Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Bébé secoué « par une professionnelle de l’enfance »
Par Florence Saint-Arroman
Publié le 23 Avril 2022 à 14h20
Lorsque la nounou l’appelle, à 14h34, ce 4 avril 2017, et lui dit que son enfant pleure et que « ça ne va pas du tout », la mère fonce. A son arrivée, sa fille est dans les bras de sa nounou, « habillée, transpirante, et inconsciente ».
Ce 22 avril 2022, la femme qui gardait le bébé (une petite fille alors âgée de 11 mois, née en mai 2016) comparaît devant le tribunal correctionnel du TJ de Chalon-sur-Saône, elle doit répondre de violence suivie d’incapacité supérieure à 8 jours, sur l’enfant. Cela fait 5 ans, et depuis 5 ans, la nounou, agréée pour 4 enfants, se défend d’avoir secoué le nourrisson. Le conseil départemental a suspendu son agrément depuis.
« L’enfant est inconsciente et il ne vous vient pas à l’idée d’appeler les pompiers ? »
Le 4 avril 2017, la mère prend sa fille des bras de la nounou, lance à celle-ci de faire le 18. Les pompiers interviennent en premier. L’un d’eux trouve que la nounou est « très calme » et « minimise l’état de l’enfant ». Le président Dufour : « Pourquoi vous n’appelez pas les pompiers avant que la mère ne vous le demande ? » La prévenue, née en 1963, cheveux longs posés sur une grande veste noire, bredouille : « Je ne pensais pas que c’était si grave. » Le président : « Madame, vous avez eu des enfants, vous en avez gardé beaucoup. L’enfant est inconsciente et il ne vous vient pas à l’idée d’appeler les pompiers ? »
Le 8 avril, le pronostic vital de l’enfant est toujours engagé
Les parents de l’enfant avaient toute confiance en cette nounou. Quel parent confierait son petit à une personne qui ne serait pas digne de confiance ? Cette femme avait déjà pris soin de leur fils. « Je pense qu’elle a mal jugé la situation, déclare la mère au début de la procédure. Elle ne s’est pas rendu compte. » Le 8 avril, le pronostic vital de l’enfant est toujours engagé. Bien sûr les parents sont également soupçonnés au départ. Maître Perez (barreau de Paris) dira pour eux ce que ça représente d’avoir l’interdiction de s’approcher de son enfant, âgé de 11 mois, qu’ils pensaient perdre. Le soupçon sur eux est levé assez rapidement, mais les heures furent longues pour le couple. Le 13 avril, l’assistante maternelle est placée en garde à vue.
Leur vie a basculé
Ce 4 avril 2017, « notre vie a basculé, tant sur le plan professionnel que personnel. » Loin dans la matinée d’audience, le père lira un texte rédigé à deux, pour dire « la souffrance de notre enfant ». Cette violence à entendre les pronostics médicaux, « elle ne marchera peut-être plus » (elle marche aujourd’hui, ndla), « elle sera peut-être aveugle » (elle a des séquelles, elle porte des lunettes désormais), « voir notre fille inanimée, dans le coma, supporter des soins invasifs » (dont les drains posés à l’intérieur de la boîte crânienne pour que le liquide s'écoule et que baisse la pression intracrânienne), « la voir se battre pour reconquérir les acquis alors perdus ». « C’est une autre enfant, au comportement agité, fatigable », « un séisme immense a ébranlé notre vie familiale, notre couple, notre fils, nos familles, nos vies professionnelles ». « Certes notre fille progresse mais quel sera son avenir ? » Le corps médical dit que l’état de l’enfant ne sera dit consolidé que dans 16 à 18 ans après les faits. A ce jour, elle est scolarisée et ça va plutôt bien, compte tenu de tout.
Elle dit « ça va aller »
Les pompiers interviennent les premiers, le 4 avril 2017. Ça se passe en Bresse, dans une petite commune pas loin de Saint-Germain du Bois. Ils trouvent le comportement de l’assistante maternelle pas vraiment adapté à la situation, elle dit « ça va aller ». Très vite, le pauvre bébé est transporté, intubé, par hélicoptère à l’hôpital mère-enfant de Bron. Les médecins constatent une plaie frontale droite (hématome de 5 cm dans son grand axe), une fracture poignet gauche, un petit bleu cuisse gauche, un œdème cérébral, hématome sous-dural « récent », et de multiples hémorragies dans chaque œil, ils sont formels : cela n’est pas causé par une chute « sur un jouet en plastique dur » comme l’a dit la nounou, cherchant explication.
Tout évoque le syndrome du bébé secoué
Le nourrisson fera trois crises d’épilepsie, restera un mois en service de réanimation, puis ira vivre dans un centre spécialisé jusqu’à fin juillet. Elle qui marchait, ne marche plus. Ses parents se relaient à son chevet. C’est un nourrisson devenu agité, elle pleure beaucoup, demande les bras. On ne peut imaginer la douleur, les souffrances, de cette enfant. Les médecins n’écartent pas des séquelles motrices ultérieures, d’ores et déjà sa vision semble définitivement altérée.
Les médecins sont formels : la conséquence d’un choc traumatique à cet âge-là, est immédiate, donc si elle a perdu conscience en début d’après-midi, eh bien... Tout évoque le syndrome du bébé secoué. Un professeur, médecin légiste à Strasbourg, sera affirmatif.
Un poupon à l’audience
Le président Dufour a apporté une poupée. Il demande à la nounou de montrer au tribunal avec quelle force elle a pris l’enfant lorsqu’elle l’a trouvée inanimée, les yeux révulsés, dans le parc. Elle mime le mouvement. « Donc c’est le seul mouvement brusque que vous auriez fait vis-à-vis de cette enfant ? - Oui. - Est-ce que ce seul mouvement peut avoir causé ce qu’on a constaté sur l’enfant ? - .... - Je vais vous dire : non, ça n’est pas possible. » David Dufour prend la poupée contre son épaule, et poursuit : « Donc ça n’est pas ça, c’est ça ! » Le juge saisit le poupon en plastique et le secoue à bout de bras. Inutile de s’étendre sur l’état émotionnel dans lequel tout le monde se trouve, à l’audience, que ça soit sur l’estrade, dans le box des avocats, sur le banc de la presse et dans la salle. C’est très dur.
« Voilà pourquoi, madame, c’est interdit »
Le président n’en a pas fini, il tâche d’amener la prévenue à reconnaître qu’elle seule est responsable de l’état épouvantable dans lequel l’enfant a sombré, le 4 avril 2017. « Je ne comprends pas, je sais pas » répond l’ex-nounou. Questions sur la formation qu’elle a reçue, les premiers secours et aussi que fait-on quand un enfant pleure et qu’on n’en peut plus ? ... On s’éloigne, on respire, on boit un coup, si on est fumeur, on fume une cigarette, bref. Et secouer un bébé ? C’est interdit parce que c’est dangereux, mortel. C’est dangereux parce que la tête va d’avant en arrière, et que le cerveau cogne à chaque fois contre la boîte crânienne, à l’avant, à l’arrière. « Voilà pourquoi, madame, c’est interdit. » Elle répond juste : « Oui. »
Une projection de l’enfant sur le sol ?
Le président déploie tout le contenu du dossier. Les médecins affirment qu’un enfant de cet âge-là ne peut pas se fracturer le poignet en tombant de sa hauteur, et un choc aurait laissé une trace cutanée. « Le mécanisme le plus probable : une chute d’une hauteur importante, ou une projection de l’enfant sur le sol. » A 10h40, le président : « Alors qu’est-ce qui s’est passé ?
- (Très émue) Je ne peux pas faire du mal à un enfant. Pourquoi elle ? Pourquoi ?
- Je ne doute pas que vous aimiez les enfants, madame. Mais il est de l’intérêt de l’enfant, du votre, que vous disiez ce qui s’est passé. Tous les médecins disent que c’est impossible qu’il ne se soit rien passé.
- (Elle balbutie) J’ai fait un geste brusque, mais...
- Ça n’est pas arrivé comme ça. »
« J’ai pas fait de mal à (prénom de l’enfant) »
« Vous semblez passive, madame. Vous dites n’avoir rien fait, mais tout se resserre pour indiquer que si. » Elle, dans un petit gémissement : « J’ai pas fait de mal à (prénom de l’enfant). » Un juge assesseur tente le coup, rassurant la prévenue qu’elle n’a peut-être pas fait délibérément du mal, mais qu’elle occulte néanmoins ce qui aurait pu causer involontairement de telles blessures à un nourrisson. « Ce que vous dites ne colle pas. Ce que vous dites se heurte à une réalité physique et médicale. L’enfant a une plaie au front et une fracture au poignet gauche. » Rien, un mur. L’autre juge assesseur interroge la prévenue sur le rythme de cette enfant, sieste du matin, déjeuner, sieste en début de l’après-midi. Ce jour-là, elle ne dormait pas. « Est ce que ça n’a pas pu vous agacer, ça ? - Agacer, non, mais ça perturbe. J’ai eu un moment de panique. - Ce moment de panique a eu quel effet sur vous ? - Je ne sais pas. - On peut avoir un moment d’humeur très court... » La prévenue ne répond pas.
« Mais, on sait que vous l’avez secouée, madame »
Clémence Perreau, substitut du procureur, intervient à son tour. « Tout est flou, madame, dans ce que vous dites. Au fond de vous, vous expliquez la situation comment ? » Silence, puis : « Je ne sais pas. – Vous avez déclaré être fatiguée par ses pleurs. Vous avez pu en avoir marre, être un peu brusque ? – Peut-être. » De l’extérieur, on se dit qu’elle vient de reconnaître quelque chose, par ce « peut-être » qui entrouvrait une porte, mais pour la justice, ça n’est pas suffisant. « Vous confirmez qu’il n’y a pas eu de dérapage ? – Oui. » La porte s’est refermée, ne s’ouvrira plus. « Mais, on sait que vous l’avez secouée, madame. – Je ne l’ai pas secouée. Prise un peu brusquement, oui. – Ce n’est pas possible, madame. Ce-n’est-pas-po-ssi-ble. Vous le savez, au fond de vous ! – Je n’ai pas secoué (prénom de l’enfant). » Plus tard, la substitut demandera une peine de 3 ans de prison dont 2 ans assortis d’un sursis probatoire à l’encontre de la prévenue dont le casier est vierge.
A-t-elle connu un épisode de dépersonnalisation, le 4 avril 2017 ?
La prévenue a passé deux expertises, l’une, psychologique, l’autre psychiatrique. Les deux mettent au jour des fragilités qui sont à la fois importantes et assez banales. Son « parcours de vie pas simple » comme dit le président, la conduit en 2006 à faire une formation pour devenir assistante maternelle. Son avocat s’est rendu chez elle lors de la reconstitution, il témoigne que tout était organisé pour les enfants qu’elle accueillait, il a vu un lieu adapté et sécurisé. La psychologue de l’AEM parle d’une femme aux capacités d’introspection limitées, qui a du mal avec ses émotions et les identifie mal. A-t-elle connu un épisode de dépersonnalisation, le 4 avril 2017 ? Elle avait un sentiment d’irréalité, peut ne pas se souvenir, souffrir de troubles dissociatifs*. Décrite comme « fragile », « nerveuse », ses colères partent vite en insultes. Bon. Le psychiatre, écrit, lui, qu’elle a du mal à gérer ses émotions et que ça peut favoriser des passages à l’acte, sans qu’elle soit dangereuse pour les autres pour autant.
« Heureusement que madame a appelé la mère »
Il revient à maître Diry d’intervenir en faveur de la prévenue, « une prise de parole incroyablement ardue », de son propre aveu. L’avocat multiplie les questions pour adoucir les angles d’un bloc monolithique qui pèse depuis bientôt 4 heures sur la barre à laquelle se tient sa cliente. Il confronte, et d’une jolie façon, l’élément intentionnel, « le plus subjectif » (inconnu puisque la prévenu ne reconnaît rien ou trop peu), à l’élément médical, le plus objectif, mais « de chair et de sang ». Il a auparavant assuré les parents de la petite de son respect et de sa « compassion totale ». « Heureusement que madame a appelé la mère. Ce dossier s’est ouvert sur un sauvetage. » Il évoque des assises : une nourrice était jugée pour avoir secoué puis laissé mourir l’enfant. La prévenue, ici, a appelé la mère, et ce faisant a permis que l’on sauve la vie qui était en voie de quitter l’enfant.
48 mois de prison dont 18 mois ferme
A 14h 45, le tribunal déclare la prévenue coupable, la condamne à 48 mois de prison dont 30 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligations de soins et d’indemniser les parties civiles (ce dernier point, nous le verrons, pèse lourd dans la sanction). Peine complémentaire : interdiction d’exercer toute activité avec des mineurs pendant 10 ans. Les 18 mois ferme sont aménageables, la condamnée devra rencontrer un juge de l’application des peines qui en fixera les modalités.
Plus de 230 000 euros de créances provisoires
Maître Lopez a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) au cours de la procédure, pour que les parents de l’enfant puissent faire face aux dépenses que ce drame et les soins afférents, et les changements de vie, ont généré. La CPAM intervient également au dossier. Les sommes sont des créances provisoires, l’audience sur intérêt civil aura lieu en fin d’année. L’ancienne assistante maternelle est condamnée, sur le plan civil, à verser à la CPAM environ 73000 euros, et au fonds de garantie 152 500 euros.
« Le tribunal a considéré que les faits avaient été commis par une professionnelle de l’enfance et que ça aggravait considérablement la situation. »
Florence Saint-Arroman
La substitut du procureur a salué la dignité et le courage des parents, qui n’ont pas fait « de surenchère émotionnelle ». C’est vrai, et l’audience n’en fut que plus éprouvante, au plus près des souffrances endurées et des conséquences insensées pour l’enfant et ses proches, face à une femme aujourd’hui âgée de 60 ans, qui n’a su que balbutier qu’elle ne veut pas de mal aux enfants, ce dont personne ne doute, le président le lui a assuré, sauf que ce n’était pas la question qu’on lui posait. Que s’est-il passé pour que cette enfant âgée de 10 mois manque y laisser la vie ?
** CIVI https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2313
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