Faits divers

A Chalon sur Saône, privé de liberté pour un vol de 10 euros

A Chalon sur Saône, privé de liberté pour un vol de 10 euros

Il a volé parce qu’il n’a pas d’argent et qu’il avait besoin de 2 baguettes de pain, 2 bières, 10 rasoirs jetables, une crème Nivea, une eau de Cologne. Montant du préjudice ? 10,80 €... mais

L’Aldi de Châtenoy-le-Royal a déposé plainte contre lui mais ne se constitue pas partie civile : le magasin a récupéré ses marchandises et a pu les remettre en vente, à l’exception des deux baguettes.

Le prévenu est né le jour de Noël, à Nantes, en 1979. Il est aujourd’hui sans domicile fixe, sans domiciliation dans un CCAS, il est en état de récidive légale (en Allemagne, en 2019), et « il n’a qu’une demande, dit maitre Varlet, c’est qu’il soit considéré comme étant une femme ». Demande à laquelle les policiers du commissariat de Chalon-sur-Saône, qui s’étaient déplacés pour ce « vol à l’étal’ », ont souscrit, rédigeant leur PV en ce sens : « Lecture faite par elle-même, madame persiste et signe ».

C’est comme ça et puis c’est tout

Madame, donc, doit crever de malheur à vagabonder ici et là, volant pour subsister, et rencontrant, de ce fait, l’institution judiciaire assez souvent. Crever de malheur à se sentir femme dans un corps d’homme ? On écrit « madame » sans la moindre ironie, on écrit « madame » juste parce que si c’est là le plus important pour cette personne qui vit dans la plus grande solitude et sans plus aucun attachement, dit-elle, ni affectif, ni matériel, eh bien on peut en tenir compte. Sans sourire, sans en faire un monde. C’est comme ça et puis c’est tout. Malheureusement pour elle, tout, dans sa vie, semble être « comme ça et puis c’est tout ». Résultat : pour un préjudice de 10 euros, elle va être incarcérée, dans une prison réservée aux hommes, forcément.

« J’ai besoin de personne »  

La présidente Caporali commence l’instruction : « Les faits sont simples. Pourquoi vous volez ? » La prévenue l’a déjà dit à la police, et ne se répétera pas. Sans profession, sans la moindre ressource, elle refuse toutes les aides sociales et caritatives. « Pourquoi ce refus ? 
– Je sais me débrouiller seule. 
– Des associations peuvent vous aider, ça vous éviterait de vous retrouver à chaque fois devant un tribunal. On peut comprendre que par fierté, on ait du mal à demander, mais… 
- J’assume pleinement, je ne suis pas une clocharde. 
– Ce n’est pas être clochard ou clocharde, que de demander de l’aide. Ces gens sont là pour vous. » La prévenue, bras croisés sur sa légère doudoune fermée jusqu’en haut, dit n’avoir ni famille ni proche pour lui tendre la main, et conclut : « Je me débrouille. » La présidente insiste un peu, sans trop forcer. Réponse : « J’ai besoin de personne. »  Puis : « Je ne raconte pas ma vie au tribunal. »

« La prison est un mode de vie qui vous convient ? – J’ai pas le choix. – Si, vous l’avez »

A son casier judiciaire, 23 mentions. Quelques violences, quelques dégradations, quelques délits routiers, et 6 condamnations pour vol. La présidente y revient : « La prison est un mode de vie qui vous convient ? – J’ai pas le choix. – Si, vous avez le choix, justement. » Elle lui explique encore, il tourne vers elle deux yeux écarquillés dont subitement on ne voit plus que le blanc. Le tribunal expose son dilemme : pour un si petit vol (c’est nous qui le qualifions ainsi, ndla) de produits nécessaires, eh bien la justice pénale dispose de différentes peines, mais si il/elle (à noter que respectueusement les magistrats se sont abstenus de l’appeler monsieur, sans dire madame pour autant) refuse toutes les possibilités de suivi pour l’aider à trouver un logement, à travailler, et, pourquoi pas, à entamer des démarches pour changer sa situation d’état civil, alors il ne reste que l’incarcération. Réponse : « Y a plus grave », puis la prévenue remballe un juge assesseur et même son avocat. C’est comme ça et puis c’est tout.

« C’est un simple vol au préjudice très faible », mais…

Clémence Perreau, substitut du procureur, regrette fort sa position, car « c’est un simple vol au préjudice très faible », mais si la personne « est réfractaire à tout suivi, on n’a pas de prise sur elle, pour prévenir la réitération des faits ». Sa lecture du dossier : « Après avoir passé des années dans la rue, il s’est mis dans sa bulle, il ne comprend plus le monde dans lequel il vit. » Donc : elle requiert une peine de 4 mois de prison avec son maintien en détention (la prévenue est en détention provisoire depuis hier). « La prison… pour mettre sur pause pendant quelques mois ? Mais ce n’est pas si simple, plaide Damien Varlet. Il/elle, est une sorte de vagabond, et il/elle a volé pour 10,80 € de produits vitaux pour le quotidien. Et, pour un vol d’un montant inférieur à 11 €, cette femme est privée de liberté depuis hier. »

« On n’est pas en Russie, non plus ! On est sur 10 € ! »

L’avocat plaide contre l’incarcération, suggère un sursis probatoire renforcé ou une peine aménagée avec un suivi. « On n’est pas en Russie, non plus ! On est sur 10 € ! » Il a bien raison de le plaider, mais c’est mort. C’est mort parce que la société française n’accepte pas qu’on puisse se soustraire à la vie administrative et ne veut pas de nomadisme. Sans adresse, sans domicile, sans hébergement, vous allez en prison. « Cet homme, ou femme, a le droit de retrouver sa liberté » termine l’avocat. Le/la prévenu(e), bien au fait des fonctionnement sociaux et judiciaires, n’ajoute qu’une chose : « Je voudrais avoir une cellule individuelle. » On sait que le milieu fermé de la prison exacerbe certaines intolérances, donc les quolibets, les insultes, voire les agressions. Cellule individuelle, donc. Il faudrait.

2 mois de prison ferme

Pendant le court délibéré, la prévenue est comme statufiée, toujours les bras croisés sur sa légère doudoune, les yeux baissés. Seul(e). Le tribunal le/la condamne à la peine de 2 mois de prison, ordonne son maintien en détention « pour prévenir le renouvellement des faits ». Le/la condamné(e) reste impassible. Apparemment.

FSA