Faits divers
Chalon – Trafic de stupéfiants : le lycéen se servait d’un ex-taulard comme nourrice
Par Florence Saint-Arroman
Publié le 31 Mai 2022 à 13h03
A la barre un lycéen chalonnais, 19 ans, classe de terminale. Dans le box, un « longue peine ». 48 ans, 18 ans de réclusion criminelle pour assassinat, sorti fin octobre 2021. Les deux sont poursuivis pour trafic de stups.
Par quel méandre dont la vie a le secret se sont-ils rencontrés ? On ne saura pas vraiment. « A une soirée », disent-ils. Soit, même si l’on devine des déterminants qui les ont rapprochés, du côté d’une forme de désinsertion, sauf qu’elles ne sont pas comparables puisque le « longue peine » fut, de fait, écarté de la vie sociale pendant quasiment une génération, alors que le lycéen frappe les esprits par son profil rare en audience : famille « insérée », famille d’un niveau socio-professionnel dit « privilégié », lui-même scolarisé, pas de casier, et pourtant lui-même fournissant du shit à une cinquantaine de clients, et ceci, maintient-il, sans le moindre enrichissement. Pas un euro, rien, nada, « je rendais service ».
Deux coffres et quasi deux kg de drogue
Comme souvent, tout commence sur dénonciation. La police est informée d’un trafic se déroulant entre un appartement sis rue du 56ème régiment d’infanterie à Chalon et le mini-centre commercial qui lui fait face. Surveillance ce 24 mai. Bingo. Auditions, poursuites, comparution immédiate ce 30 mai. « On s’arrête à la première surveillance », rappellera maître Estève, qui regrette que le défaut d’investigations barre l’accès à ceux qui sont « au-dessus ». La perquisition dans l’appartement occupé par le longue peine, dans le cadre d’une mesure de suivi socio-judiciaire, est positive. La police y trouve 2 coffres verrouillés (balance électronique, couteaux, environ 1,7 kg d’herbe et de résine de cannabis), et dans une commode, 25 grammes de résine répartis dans des sachets.
« Winnie l’ourson, c’est lui et que lui »
En auditionnant un acheteur pris en flag le 24 mai, les enquêteurs apprennent que tout passe par un compte Snapchat, celui de Winnie l’ourson. « Un compte collectif », se défend le lycéen à la barre. « Winnie l’ourson, c’est lui et que lui » s’étrangle d’agacement celui qui risque super gros vu son casier. Voilà comment les choses se dessinent à l’audience. La présidente Verger, ses assesseurs, tous relèvent l’incohérence du lycéen : c’est lui qui a demandé ses clés au prévenu logé rue du 56ème régiment d’infanterie (« Je les lui avais données pour qu’il puisse venir avec sa copine, j’ai été jeune, moi aussi »), c’est lui qui a fait faire un double de ces clés et qui l’a donné « aux autres », c’est lui qui avait les clés des coffres, c’est lui qui y avait déposé la marchandise, mais « j’étais un intermédiaire ».
Les magistrats s’étonnent
Il s’est fait tabasser. « C’est parce que je voulais sortir du trafic, je m’éloignais. » Les magistrats s’étonnent qu’une petite main, un intermédiaire si peu impliqué, soit dépositaire d’autant de confiance (les clés, les coffres, la marchandise) et traité comme quelqu’un d’important (pourquoi autant de violence s’il n’a ni drogue, ni argent, ni dettes, ni rien ?). Cela dit d’autres prévenus (dans d’autres affaires) rapportent aux audiences qu’il n’y a plus de règles dans ce milieu, c’est devenu ultra-violent car la violence est doublée d’une gratuité qui fait froid dans le dos. N’empêche que les juges ne croient pas le jeune homme.
« Il s’est fait frapper parce que des mecs voulaient son portefeuille de clients »
« Quel être sensé, monsieur, peut se mettre dans un bourbier pareil ? Car les autres vous incriminent, insiste la présidente. Si votre rôle est si minime, pourquoi des pressions si importantes à votre encontre ? » Le garçon botte en touche : « Ce n’est pas des fréquentations qui vous tirent vers le haut. » Il dit que « eux » s’en sont pris à lui, mais aussi à son père, à la voiture de sa sœur, « pourtant je ne leur dois pas d’argent ». Celui qui a tout faux avec un lourd casier, et qui vit sous main de justice, ne se démonte pas : « Il s’est fait frapper parce que des mecs voulaient son portefeuille de clients. C’est lui qui vend et encaisse, il a un sacré paquet de clients. »
« Ce n’est pas celui qui est bien sous tous rapports qui vous dit la vérité »
Ça se peut, mais « on n’a pas trouvé d’argent », ne manquera pas de plaider maître Estève pour le lycéen. « On n’a rien sur un quelconque enrichissement, ou une modification de son train de vie. On a fait le choix de la comparution immédiate, donc il n’y a pas eu d’enquête poussée, donc le dossier est pauvre. » Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, le sait bien (que l’argent est un élément important, sauf que les trafiquants le savent aussi et désormais l’argent est ailleurs ! enterré dans un sous-bois, par exemple, ndla), mais elle tient ferme sur sa lecture du dossier, que les juges semblent avoir également : « Ce n’est pas celui qui est bien sous tous rapports qui vous dit la vérité. Sa version ne tient pas, ne correspond ni aux déclarations des autres, ni aux éléments de procédure. »
Le lycéen « avait toutes les cartes en main pour faire un autre choix »
« ‘Winnie l’ourson’ était parti quelques jours à Marseille. C’est lui qui livre les produits stupéfiants, et son téléphone ‘sonne tout le temps’. Mais il s’implique dans un trafic de stupéfiants « gratuitement » ? Sans contrepartie ? Il serait une petite fourmi qu’on prend la peine de rouer de coups ? C’était un petit trafic lucratif, jusqu’à 50 clients par jour. Qui travaille avec lui ? Pour qui travaille-t-il ? De son côté, toute sa famille accepte sa participation à un trafic, sans se poser de questions, sans déposer plainte. » Le fait est que le recours aux forces de l’ordre est venu à retardement. La vice-procureur requiert une peine de 18 mois contre le prévenu le plus âgé, avec maintien en détention, et, contre le lycéen qui « avait toutes les cartes en main pour faire un autre choix », la peine de 2 ans de prison dont 1 an avec sursis probatoire (interdiction de paraître en Saône-et-Loire) et un mandat de dépôt à l’audience.
« Sa sortie lui faisait peur. En 18 ans, le monde a changé »
Maître Estève plaide avec emportement contre le mandat de dépôt : « l’œuvre pédagogique est faite », « il doit rompre avec ce milieu », « l’incarcérer serait injuste et dangereux, ça serait une catastrophe », « il passe le bac la semaine prochaine », « il reconnaît les faits ». Le lycéen n’a dit aucun nom de ceux qu’il sait être impliqués dans du trafic de stupéfiants.
La plaidoirie de maître Faure-Révillet est posée et n’en est pas moins efficace. Elle dit des choses justes quant au devenir de ceux qui sont enfermés trop longtemps. « Sa sortie lui faisait peur. En 18 ans, le monde a changé, les relations entre les gens ont changé aussi. Il a perdu 15 kg depuis sa sortie. Il n’a aucune attache en Saône-et-Loire, il sympathise avec les mauvaises personnes. »
Des réflexes de détenu
Le parquet estime que chaque prévenu a fait un choix, et en est forcément responsable. L’avocate tempère ce regard : « Il n’a pas dit ‘non’, c’est vrai, mais quand on a passé 18 ans de sa vie en prison, on ne va pas voir la police. Il a non seulement des réflexes de détenu -on ne balance pas- mais il a aussi la certitude que s’il en parle à quelqu’un, son passé va ressurgir et il va retourner en prison. Son moteur, ce n’est pas l’argent -il n’en a pas-, ni la drogue, son moteur, c’est la peur de retourner en prison. Les réquisitions sont extrêmement sévères : ‘Remettons monsieur en prison’… Mais, pour quoi faire ? Il faut qu’il continue son suivi à l’extérieur. Je vous rappelle qu’il n’avait pas les clés des coffres installés chez lui. Il faut trouver une peine qui convienne à sa situation. »
2 ans dont 1 ferme, incarcéré à domicile
Le tribunal déclare le lycéen coupable et le condamne à la peine de 2 ans de prison dont 1 an est assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans (obligation de travailler ou de se former et interdiction de paraître en Saône-et-Loire, excepté pour passer les épreuves du baccalauréat). Le tribunal ordonne l’exécution provisoire de ces mesures, ça veut dire qu’elles sont opératoires immédiatement, car les juges ont décidé d’aménager la peine de 1 an ferme en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Dès ce soir il devrait dormir ailleurs que dans le département. « Le tribunal vous laisse la chance de démontrer que vous êtes sincère et que vous ne continuerez pas. »
1 an sous le régime de la semi-liberté
Quant à cet homme qui a trouvé le moyen de filer ses clés à des trafiquants de drogue, alors qu’il occupait un logement que l’association AEM l’avait aidé à prendre, pour lui remettre le pied dans un étrier, bien consciente que la réadaptation à la vie courante et à ses charges ne va pas de soi après une si longue incarcération, le tribunal le déclare coupable. Le condamne à la peine de 12 mois de prison, dit que cette peine sera exécutée sous le régime de la semi-liberté. Il dormira en prison et tâchera d’avancer sur le reste (soins, trouver un travail, etc.) en journée. Le prévenu n’en revient pas mais apprécie, ça se voit, le cousu main de la sanction.
Comme quoi, il en va des peines comme de l’habillement : il y a le prêt à porter ordinaire, mais il existe aussi de la haute couture.
Florence Saint-Arroman
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