Faits divers
Tabassage dans une cour du centre pénitentiaire de Varennes le Grand
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 10 Novembre 2021 à 18h41
L’œil de la caméra saisit la quasi totalité de la cour de promenade de la maison d’arrêt. Au premier plan, des barbelés en spirale, au fond, un mur surmonté de grillage. Au centre, des hommes tournent. Au second plan, dans un coin de l’écran, un homme en frappe un autre, bientôt secondé par deux autres.
La cour de « promenade », une aire nue
Trois prévenus dans le box, une victime absente et non représentée (ne veut pas se constituer partie civile). Trois prévenus détenus, poursuivis pour violence en réunion, le 4 octobre dernier, pendant ce qu’on appelle improprement « la promenade » puisqu’aussi bien, tourner en boucle sur un terrain en forme de triangle s’appellerait au maximum une sortie, si toutefois le mot « sortie » ne désignait pas une libération,lorsqu’on est en prison. Ce mercredi 10 novembre, ils sont jugés selon la procédure de comparution immédiate. L’informatique va planter, l’instruction est longue car les prévenus ne reconnaissent pas les faits et trois avocats vont plaider, l’audience va durer plus de 2 heures.
20 ans, déjà deux fois lourdement condamné
Le box, soit une sorte de cage vitrée, fermée par un grillage dessus , est un parallépipède perpendiculaire au tribunal. Au bout, le plus éloigné des juges, un garçon âgé de 20 ans. Il est né en juin 2001. Il est détenu car il exécute une peine de 4 ans de prison pour proxénétisme. C’est sa 7ème condamnation. Il est libérable début septembre 2024, si tout va bien. Mais tout ne va pas bien : sur la vidéo on le voit clairement entraîner la victime, en discutant, dans un coin, puis porter le premier coup. Les coups se succèdent, violents, sans retenue.
« Violence sauvage »
Le prévenu maintient que le détenu-victime le menaçait, et qu’ils se battaient. Angelique Depetris, substitut du procureur, objecte : « Sur la vidéo, vous le frappez, et lui, il ne vous frappe pas. » Plus tard, elle parlera de « violence sauvage ». La victime est tabassée, y compris lorsqu’il est à terre, on voit bien que les agresseurs visent la tête. A l’issue de la scène, on voit le type à terre se relever péniblement, groggy. Il a 5 jours d’ITT, un traumatisme crânien sans perte de connaissance, des hématomes et des contusions, à l’œil - il voit flou après ça -, à la tête, au visage.
Grand écart entre la violence brute et des vies déjà si abîmées
La scène paraît bien longue quand on la regarde. Elle dure deux minutes environ. Personne n’intervient. Seul un détenu tente de relever la victime mais le prévenu placé au milieu dans le box l’en empêche. Celui-ci a 23 ans, compte 3 condamnations, et est en détention provisoire, deux fois mis en examen pour détention d’armes y compris de catégorie A et tentative de meurtre, d’une part, et, d’autre part, pour association de malfaiteurs et meurtre en bande organisée, « d’après ce que dit la juge d’instruction », dit le prévenu qui assure qu’il n’a tué personne. Maître Zadourian plaidera en ce sens, « personne ne l’écoute, et ça, ça énerve. La frustration crée la violence ». Sinon, lui, il a un CAP, là où son voisin qui a grandi en centre éducatif fermé n’a aucune formation. Et puis il a un bébé, né en mars dernier. Ce jeune papa est toxicomane et dépendant de l’alcool. « Il demande des soins mais n’en a pas, ça fait 18 mois qu’on le laisse moisir en détention au lieu de l’aider. L’aider, c’est aussi pour le bien commun. »
Tête effarée du gamin
Le dernier prévenu, celui qui est assis le plus près du tribunal, a 29 ans. C’est le seul natif du coin. Condamné comme les autres, d’abord par un tribunal pour enfant, puis en correctionnelle. Dix condamnations plus une dont il exécute actuellement la peine. Il est en outre sous mandat de dépôt, mis en examen pour des dégradations en réunion et des violences. Sa participation est moindre, dans le sens où il intervient à la fin. C’est pourquoi la procureur requiert contre lui une peine de 18 mois de prison avec mandat de dépôt. Contre celui du milieu elle demande une peine de 24 mois avec mandat de dépôt. Et contre l’acteur principal, une peine de 30 mois avec mandat de dépôt. Tête effarée du gamin.
Où étaient les surveillants pendant la promenade ?
Les avocats plaident tous l’absence de surveillance des surveillants. « Que font-ils pendant cette scène ? Si les surveillants ne surveillent pas, que font-ils ? Que fait le surveillant au mirador ? On a une obligation de sécurité, me semble-t-il », tonne maître Zadourian. « Voilà ce que peut devenir l’humanité quand on est dans la promiscuité », dit maître Nicolle qui s’attarde sur ce que produit la détention, sur ce qu’elle fabrique, sur ce qu’elle a d’in-humain, de fait. Maître Fournier plaide pour le plus jeune et le plus lourdement condamné déjà, qui a quitté l’école en 5ème, ne peut sortir qu’en 2024, et devrait rester là 30 mois de plus ? Et pour quoi faire ? Dans quel but ?
Décisions du tribunal
12 mois, 20 mois, et 30 mois de prison, assorties de trois mandats de dépôt. Le gamin, libérable non plus en 2024 mais en 2026 ou 2027, en a le front tout plissé. L’image qu’il donne à voir est à l’opposé de celui qu’on a vu sur la vidéo frapper du poing et des pieds un homme mis à terre.
FSA
Note : l’administration pénitentiaire souffre, comme l’ensemble des services publics, d’un manque de personnel d’une part et de pratiques de gestion qui visent à suppléer à ces manques en collant des machines. Si l’œil de la caméra « voit », il ne peut pas intervenir, et ça fait une différence indépassable.
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