Chagny
A Chagny, ils avaient volé une voiture...
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 09 Avril 2022 à 08h47
Dans la nuit du 3 au 4 avril, ils ont volé une voiture, à Chagny. Une Peugeot dont le propriétaire est dans la salle d’audience, ce 7 avril. Ils ont vingt ans. L’un des deux a refusé d’être transféré au palais de justice.
Le prévenu présent à l’audience est né à Chaumont, en décembre 2002. Le prévenu qui a refusé de sortir de sa cellule est né à Strasbourg en avril 2001. Leurs prénoms commencent par la même lettre. Ils ont un autre point commun : ils furent tous deux placés. L’un en foyer on n’a pas compris quand, il n’a « plus de contact avec sa famille », « il ne peut compter sur personne », lit le président. « C’est pas faux », intervient le garçon. L’autre fut placé lorsqu’il était si petit qu’il doit lui être impossible de s’en souvenir. Il n’a jamais connu sa famille. Alors, ça leur fait un point commun, auquel on peut en ajouter un autre : ces deux-là sont en errance, ils n’ont pas de domiciles ni d’ancrages. Ils sont sans domicile fixe, comme pas mal de leurs anciens compagnons de foyer ou de familles d’accueil.
Un SDF sur 4
Faites-le : vous rentrez dans votre moteur de recherche les mots « enfants placés » et « sans domicile fixe », vous verrez, ça sort tout seul tant c’est une réalité connue. Faites ça aussi : quand vous marchez dans les rues, vous croisez des SDF, comptez-les. 1, 2, 3, et hop, le 4ème , voyez en lui un enfant qui a grandi dans un des « dispositifs », comme on dit, que le pays a institué pour qu’on s’occupe de ces petits-là. Il paraît que ceux qui s’en sortent, et ils sont nombreux, n’aiment guère ce discours dit « misérabiliste » qui viendrait désigner les enfants qu’on appelle « placés » comme des êtres voués à la rue. On ne sait pas si c’est vrai, ce qu’on dit, mais de toute façon, on a là une réalité sociale, qu’elle plaise ou pas.
« Il a besoin de manger chaud, de dormir, de se laver, et de soins »
« Selon l’Insee, 26 % des personnes sans-domicile nées en France sont d’anciens enfants placés. Chez les jeunes sans-domicile, cette proportion grimpe même à 36 %. »*
Deux d’entre eux ont donc volé une voiture à Chagny, l’autre nuit. Celui qui n’a pas voulu comparaître fait savoir par l’intermédiaire de maître Faure-Revillet qu’il veut rester en prison : « Il a besoin de manger chaud, de dormir, de se laver, et de soins. » Il devrait prendre un traitement, en raison d’un diagnostic posé en 2017, « bipolarité » dit le président, « schizophrénie » dit l’avocate : dans un cas comme dans l’autre, il vit dans les rues, et il était en rupture de traitement.
« Lui donner un étayage »
L’autre est dans le box, les traits tirés, les yeux cernés surmontés d’un regard triste qui ne se détache que peu de son avocate lorsqu’elle plaide pour lui. « Il a une adresse, chez un ami vers Dijon. Il faut lui donner un étayage, il en a toujours manqué. Un étayage qu’il appelle de ses vœux. » Maître Charrier souligne au passage, que le juge des libertés et de la détention avait bien demandé qu’ils ne se trouvent pas dans la même cellule au centre pénitentiaire, et voilà pas qu’au quartier arrivant, c’est exactement ce qui est arrivé. Donc, pour éviter tout concertation, ce à quoi le parquet se montre très attaché, faudra repasser.
Le montage administratif français joue double jeu
Ces jeunes-gens-là sont en gros comme les mineurs isolés étrangers que la France a le devoir de prendre en charge puisque dans les deux cas, l’Etat s’est délesté de sa charge sur les Départements – ce qui favorise forcément cette « gestion » -sic - à tiroirs : 1/ les départements se débrouillent, plus ou moins bien d’ailleurs car on observe des disparités importantes entre eux 2/ A la majorité de tout ce petit monde, l’Etat reprend la main et finalement la continuité n’est pas assurée, pour personne.
Alors, bien sûr, il est question de logements, de recherche d’emploi ou de terminer des formations, bien sûr. Mais il est aussi question de parcours antérieurs fragmentés, de violences subies sans personne pour les entendre (mais oui, ça arrive encore), d’abus perpétrés à l’abri des murs et sans que ça parvienne aux oreilles du juge des enfants, ou bien ça y parvient mais ça peut rester inaudible, pour pas mal de raisons qu’on ne peut décliner ici.
Ces enfants qui s’échouent une fois majeurs sur nos trottoirs
Il y a un problème d’institutions. On ne peut pas demander à une institution d’être bien portante en l’absence de toute instance régulatrice, de tout regard extérieur garant. Bref, pour ces enfants qui s’échouent une fois majeurs sur nos trottoirs, il y a bien des réflexions à mener, que ça soit sur la formation des personnels qui s’investissent dans ce domaine, ou sur ce qui fabrique un être humain capable de tenir sur ses jambes. Ceci étant en relation avec cela, et en plus, d’intérêt général puisque ça concerne chaque domicile où vivent des enfants.
Si toutefois notre société avait véritablement le souci de ses petits
On note quelques avancées https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/16/protection-de-l-enfance-le-senat-vote-pour-une-meilleure-prise-en-charge-des-enfants-places_6106238_3224.html
mais celles-ci restent bien en deçà d’une réflexion digne de ce nom si toutefois notre société avait véritablement le souci de ses petits. Par exemple : parmi tous ces enfants, placés et pas placés, au moins 160 000 d’entre eux sont victimes de violences sexuelles chaque année (pour 2000 jugements de condamnation par an**) : nous pourrions avoir un regard plus embrassant, au lieu de gérer à la petite semaine (sans une véritable conception de l’enfance, n’en déplaise à la réunionnite qui sévit dans toutes les instances), dans des conditions trop souvent déplorables (en dépit des bonnes conditions qui existent elles aussi, et d’enfants qui parviennent à se frayer un chemin) faute de repères structurants et non négociables. Nous manquons d’éducation, collectivement.
« J’aimerais tellement… »
Bref, deux garçons qui passent leur temps à aller d’un endroit à un autre ont volé une voiture à Chagny, il y a 3 jours. L’un d’eux veut rester en prison, l’autre semble crever de malheur à l’idée d’y rester. Il a écrit un petit mot à l’intention du juge. « Cette nuit passée en prison fut la pire de ma vie. J’aimerais tellement avoir un travail et une vie stable, et j’aimerais avoir un suivi car tout seul c’est trop dur. Et j’aimerais avoir un suivi par un éducateur PJJ (protection judiciaire de la jeunesse, ndla), comme avant, car ça m’avait aidé. Je vous remercie. »
Le tribunal ordonne le renvoi du jugement à mi-mai, et une expertise psychiatrique pour celui qui n’a pas voulu sortir de sa cellule. Dans l’attente, les deux sont maintenus en détention. C’est le sort automatiquement décidé pour les SDF. La justice craint trop que ces deux-là ne prennent la poudre d’escampette, puisque visiblement c’est, à ce jour, ainsi qu’ils vivent.
FSA
* https://www.la-croix.com/France/Exclusion/Enfants-places-foyer-rue-2019-02-01-1200999503
** Défendre les enfants, Edouard Durand, page 20. Ed. Seuil
Un entretien : https://www.la-croix.com/Famille/Enfants/Lyes-Louffok-nom-enfants-places-2019-01-16-1200995810
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