Faits divers

Allez, encore un routier espagnol, encore la douane, encore la célèbre aire du poulet de Bresse, et cette fois-ci quasi 87 kg d’herbe et de résine de cannabis.

Allez, encore un routier espagnol, encore la douane, encore la célèbre aire du poulet de Bresse, et cette fois-ci quasi 87 kg d’herbe et de résine de cannabis.

Il est 8h10 ce 10 février, quand des douaniers procèdent au contrôle du camion.

Ils demandent la CMR au chauffeur : il transporte 16 big bag de déchets plastiques qu’il doit acheminer jusqu’en Allemagne. Les douaniers sondent quelques sacs à l’aide d’une tige métallique. Au 3e sac, bingo. Un sac de sport noir gît sous les déchets. Du coup, tout le chargement y passe, et on exhume 2 sacs cabas contenant 30,780 kg de résine de cannabis, et 6 sacs de sport hébergeant 55,920 kg d’herbe de cannabis.

Jordi, Jorge, au centre des débats

Le temps d’envoyer des échantillons des produits au laboratoire et de recevoir la confirmation par analyses toxicologiques, le chauffeur espagnol passe un mois en détention provisoire. Il est né en 1973 à Barcelone. Il bénéficie, ce jeudi 17 mars, d’un interprète vif d’esprit et très, très, à l’aise en français. Il est rapidement question d’un certain Jordi qui a proposé du boulot au prévenu, un travail déclaré. Il a accepté parce qu’une maladie de la moëlle épinière, qui l’avait d’ailleurs mis à l’arrêt pendant deux ans, impose des hospitalisations et donc des cotisations de sécurité sociale.

L’agent de la DREAL se fait agresser dans la cabine du tracteur

Il a également dit en audition qu’il avait pris de la cocaïne pendant ses deux ans et que, s’il n’en prend plus, il doit encore de l’argent à ses revendeurs. 
« Jordi », c’est « Jorge », l’interprète confirme qu’en Catalan, « Georges, c’est Jordi ». Or ce Jordi a des antécédents d’escroc, et puis il change de téléphone chaque mois et puis donc c’est un peu louche. L’agent de la DREAL chargé du relevé des données contenues dans le tachygraphe*, s’est fait voler pendant qu’il était dans la cabine : deux individus ont surgi, lui ont piqué son portefeuille et les clés du camion qu’ils ont fermé à clé avant de fuir. Evidemment, ça la fiche mal dans le décor. Et du coup, pas de données.

Il ne savait pas ce que contenaient les big bag

Le président Dufour, qui instruit depuis une heure déjà, synthétise, puis « C’est quand même curieux, monsieur, que vous ne vous soyez pas posé de questions. » Le catalan répond qu’il ne voit pas ce sur quoi il aurait dû l’interroger. Eh bien l’absence de contrat de travail, le fait que Jordi change de téléphone tous les mois, entre autres. « Il dit qu’il a déjà dû commencer à travailler sans contrat de travail, pour lui.  Ce n’est pas inhabituel », rapporte l’interprète. Le prévenu reste donc sur sa position : il ne savait pas ce que contenaient les big bag, Il était juste content de retravailler.

Pas d’adresse exacte de livraison

« Ça doit se savoir dans le milieu des chauffeurs routiers en Espagne, qu’il y a beaucoup de stupéfiants qui remontent du Maroc en direction de l’Europe, interroge le président. - Non, son expérience personnelle ne l’a jamais confronté à ce genre de situation » transmet l’interprète après un loooooong développement du prévenu.
Le prévenu serait en principe arrivé à Dortmund, deux jours avant le salon sur le recyclage, auquel la marchandise (le plastique, hein, pas les substances relaxantes et illégales) était destinée. Les magistrats trouvent ça curieux également, d’autant qu’il n’avait pas une adresse exacte de livraison.

Débrouille, ou magouille ?

Il avait déjà fait un trajet pour le fameux Jordi. « Quand ? » demande un juge assesseur.  On repart pour une réponse incroyablement fleuve, qui s’achève sur « en juillet 21 ». Sans fiche de paie et c’était un problème pour lui, cause absence cotisation sécurité sociale. Deux condamnations, deux grosses amendes pour des infractions à la législation sur le transport routier. Il a un fils âgé de 19 ans, qui travaille et aide son père, lequel se met à pleurer à cette évocation. Situation précaire du prévenu, qui dit avoir toujours travaillé sans difficulté jusqu’à ce qu’il déclare une maladie auto-immune. 

« On sait très bien que c’est une marionnette »

Un agent des douanes, puis la substitut du procureur chargent le prévenu. « Pas crédible », dit la douane, qui demande une amende de 790 000 euros. « On sait très bien qu’il n’est pas tête de réseau, que c’est une marionnette, sa situation est précaire et il a une dette de stupéfiants », « mais il faut combattre ce fléau pour la santé publique qui nourrit le crime organisé » dit la procureur qui ajoute que les saisies douanières ont augmenté, parce que le trafic ne s’arrête pas. Elle requiert 4 ans de prison. Sur quoi rebondit opportunément maître Fournier.

« Ce Jordi est la seule personne pas claire, dans ce dossier »

« Ce ne sont pas ces chauffeurs routiers les trafiquants, et pourtant c’est eux qu’on arrête, mais le trafic, lui, ne s’arrête pas, comme l’a dit madame le procureur. » L’avocate plaide que l’absence de contrat de travail est, hélas, une pratique bien répandue, y compris en France. « Ce Jordi est la seule personne pas claire, dans ce dossier. Le code de déverrouillage du téléphone de mon client, c’était 0000, on ne peut pas dire qu’il cherchait à dissimuler. Il ne connaît personne en France. » Carole Fournier demande au tribunal de réduire le quantum de la peine. 

2 ans de prison

À l’issue de deux heures d’audience, le tribunal déclare le chauffeur espagnol coupable, et le condamne à 2 ans avec maintien en prison, à une interdiction du territoire français de 5 ans, et à une amende douanière de 395 000 euros. Ordonne la confiscation des scellés.

FSA 

* https://www.pgh.fr/chronotachygraphe-fonctionnement/