Opinion

Les opticiens évoquent «un désastre en vue»

Les opticiens évoquent «un désastre en vue»

La pénurie aggravée d'ophtalmologistes est en train de dessiner un « désastre » en matière de dépistage et d'accès aux soins visuels.

Communiqué du Rassemblement des Opticiens de France 

La pénurie aggravée d'ophtalmologistes est en train de dessiner un « désastre » en matière de dépistage et d'accès aux soins visuels. C'est l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui a posé ce constat dans un rapport paru en janvier 2020.

Elle avait alors préconisé 28 mesures et une échéance - fin 2021 - pour redresser « significativement » la situation, faute de quoi, disait-elle, « les orthoptistes et les opticiens-lunetiers pourraient être autorisés à prescrire des verres correcteurs sans ordonnance ».

18 MOIS PLUS TARD, OU EN EST-ON ?

Grâce à une étude statistique inédite, le ROF alerte car aujourd'hui, faute d'ophtalmologues et d'orthoptistes en nombres suffisants 13 millions de Français vivant dans 30 départements, dont le Doubs, la Haute Saône, le Jura et l'Yonne, restent sans solution pour obtenir une prescription, et donc s'équiper en lunettes ou lentilles  de contact. Sans mesures fortes et rapides, dans 5 ans cette population risque d'avoir doublé.

Car, même avec le recours au travail aidé des orthoptistes, « à organisation constante » du parcours de soins, le délai pour consulter et obtenir une prescription ne va qu'empirer.

Que s'est-il passé donc depuis janvier 2020 ? Comment a évolué l'accès aux soins et, surtout, à quelle évolution doit-on maintenant s'attendre d'ici 2025 ? Trois mots symbolisent à l'heure actuelle ces interrogations légitimes : immobilisme, dégradation, danger.

38 MILLIONS DE FRANÇAIS EN ZONES DE PENURIE EN 2025

D'ici 2025, la France, avec une démographie médicale en berne, passera de 49 à 73 départements en pénurie d'ophtalmologistes (moins de 7 pour 100 000 habitants). De 25 millions en 2021, les Français seront alors 38 millions à connaître de graves difficultés d'accès aux ophtalmologistes.

Leur syndicat, le SNOF, défend l'idée qu'un simple toilettage du système actuel suffit et assure que la situation est sous contrôle, mais les chiffres, eux, disent le contraire. Si l'Igas préconise en urgence des « mesures pragmatiques », c'est parce que 44% des ophtalmologues ont plus de 60 ans et 20% plus de 65 ans. Conséquence, de 2022 à 2030 leur effectif va fondre de 250 par an, malgré les nouveaux diplômés et l'intégration d'ophtalmologistes étrangers.

18 500 OPTICIENS PRETS A SOULAGER LES OPHTALMOLOGUES

Il devient donc urgent de soulager ces spécialistes d'une partie de leurs prérogatives pour leur permettre de se concentrer sur le soin, leur cœur de métier, comme c'est le cas chez presque tous nos voisins européens, note l'Igas. Notamment en permettant aux opticiens de faciliter l'accès à un équipement optique ou à son renouvellement.

Le ROF a proposé à plusieurs reprises au ministère de la Santé les services des 36 500 opticiens et de leurs 12 000 magasins qui maillent l'ensemble du territoire. Les 5185 orthoptistes ne suffisent plus actuellement à combler le déficit en Ophtalmologistes qui touche déjà de très nombreux départements. D'ici à 5 ans, ils pourront encore moins compenser seuls une pénurie qui se sera aggravée dans les territoires ruraux et déserts urbains, notamment en raison de leur répartition proche de celles des ophtalmologistes, dont ils sont majoritairement salariés (60% des orthoptistes).

Recourir aux opticiens, sous le contrôle d'un médecin, présente plusieurs avantages. Ils sont les professionnels de la vision les plus nombreux et les mieux répartis sur le territoire. Ils sont déjà formés, installés et disposent du matériel nécessaire à la réalisation d'examens oculaires et d'espace pour organiser des téléconsultations avec un ophtalmologiste, si elles sont enfin autorisées. L'impact d'une réforme serait alors immédiat.

REDUIRE LA FACTURE ET LES DELAIS D'ATTENTE

Les opticiens ont montré depuis 2007 leur capacité à contribuer au renouvellement des équipements optiques sur la base d'ordonnances en cours de validité, prenant en charge 2 millions de renouvellements par an, pour un coût cinq fois inférieur à celui d'un passage chez l'ophtalmologiste. Faire confiance aux opticiens génèrerait de substantielles économies tout en réduisant à néant des délais de consultation médicale qui peuvent atteindre 12 mois dans certains départements, et qui s'allongent.

L'Igas a préconisé 28 mesures s'appuyant sur les orthoptistes et les opticiens. Elle recommande à juste titre et notamment :
- d'allonger de deux ans la validité des prescriptions de lunettes et lentilles pour la porter à 7 ans pour les patients âgés de 16 à 42 ans,
- d'autoriser les opticiens à adapter les primo-prescriptions en cas d'erreur ou d'inconfort du patient,
- d'élargir la télé-expertise aux opticiens, en collaboration avec les ophtalmologues, de prolonger de 2 à 3 ans, comme le souhaite le ROF, la durée de formation des opticiens (2 ans actuellement) pour s'aligner sur nos voisins européens et gagner en expertise.

La structuration d'une filière, avec délégation de tâches, autour des 3 « O », ophtalmologues, orthoptistes et opticiens, s'impose pour répondre à l'urgence.

Il n'est plus temps d'hésiter. Sans décision rapide, sans la contribution des opticiens à toute réorganisation du parcours de soins, la santé visuelle de 38 millions de patients sera menacée.