Faits divers

Passage à tabac au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 10 Juillet 2022 à 02h09

Passage à tabac au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand

Le 30 juin dernier, un détenu entre dans la cellule d’un autre pour régler des comptes. Le 5 juillet, un juge des libertés et de la détention décerne un mandat de dépôt à l’encontre de 3 prisonniers, poursuivis pour violence en réunion, soit comme auteur, soit comme complices.

La victime a 21 jours d’ITT mais ne dépose pas plainte. Entendu par les autorités, l’homme n’a pas voulu répondre aux questions, ou du bout des lèvres. Pourtant ses blessures sont graves, pourtant on l’a attaqué par surprise dans un lieu clos, à 3 contre 1. Dans le box, ce jeudi 7 juillet, trois détenus doivent donc répondre mais l’auteur principal, le plus jeune des trois, demande un délai pour préparer sa défense. Les deux autres préféreraient être jugés de suite, mais le parquet s’oppose à la disjonction des dossiers. Après délibération, le tribunal ordonne la disjonction. L’auteur principal sort du box, il sera jugé en août. Il reste le plus âgé, V., 32 ans et celui âgé de 24 ans, M.J. 

Une vendetta, pour « laver l’honneur de la famille », soi-disant

Le plus jeune a 21 ans. Il est parti faire vengeance, parce que son frère, incarcéré à la maison d’arrêt de Besançon aurait été victime d’un passage à tabac par une dizaine de détenus, parmi lesquels le frère du vengeur, donc. Une histoire de frères, et de frères interchangeables, donc, puisque l’un peut payer à la place de l’autre. Ça sent la colle. L’auteur principal des violences commises le 30 juin dans une cellule du centre pénitentiaire de Varennes le Grand, a reconnu les faits. « Je ne suis pas fier de cela, mais si c’était à refaire je le referais, au moins j’ai sauvé l’honneur de la famille. »  (sic)

Aucune parole n’a été prononcée pendant l’action

Le 30 juin dernier, au moment de l’appel, un peu après 7h30, un surveillant entend « un chahut ». Le temps d’aller voir, les surveillants récupèrent la victime au sol. On l’évacue à l’infirmerie sur un fauteuil roulant. Les images de la vidéo surveillance montrent les trois hommes se présenter à la porte de la cellule de X. Il est 7h36. À 7h38, V. sort de la pièce, mais empêche la victime de sortir. Moins d’une minute après, M.J. sort à son tour, on voit le plus jeune pousser la victime. Aucune parole n’a été prononcée pendant l’action. La victime se tient au mur, puis tombe au sol un peu plus loin.

« Je ne pensais pas qu’il le frapperait autant »

Il faut peu de temps pour blesser et assommer un homme. Le visage du frère de celui qui aurait participé à une agression en groupe contre le frère de celui qui est entré dans sa cellule pour le mettre en pièces, est complètement tuméfié. L’homme souffre de deux fractures (la base du nez et une côte) et d’un enfoncement d’une pommette, il est couvert de bleus et lésions sur le thorax, le dos, les genoux. C’est grave, très grave. 
Il s’agit de déterminer les responsabilités de chacun. Ils reconnaissent tous deux avoir été complices. « Je ne pensais pas qu’il le frapperait autant. » « C’est quand même moi qui l’ai ceinturé pour qu’il arrête de le frapper. » « J’ai participé, oui, mais j’ai pas commis de violence. » À l’exception d’un coup de pied ? « Je sais pas. Y avait tout le monde dans la cellule, c’était le matin, je sais pas. » Un coup de pied, si.

Casiers et réquisitions

V., 24 condamnations dont 6 pour des faits de violence, il purge plusieurs peines pour un total de 24 mois, il est libérable en janvier 2023. Il est arrivé au centre pénitentiaire de Varennes en septembre 2021. Le casier de M.J. compte 11 condamnations dont 4 par le tribunal pour enfant, une succession de petites peines, puis 2 ans dont 6 mois avec sursis probatoire pendant 2 ans en mai 2021. Il est au centre pénitentiaire de Varennes depuis septembre dernier. Ils disent qu’ils ne connaissaient pas l’auteur principal de l’agression avant. Ils disent aussi qu’ils ne savaient pas ce qu’il avait en tête, quand ils l’ont accompagné jusqu’à la cellule de la victime.
« Ils ont vite vu qu’ils n’allaient pas prendre le café. » Charles Prost, vice-procureur, requiert, contre V., qui a fait le guet a donné un coup de pied pour repousser la victime dans la cellule ; et contre M. J., qui n’est pas intervenu pour stopper l’agression « parce que c’était une affaire de famille », sauf à la fin, « parce qu’il frappait trop », le procureur demande la même peine : 18 mois de prison. « Il faut bien reconnaître que la violence existe en centre pénitentiaire, malheureusement. »

« Une grande lâcheté »

Maître Grenier-Guignard, pour M. J., rappelle qu’on ne peut réduire quiconque à un casier judiciaire, que son client ne connaissait pas du tout l’auteur principal, que leur seul point commun c’est d’être originaires de Franche-Comté. « M.J. aussi, porte des hématomes. On ne sait pas ce qui s’est passé dans la cellule. A un moment donné il a dit ‘c’est trop’, même s’il a fait preuve d’une grande lâcheté. On lui fait porter un rôle plus important que celui qui fut le sien. » La prison, « c’est la loi de la jungle. Le codétenu de la victime n’a pas porté secours non plus. »

« Et puis il y a la question de l’ascendant »

Maître Grebot enchaîne, pour V. « La population d’un centre pénitentiaire n’est pas celle qu’on rencontre tous les jours dans la rue. C’est une population d’hommes qui ont un passé et qui sont là, privés de liberté en répression des infractions qu’ils ont pu commettre. Ces trois-là viennent de la région de Besançon, et puis il y a la question de l’ascendant, qui souvent naît du fait qu’on a une peine lourde à exécuter. C’est le cas de l’auteur principal qui a 5 ans à accomplir. » L’avocat reprend la scène filmée, à l’extérieur de la cellule (« dans laquelle V. est resté 35 secondes »), précise le comportement de V. 

Des sanctions disciplinaires distinctes

Quant à l’importance que le personnel pénitentiaire accorde à chacun : l’auteur principal a été sanctionné de 30 jours de quartier disciplinaire dont 5 jours avec sursis, et V., lui, a été puni de 15 jours dont 7 avec sursis. Voilà qui place chacun sur l’échelle des responsabilités, dit l’avocat. Dans ces conditions, les 18 mois univoques requis... « c’est non ».

12 mois de prison supplémentaires chacun

C’est « non » mais ça fait mal quand même : le tribunal condamne V. et M.J. à la peine de 12 mois de prison chacun, ordonne leurs maintiens en détention. Fronts plissés les hommes ne peuvent que regarder l’horizon s’éloigner d’eux, mais, habitués des salles d'audience, ils se lèvent en disant poliment : « Au-revoir, merci. »

FSA