Chalon sur Saône
TRIBUNAL DE CHALON - Agression sexuelle : un prévenu « frustre » et une victime vulnérable
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 26 Octobre 2021 à 12h20
« J’ai eu un coup de déprime d’être tout seul. J’ai touché ses seins, dans la cour, et le lendemain je suis allé chez elle. » Le prévenu a plus de 70 ans, 30 ans de Seresta à son actif et un casier vierge. Il répondait, ce lundi 25 octobre, d’agression sexuelle imposée à une personne vulnérable.
Toute une vie défile à la barre, ce lundi 25 octobre. Il est né dans un village de la côte châlonnaise, il y vit toujours. D’abord maçon, il devient, suite à un accident de mobylette, agent d’entretien, comme on dit aujourd’hui. D’abord plein d’allant, marié et père, il se met à boire lors de son divorce, il y a 30 ans. À ce moment-là un médecin lui prescrit du Seresta, en forte dose, il en prend toujours, un peu moins depuis que sa famille a repris contact avec lui. Mais la solitude est là. Elle mord parfois, elle tourmente, elle fatigue, toujours. La solitude, et puis la frustration. Des sensations perdues ? Ou des fantasmes alimentés par le porno ? Les deux ? On ne sait pas, il n’y a que lui qui peut savoir et ce ne sont pas des choses faciles à dire.
Une femme qui commence par subir, puis sait ce que « ça » lui fait
Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que, d’après lui, recroisant une femme qu’il avait connue lorsqu’il faisait le ménage dans une structure où elle vivait, il lui demande si elle veut bien lui montrer sa poitrine. La femme a son propre logement, mais c’est une adulte protégée, placée sous curatelle renforcée, accueillie auparavant en structure collective. Une femme victime de nombreux abus au cours de sa vie, une femme intellectuellement faible, une femme qui ne sait pas dire non. Elle commence par subir et ensuite elle ressent ce que ça lui a fait. Alors elle ouvre son haut. Il lui vole un baiser puis repart.
Tout cela est tellement dérisoire et pourtant si grave
Après l’épisode de la cour, il reviendra, à son domicile cette fois. Il lui demande de se dévêtir, il la touche, il la pénètre d’un doigt. Il n’use pas de la force mais il lui demande de ne pas parler de tout ça…. Cerise sur le gâteau, si on peut dire, il avait apporté un string, histoire sans doute de pimenter la séance. Ça peine presque de l’écrire : tout cela est tellement dérisoire et pourtant si grave dans un contexte où la dame est incapable d’exprimer clairement (et sans culpabilité) son refus. Après deux épisodes de cette sorte, elle va cependant lui dire qu’elle ne veut plus se prêter à ce petit cirque. Elle va déposer plainte contre lui.
Ce que ça fait vivre à cette femme
A partir de là, elle va savoir ce que ça lui fait, tout ça. D’être traitée en objet sexuel, d’être touchée, embrassée, léchée, sans en avoir le désir, juste pour consentir à celui d’un autre, parce que parfois l’enfance qu’on a connue, ça fait ça. Abusée, une fois de plus. Un psychologue écrit qu'« elle se sent éprouvée », un expert rapporte qu’elle est « rassurée de savoir que monsieur ne peut plus venir chez elle ». Elle souffre d’anxiété et d’insomnie, parce que la question est celle de l’abus. Sur ce point, le prévenu, qui a par ailleurs reconnu les faits, se défend. Comme il le peut.
« Qu’est-ce qui a fait que … ? – Chais pas, ça s’est fait… comme ça »
La présidente Caporali, d’un ton égal, l’interroge. « Qu’est-ce qui a fait que … ? – Chais pas, ça s’est fait… comme ça. – Votre moral, les jours précédents ? – Un peu de solitude, et un peu « comme ça » aussi. – Pensiez-vous qu’elle était d’accord ? – Oui, un peu. Elle n’a pas refusé. » Il lui avait proposé de venir à l’avenir à son domicile à lui, parce que là, chez elle, c’était « trop en vue ». La juge d’instruction qui préside lui pose beaucoup de questions pour savoir ce que ce « trop en vue » permettrait d’inférer de son niveau de conscience et de ses intentions. Il parle de « la circulation », semble de mauvaise foi. « A ce moment-là vous savez que ce que vous faites n’est pas légal. – Oui. »
« Le coup du string qu’on apporte, ça peut pas être ‘comme ça’ »
Un juge assesseur passe une seconde couche mais doit refaire ses phrases parce que le prévenu ne les comprend pas. « Le coup du string qu’on apporte, ça peut pas être ‘comme ça’. Vous pensez être en capacité d’analyser le fait que madame, ça lui pose des difficultés et qu’elle n’est pas en mesure d’exprimer un consentement libre et éclairé ? – Ben oui, mais maintenant. – Madame n’est pas en capacité de dire non. – Elle n’a pas dit non. – Faut-il qu’elle le dise ? Vous ne pouvez pas le ressentir ? – Non. – ça ne vous a pas effleuré l’esprit ? – Non. – C’est un peu inquiétant, ça. »
« Monsieur, vous savez pourquoi vous êtes ici ? »
La procureur passe la troisième couche. « Monsieur, vous savez pourquoi vous êtes ici ? demande Angélique Depetris. – Ben, pour les faits. – C’est-à-dire ? – J’ai touché une personne vulnérable. – Pourquoi c’est interdit ? Vous le savez ? [Le vieux monsieur couronné de cheveux blancs ne répond rien] ...Si elle était d’accord, vous ne seriez pas là. Donc, pourquoi c’est interdit ? – Ben, comme elle en a parlé au foyer, c’est pour ça que j’ai été convoqué. » Un ange pourrait passer et se dire que décidément l’humanité en souffrance, c’est pas rien. Mais aucun ange ne passe. Par contre maître Bourg vient en renfort du tribunal, en même temps qu’au soutien de son client. Tant bien que mal.
« Vous comprenez qu’elle ne pouvait pas vous dire non ? – Peut-être »
« Vous comprenez qu’on vous dit qu’elle n’est pas capable de dire non ? – Oui, bah bien sûr. – Donc madame est vulnérable pourquoi ? – Elle est fragile. – Donc vous comprenez qu’elle ne pouvait pas vous dire non ? – Peut-être. – Qu’est-ce que vous ressentez ? – Ben, que j’ai fait du mal. » Plus tard, l’avocate dira au tribunal : « Il a quand même des capacités limitées, vous ne pouvez pas le nier. » Maître Trajkovski, qui intervient pour la victime, estime qu’il ne faut pas pour autant trop pousser mémé dans les orties : « C’est détestable de faire croire à votre tribunal qu’il a besoin d’un suivi pour comprendre ce qu’il a fait. Il le sait très bien ! »
« 2 ans de prison » : choc
Angélique Depetris prend des réquisitions en forme de coup de taser, elle demande une peine de 2 ans de prison dont 18 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. De cette phrase le prévenu n’entend que « 2 ans de prison », et wow, il tourne la tête, affolé, vers maître Bourg qui est alors occupée à noter la peine requise. La procureur explique à ce monsieur qu’en réalité il encourt plusieurs années de prison ferme. « Quelques semaines après les faits, on est sur un ‘on’ qui me dérange profondément, parce qu’en l’occurrence on a un agresseur et une victime. Il lui demande de ne rien dire : il avait bien conscience de ce qu’il faisait. »
L’autre était ramené à une poupée qui ne disant non, forcément consentait
On garde le sentiment que ce monsieur, bien seul, bien imprégné de Seresta, et bien frustré, également, de sexe et de câlins, organisait une sorte de touche-pipi pour les grands, avec un string comme symbole de la génitalité triomphante. On garde le sentiment que cet homme « frustre », comme lui a dit un des juges, n’a pas regardé les conséquences de ses actes sur l’autre, parce que l’autre était ramené à une poupée qui ne disant non, forcément consentait, et qu’avec ça, ce n’étaient pas quelques attouchements et une pauvre mise en scène à l’érotisme aussi indigent que ses ressources personnelles (à noter qu’il n’est pas seul dans ce cas, cette forme de misère ne connaît pas les milieux sociaux, ndla) qui pouvaient faire du mal. Il a tout de même choisi une faible personne. Pas fou. Ça évite de se prendre une baffe ou un éclat de rire.
Sursis probatoire de 2 ans, 30 mois de prison au cas où…
Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à une peine de 30 mois de prison entièrement assortie d’un sursis probatoire de 2 ans. Obligation de suivre des soins, interdiction de contact avec la victime ainsi que de paraître à son domicile, obligation de l’indemniser à hauteur de 3000 euros pour son préjudice moral.
Inscription de droit au FIJAIS
Le vieux monsieur qui a échappé à l’alcoolisme avec le Seresta mais qui n’a pas su investir ses pulsions ailleurs que dans des passages à l’acte, est inscrit au FIJAIS*. Cette inscription est de droit pour ce type d’infraction, les juges n’ont pas leur mot à dire, ils ne peuvent pas apprécier au cas par cas. Lui, dont le casier était vierge jusqu’à ce jour, devra désormais justifier de son adresse tous les ans, auprès de la gendarmerie. S’il déménageait, il devrait immédiatement le déclarer. On ne marque plus les criminels au fer rouge, on les fiche, et si c’est sans douleur physique, ce n’est sans doute pas sans douleur morale qu’on doit, chaque année, aller se signaler soi-même aux autorités.
Florence Saint-Arroman
*FIJAIS : fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes
https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/fichier-auteurs-infractions-sexuelles-violentes-fijais
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