Faits divers

"Il a 60 ans, elle en a 15. Elle a parlé, ça l’a sauvée"

"Il a 60 ans, elle en a 15. Elle a parlé, ça l’a sauvée"

C’est une affaire terrible, horrible. Il revient au parquet d’avoir porté la parole la plus structurante à cette audience : « A 14 ans, on est une enfant, on n’est pas une adulte. »

Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, a dû rappeler au tribunal les termes crus, les mots choquants que ce vieux monsieur (il n’a que 60 ans, certes, mais il dégage cette impression-là, d’être « un vieux ») employait lorsqu’il envoyait des messages à sa « chérie », âgée de 14 puis de 15 ans, la plus jeune fille de sa compagne. La procureur a dû le rappeler tant le prévenu édulcore et minimise.

Le père de la victime est à l’audience. Dans le box des comparutions immédiates ce lundi 21 mars se trouve le compagnon de la mère de la victime. Un homme petit, aux cheveux gris et au nez un peu long, qui se déplace avec une béquille parce qu’il souffre d’une sclérose en plaque. Les faits, rapportés par le président Madignier, sont pénibles à entendre, et le prévenu en rajoute, tantôt avec spontanéité, tantôt avec malignité.

Des limites d’abord mal posées, troubles, puis pulvérisées

Si on l’en croit, sa compagne et lui sont des fondus de photomontages, ils collectionnent les applis et aiment bricoler des trucs avec force cœurs et mots doux pour la « princesse », le « bébé » et toutes ces âneries immatures qu’on voit et entend beaucoup partout, si ce n’est que dans ce foyer familial on offre à une gamine une paille en forme de pénis - « sa mère et sa sœur ont participé, y avait pas que moi » insiste le prévenu -, et on trouve ça « rigolo ». Vrai ou faux on ne sait pas, la mère n’est pas venue au jugement, elle se sent trop mal pour ça, rapporte maître Leplomb qui intervient pour elle (ainsi que pour le père et pour leur fille de 15 ans). Apparemment c'est vrai.

Une ambiance incestuelle 

Si c’est vrai, on relève donc une ambiance incestuelle : l’enfant n’est pas à sa place (du fait des adultes), les adultes non plus. La victime se sentait « harcelée ». Il y a de quoi, à baigner en permanence au contact de ce monsieur, dans un climat sexualisé, fait de déclarations d’amour, de demandes (photos), de gestes déplacés, d’invitations à des relations sexuelles. Le type lui a même envoyé une photo d’un sexe masculin qu’on suppose en érection (tant qu’à faire). Il dit à l’audience l’avoir prise sur le net, et envoyée à la gosse « pour me valoriser ». On trouverait ça pathétique si ça n’était pas si grave.

Vive les copines qui ne perdent pas le nord

Un jour la fille craque dans les bras d’une amie qui lui enjoint de parler à son père. C’était le début de l’après-midi. X a téléphoné à son père, elle était si mal que sa copine a pris le relai. A 17 heures, le père va chercher sa fille sur son lieu d’apprentissage, ils filent direct au commissariat où le père dépose plainte. Le compagnon de la mère est interpellé, placé en garde à vue puis en détention provisoire le 3 février dernier. Vu la nature des faits, le tribunal a fait procéder à une expertise psychiatrique avant de juger.

Un cadeau d’anniversaire empoisonné, toxique

Une paille en forme de pénis… Le pire est déjà là, dans ce cadeau empoisonné, toxique. Alors le reste... le reste est à l’avenant. Ce monsieur est poursuivi pour corruption de mineur et propositions sexuelles faites à un mineur de 15 ans (= moins de 15 ans). Ce monsieur a été condamné en 2011 par la Cour d’assises de Saône-et-Loire à 10 ans de réclusion criminelle pour viols aggravés sur mineur de 15 ans par ascendant. « C’était la nièce de ma femme. » Ce monsieur dit en levant les mains : « Je n’ai jamais touché à mes enfants, jamais de la vie ! », mais il a dit aux enquêteurs qu’il « kiffait son corps », à la gosse, la fille de sa nouvelle compagne. Il lui écrivait : « Je te fais un gros bisou sur ta jolie bouche, ma petite que j’aime. » Et il prétend : « Je ne pensais pas lui faire de mal », « j’avais pas conscience de l’importance de mes gestes ».

D’une façon que la loi interdit, le genre de loi indiscutable

Il n’avait pas conscience ? Pourtant il a été jugé aux Assises pour des viols par ascendant. Pourtant. Alors il met ça sur le dos des autres. « Je crois que si j’avais été un peu plus suivi après ma première condamnation, ça se serait pas passé. » Eh bien, de l’extérieur, on en doute grave. Il était libre de continuer à se faire suivre plutôt que de se coller à la première femme qui a bien voulu de lui, qui a bien voulu croire en sa promesse que l’abus de mineure c’était fini, pour ensuite coller à la petite, d’une façon que la loi interdit, le genre de loi indiscutable. Le coup de la paille, qui ne tombe pas sous le coup de la loi, illustre pourtant à merveille tout le reste du dossier, qui tombe, lui, sous le coup de la loi. « Elle était un peu coincée » a-t-il dit aux enquêteurs.

Retourner la responsabilité du côté de l’enfant

Ce monsieur « minimise ses actes » a écrit l’expert psychiatre, mais il n’est pas malade. 
Il n’est pas malade. Il avait consenti à l’achat d’écouteurs sans fil que la petite voulait, en échange de photos dénudées d’elle et à cette fin lui avait acheté une caméra GoPro*. « Elle a eu les AirPods, mais moi j’ai pas eu... », regrette-t-il. Il n’a pas eu les photos : la victime a résisté. 
Il n’est pas malade. D’autres images finissaient cachées dans une appli diabolique, une appli qui a l’apparence d’une calculatrice mais qui sert à planquer des photos, « c’est elle qui l’avait installée ». Ben voyons.

« Il a eu la volonté d’associer la victime à son comportement déviant »

Son avocat, maître Lopez, plaide un point de droit, « même si l’immoralité et la décadence du prévenu sont criantes ». C’est une drôle de façon de dire, mais bon, soit, et par conséquent c’est mort pour la défense, parce que dès l’instant où un adulte demande à un enfant, de ne rien dire, d’effacer des messages, de supprimer des photos, c’est qu’il sait parfaitement que ce qu’il fait est hors la loi. C’est pas juste pour éviter le courroux des parents de la gosse, c’est parce qu’il sait, du verbe « savoir », qu’il a saccagé une première victime de l’année 2006 à l’année 2009, et il sait donc qu’il entreprenait de mener la seconde victime, petit à petit, et d’année en année, à sa propre perversion. Marie-Lucie Hooker l’a également clairement dit lors de ses réquisitions : « Il a eu la volonté d’associer la victime à son comportement déviant. » Elle requiert une peine de 18 mois de prison ferme et 3 ans de suivi socio-judiciaire.

1 an ferme et 5 ans de suivi socio-judiciaire

Le tribunal déclare le prévenu coupable et le condamne à la peine de 12 mois de prison, ordonne son maintien en détention, ainsi qu'à 5 ans de suivi socio-judiciaire. Il aura l’interdiction de tout contact avec la victime ainsi que de se présenter aux domiciles qu’elle occupe, celui de sa mère et celui de son père. Deux ans de prison à la clé en cas de manquement. Le prévenu a en outre l’interdiction définitive de toute activité avec des mineurs. Le tribunal constate son inscription au FIJAIS, pour la deuxième fois.

Le père de la victime a demandé au tribunal de transmettre au prévenu qu’« on ne touche pas aux enfants. » On salue son calme à l’audience.

Florence Saint-Arroman

* « Mais ? Vous l’achetez. » dit le président au prévenu. (On note au passage la place de l’argent, dans cette situation : c’est une façon de retourner la responsabilité du côté de l’enfant et de faire de l’acte criminel - pas criminel pénalement, mais criminel au regard de la vie -, un petit commerce – ndla)