Faits divers
Jugé pour tentative de meurtre sur sa copine à Chalon-sur-Saône
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 25 Juillet 2022 à 14h07
« Avoir des difficultés et aller voir un psy, ce n’est pas honteux, monsieur. La honte, en revanche, c’est de ne pas se prendre en charge. » Le prévenu entend-il ce que lui dit un des juges assesseurs ?
Le mot « honte » à vrai dire est sans doute excessif*, mais le juge s’en est saisi car il sortait de la bouche même du prévenu, arc-bouté sur sa butée : ne pas savoir que ce qu’il a fait, c’est bien lui qui l’a fait. Il justifie donc par un sentiment de « honte » son obstination à ne pas examiner ce qui en lui va mal au point de le faire vivre sous le joug de deux addictions, à l’alcool et aux stupéfiants. Il ne veut pas savoir que lui, le « gentil », oui, il a fait ça : il a, le 10 décembre 2020, à Chalon-sur-Saône, attaqué sa copine, armé d’un couteau et d’un coupe papier, au point d’avoir été d’abord mis en examen pour tentative de meurtre. Au terme de son instruction, un juge l’a finalement renvoyé devant le tribunal correctionnel, pour violence sur conjoint aggravée par deux circonstances. Il est jugé ce vendredi 22 juillet, il encourt 7 ans de prison.
Il se met à califourchon sur elle et lui taillade la gorge
« Ne pas se prendre en charge. » A l’époque il avait sombré, la victime le dit elle-même à la barre : « J’avais peur par rapport à sa consommation d’alcool, d’où mes demandes qu’il parte. » Le 10 décembre, elle lui a demandé qu’il parte de chez elle pour le week-end. Il comatait alors sur le canapé. Il a hurlé qu’il n’en avait « rien à f*** ». Déjà énervé, il la met au sol. Elle veut le mettre dehors, résolue. Elle prend le sac à dos du gars, se dirige vers la porte du logement, c’est là, alors qu’elle lui tourne le dos qu’elle prend un premier coup de couteau, « dans le flan ». Elle tombe, il se met à califourchon sur elle et lui taillade la gorge. Elle parvient à se dégager, elle file dans le salon, elle a peur de mourir, il la poursuit, elle lui jette dessus tout ce qui lui tombe sous la main, essaie de joindre la police. La police lui répond. Les secours arrivent. Il s’est barré, non sans avoir ironisé, non sans s’être fichu d’elle.
« Y a pas plus gentil que moi, je suis toujours calme »
Elle a deux plaies au niveau des cervicales, une plaie vers la trachée, elle est touchée à la rate. 6 jours d’ITT. La police arrête le type une heure trente plus tard, chez ses grands-parents. Il est mis en examen et placé en détention provisoire le 12 décembre 2020. A l’époque il fumait dix joints par jour. Aujourd’hui, 18 mois plus tard, il est âgé de 30 ans et il dit : « Ce que j’ai fait, c’est pas moi. C’est horrible, ce que j’ai fait. Y a pas plus gentil que moi, je suis toujours calme. »
Le prévenu n’est pas mûr pour répondre de ses actes, ça inquiète les magistrats et ça n’aide pas son avocate à assurer sa défense. « C’est pas une vie, c’est une descente aux enfers. J’ai gâché une partie de ma jeunesse à cause de ça, et maintenant j’en paie les conséquences. » La victime aussi paie ça très cher. C’est une jeune femme déjà fragile au moment des faits, qui raconte au tribunal comment sa vie s’est rétrécie depuis, « je ne sors quasiment plus de chez moi », et aussi comment elle « culpabilise », « autant pour moi que pour lui », « je l’ai vu se dégrader et j’ai l’impression que j’ai pas été à la hauteur ». L’huissier d’audience lui tend un kleenex.
« Le symptôme, la cause du symptôme »
Le prévenu insiste : il ne voit pas de psy, parce que « je suis bien dans ma tête », et il soutient être sevré des toxiques. Du coup le président Plantier insiste : c’est l’histoire du symptôme et de la cause. Ainsi, au motif qu’il aurait asséché les symptômes (et à supposer que ça soit vrai, on se drogue facilement en prison, ça occupe et ça calme), le prévenu pense qu’il peut négliger « d’aller chercher les raisons qui vous ont poussé à prendre jusqu’à dix joints par jour et à boire de l’alcool en plus » ? L’expert psychiatre est clair : personnalité mal structurée, tendance à des passages à l’acte hétéro-agressifs en cas de frustration. Elle voulait la paix, il a manqué la tuer, « il n’a pas supporté l’idée de la séparation », écrit le docteur Canterino. Du coup, sur le plan criminologique, il y a des facteurs défavorables.
« Elle se fait ouvrir la gorge et elle dit ‘je m’en veux’. Il y a quelque chose qui coince, là. »
Au casier du prévenu, deux condamnations, conduite sous l’empire de l’alcool et usage de stupéfiants, puis rebelote, en 2016 puis 2019. Le juge assesseur y revient : « Elle se fait ouvrir la gorge, et elle dit ‘je m’en veux’. Il y a quelque chose qui coince, là. » Le prévenu : « J’ai pas les mots. » Le président : « Il faudra travailler pour les trouver, ces mots, monsieur. » La représentante du ministère public requiert la peine de 5 ans de prison puis un suivi socio-judiciaire pendant 4 ans, et la révocation du sursis de 2019. Maître Grenier-Guignard éclaire le versant familial du prévenu, une famille « normale » qui s’est bien occupé de lui mais qui a du mal « avec les comportements déviants », au point que son client finissait par dire que sa famille était « peu soutenante ». Celle-ci occupe quasi deux rangs de bancs dans la salle. Présente mais sans doute démunie. L’avocate fait part au tribunal des problèmes que rencontre le jeune homme en détention, au point de ne plus quitter sa cellule depuis 2 mois. La victime est venue seule, cette jeune femme est isolée.
5 ans et demi de prison ferme et 5 ans de SSJ
Le délibéré dure une heure. Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine de 5 ans de prison avec maintien en détention, et à un suivi socio-judiciaire (SSJ) pendant 5 ans (2 ans de prison au cas où), avec une injonction de soins, les obligations de travailler ou de se former, de réparer les dommages, et l’interdiction de tout contact (« ça veut dire ‘aucun contact’ » insiste le président) avec la victime ainsi que de paraître à son domicile. Le tribunal ordonne la révocation totale du sursis de 6 mois prononcé en 2019. Ça fait 5 ans et demi de prison, il en a fait 18 mois, il reste 4 ans…
Maître Bouflija avait pris la parole pour la jeune femme, « elle a très peur de lui », a demandé une expertise judiciaire et un renvoi sur intérêt civil, que le tribunal lui accorde.
Florence Saint-Arroman
*Nous serions des millions à vivre honteux, n’est-ce pas ?
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