera que votre liberté n’est que conditionnelle. Il va de soi que je ne veux pas de cette société de vigilance qui ouvre la porte à de nombreuses dérives…
Info-chalon.com a considéré la décision comme un « séparatisme d’État ». D’autres crient qu’il s’agit d’un « coup d’état sanitaire ». Avec cette obligation vaccinale qui ne dit pas son nom, d’un point de vue juridique, les annonces peuvent-elles être attaquées devant la juridiction compétente ?
Il faut savoir raison garder. Nous assistons certes à une dérive liberticide. Nous pouvons certes déplorer que le chef de l’État souhaite séparer les citoyens vaccinés des non-vaccinés. Ne tombons cependant pas dans l’extrême. Je ne me retrouve pas derrière les qualificatifs « d’apartheid », « de coup d’État » ou de « dictature ». Combattons nos passions et agissons avec raison contre ce projet illibéral.
Nous demeurons heureusement dans un État de droit qui offre diverses voies de recours. Les annonces du président de la République se concrétiseront en plusieurs étapes avec l’intervention à la fois du législateur et du pouvoir réglementaire.
Dans un premier temps, il est prévu que le passe sanitaire soit étendu dès le 21 juillet aux lieux de loisirs et de culture. Les entreprises du cinéma ont d’ores et déjà saisi le Conseil d’État d’un référé-liberté contre cette atteinte grave et manifeste à diverses libertés fondamentales. Les juges du Palais-Royal ont en effet expliqué la semaine dernière que la législation actuelle ne permettait pas une extension du passe sanitaire aux actes de la vie quotidienne. Dès lors, avant le vote de la nouvelle loi, le juge des référés du Conseil d’État devrait suspendre cette restriction. Reste à savoir s’il fera diligence à cette requête…
Dans un deuxième temps, si le Parlement venait à adopter le projet de loi, nous savons que soixante sénateurs se sont engagés à saisir le Conseil constitutionnel. Des avocats, des professeurs de droit et de nombreux juristes ont fait savoir qu’ils déposeraient alors des contributions aux Sages via la procédure de la « porte étroite ».
Ces juristes, auxquels je m’associerai avec le Cercle Droit & Libertés, ne manqueront pas de faire une multitude d’observations.
Concernant le passe sanitaire, dans leur décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, les Sages sont restés laconiques quant aux conditions de sa constitutionnalité. Ils ont considéré qu’il n’existait pas d’atteinte à la liberté d'aller et de venir, à la liberté d'entreprendre et à la liberté de réunion dès lors que le passe sanitaire ne s’appliquait qu’aux cas « de grands rassemblements de personnes ».
Sa généralisation nous permet toutefois de douter de sa constitutionnalité. Comme l’explique le professeur de droit public à l’université de Paris, M. Bruno Daugeron, à vos confrères de La Croix(tribune du 15 juillet 2021) : « une pièce d’identité sanitaire, le fameux ‘passe’, est généralisée et deviendra là encore, le sésame permettant de justifier auprès de n’importe qui d’une situation médicale pour les plus banales des démarches quotidiennes et donc une restriction sans précédent à la liberté d’aller et de venir ». Ainsi, il précise que : « la vaccination rendue de fait obligatoire et vérifiable sur présentation d’un ‘passe’ pour quiconque veut seulement vivre est une mesure de police pour maintenir ce qu’il faut bien appeler un ‘ordre public sanitaire’ dont l’application généralisée et absolue, en entravant la liberté de toute personne se trouvant sur le territoire français, va faire de la contrainte la règle et non l’exception. »
On notera par ailleurs que la députée (LREM) Yaël Braun-Pivet, présidente de la Commission des Lois à l’Assemblée nationale, nous garantissait le 11 mai dernier un passe sanitaire qui ne serait pas généralisé « par une inscription noir sur blanc dans la loi protectrice des droits et libertés ». Elle avait précisé vouloir nous préserver « de toute personne privée qui pourrait avoir cette idée saugrenue d’imposer » le passe sanitaire pour entrer son établissement. Elle ne s’attendait certainement pas à ce que cette dernière soit le président de la République...
L’État a-t-il les moyens d’imposer la vaccination obligatoire ? Quelles conséquences cela engendrent en terme de responsabilité ?
Le principe d’une vaccination obligatoire a déjà été admis par le Conseil d’État. Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme n’y sont pas non plus opposés.
Toutefois, il sera apprécié la nécessité ainsi que la proportionnalité d’une telle obligation. Comme nous l’avons vu, la seule vaccination des personnes âgées et vulnérables permet d’enrayer le nombre des hospitalisations. De plus, il existe une liberté fondamentale qui est le droit de disposer de son corps. Elle ne connait que peu d’exceptions. Il semble donc difficilement concevable que la vaccination obligatoire de toute la population puisse être admise par le juge…
C’est certainement pour cela que le président de la République ne s’est pas engagé sur cette voie le 12 juillet. Il sait que sa proposition peut être entachée à la fois d’illégalité, d’inconventionalité et d’inconstitutionnalité. Il a donc préféré jouer sur les peurs et menacer les Français. Pari réussi dans la mesure où près de trois millions de Français se sont précipités pour prendre un rendez-vous afin de se faire vacciner…
En outre, le fait que les autorisations de mise sur le marché (AMM) des vaccinations soient conditionnelles pose une seconde question de conventionalité de la norme. Dans la mesure où la Convention d’Oviedo, ratifiée par la France en 2012, interdit de contraindre toute personne à la participation d’essais cliniques, comment le juge interprétera cette AMM ? Considérera-t-il que les essais cliniques sont terminés ? Ou bien partira-t-il du principe que sa conditionnalité, due à l’urgence de la situation, ne remet pas en cause le fait que ces vaccins soient en essais cliniques ?
Ainsi, qu’elle ne concerne que les soignants ou l’ensemble de la population, l’obligation vaccinale me semble particulièrement compliquée à mettre en place. Toutefois, avec le recul des libertés publiques que nous observons depuis près d’un an, rien est impossible aux pays des Lumières aux ampoules grillées…
Malgré tout, quand bien même l’obligation vaccinale serait retenue, est-ce proportionnée de sanctionner ceux qui refusent de s’y soumettre par une interdiction pure et simple d’effectuer un nombre important d’actes de la vie quotidienne ?
Cette question, absente du débat public, mériterait d’être soulevée.
La question de la responsabilité est enfin un point important. On sait que les règles relatives à l’engagement de la responsabilité de l’État pouvant être établies par une simple loi, le législateur pourra exclure la responsabilité de ce dernier en cas de préjudice dû la vaccination. A nous d’être vigilants quant à la rédaction des textes à venir.
Finalement, comme l’explique sur Twitter le professeur de philosophie, M. René Chiche, les mesures sanitaires « reviennent à prendre un marteau pour écraser une mouche posée sur une assiette en porcelaine. L’assiette, c’est nous. »
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