Côte chalonnnaise
Laurent Vignat nous livre les ‘Ressorts’ de son coeur
Publié le 20 Décembre 2022 à 10h33
L’auteur qui vit et enseigne en côte chalonnaise a publié en 2020, après un accident cardiovasculaire, un essai autobiographique, à la fois drôle et émouvant et cette année ‘Des lignes et des liens’, un essai et des propositions inspirés des ateliers d’écriture créative qu’il anime. Partons à la rencontre d’un auteur qui sait captiver ses lecteurs !
Laurent Vignat est né en 1970 et a grandi à Paris. Il a suivi des études de Lettres modernes à la Sorbonne jusqu’à l’agrégation. Il s’installe en Saône-et-Loire en 2004, où il enseigne en tant que professeur certifié de Lettres Modernes en collège et à l’IUT de Chalon-sur-Saône. Celui qui siège également dans les jurys littéraires, participe aux divers Salons du Livre, a publié son 1er roman ‘Lignes de Rives’ en 2006 aux Éditions Mutine. Sa bibliographie compte aujourd’hui douze ouvrages parmi lesquels une biographie sur Antonin Artaud, un roman jeunesse ‘Monsieur I’ aux éditions du Jasmin mais aussi des contes et des nouvelles.
Interview :
Nous avions dévoré votre livre ‘Antonin Artaud, le visionnaire hurlant’ paru en 2018 aux Éditions du Jasmin. Nous avons lu ‘Ressorts’ avec le même entrain. Après l’infarctus, cela s’est-il imposé comme une nécessité de nous livrer ce moment de votre vie, de partager avec nous les ressorts de ce corps qui a failli et qu’il faut réapprivoiser ?
Sur le livre ‘Ressorts’, cela a d’abord été une envie esthétique avant de parler de thérapie. Il y a des maladies qui sont très littéraires : la tuberculose, la syphilis. On a eu également de grands auteurs du Sida. Il n’y a rien de littéraire sur l’infarctus, c’est la maladie de l’homme contemporain sédentaire. Je me suis dit que j’allais en faire quelque chose d’esthétique. Quand on m’a posé des stents, le médecin m’a dit que cela se présentait comme des ressorts ; je me suis dit que ‘Ressorts’ ferait un bon titre de livre. Je voulais que ce soit un objet littéraire qui allie le récit, la fiction et l’essai.
Le livre traite donc de votre accident cardiaque et de comment la vie s’est organisée ensuite autour de la prise en charge et de la réadaptation mais toujours avec beaucoup d’humour, je trouve ; sans omettre la poésie et votre goût pour le mot juste, c’était un élément essentiel à prendre en compte lors de son écriture ?
Un tel événement vous replace dans la vie, la hiérarchise. Le rapport au temps évolue, le rapport à son corps. Le corps surgit dans la vie : dégager du temps pour de l’activité physique à but thérapeutique, arrêter de fumer… Le corps devient un partenaire parce qu’il se rappelle à nous. L’urgence tue, les corps d’abord. Désormais, j’apprends à différer, à ralentir. C’est pourquoi le livre rencontre assez vite des écrivains du corps, c’est-à-dire des écrivains pour lesquels le corps est siège de la pensée et participe de l’écriture. Nietzsche, qui fut un grand marcheur et un grand malade, affirmait qu’il fallait rester assis le moins possible et que tous les préjugés venaient de l’immobilité. Cet accident m’a fait découvrir que le corps avait une pensée.
Pour répondre plus précisément à la question, je souligne que l’enjeu était aussi de proposer un objet esthétique. Faire de la maladie un objet esthétique passe le souci de soigner la langue, le rythme de la phrase. Cette recherche esthétique passe aussi par l’autodérision, l’humour, la mise à distance qui contribuent à une forme de thérapie à venir. L’écriture apaise, allège mais ne soigne pas, elle a ce puissant et dérisoire pouvoir de distancier la crise avec des mots.
L’écriture est belle, rigoureuse même pour décrire le quotidien, les habitudes qui prennent place autour de cet événement qui aurait pu être tragique. Les quelques personnages que l’on y croise, chalonnais ou grand-chalonnais, se reconnaîtront. Ne redoutez-vous pas, parfois, leur réaction ?
Il s’agit d’un témoignage autobiographique mais qui n’exclut pas la fiction. D’ailleurs, je crois profondément que l’autobiographie « pure » n’existe pas ; à partir du moment où l’on transforme le vécu en phrase, on se décolle de la réalité. Dans le livre, l’expérience est de fictionnaliser cette histoire pour la rendre plus universelle. Concrètement, toutes les personnes que j’ai rencontrées, qui se sont si bien occupées de moi, sont devenues des personnages.
Même constat pour ‘Des lignes et des liens’. À qui s’adresse cet essai d’ailleurs ?
L’idée initiale est qu’une fois une animatrice, intervenant en EHPAD, voulait des conseils pour faire écrire des personnes âgées sur leur passé. Cela a inspiré cet ouvrage. Je précise que ce livre est un objet hybride : il rassemble des expériences d’ateliers que j’ai pu mener depuis une quinzaine d’années et, à travers ces récits, je dresse des portraits-hommages de quelques belles personnes rencontrées. C’est aussi un essai sur l’écriture collective et c’est enfin un ensemble de propositions pour écrire ensemble. Il peut donc se lire comme un livre de littérature ou un manuel.
Les ateliers d’écriture que vous proposez depuis 15 ans maintenant, tant ils permettent de se confronter directement aux lecteurs mais aussi à leurs productions, ont-ils changé votre manière d’écrire, votre style ?
Ce dont je me rends compte est que cela a été dans le sens de réfléchir à ce que les lecteurs attendent d’un texte. Cela m’a amené vers une écriture plus nette, plus marquée, plus à l’échange avec les autres et atteindre un public plus important. Cela m’a permis de dés-intellectualiser. Je prépare un atelier comme je préparerais un roman, c’est scénarisé, c’est tout aussi créatif. Aujourd’hui, les ateliers d’écriture sont divisés en deux « obédiences » : développement personnel (les personnes vont écrire sur elles-mêmes et tenter ainsi de dénouer des crises intérieures) mais très souvent l’animateur n’a pas la compétence à accompagner. Un atelier n’est pas le lieu d’une psychothérapie collective. Je trouve cela périlleux et nuisible. La deuxième « obédience » consiste en l’écriture créative : il va s’agir de produire des textes à partir de consignes précises tirées de la littérature. Je pioche dans les grands textes des modèles, des phrases qui vont servir à mettre sur le chemin de l’écriture. Ce qui prime, c’est le plaisir, l’amusement, le partage. L’envie d’écrire vient en écrivant, forcément on réutilise toujours un peu soi-même mais à travers le prisme de la fiction.
Depuis ces dernières années, chaque livre parle-t-il un peu plus de vous ?
Je déteste l’autobiographie. Ces deux livres sont un peu des accidents dans ma production. Mon prochain livre, actuellement en lecture au Jasmin, est un roman. Mais un roman qui s’ancre dans mon expérience puisqu’il s’agit d’une jeune élève de troisième qui, à l’occasion du fameux stage en entreprise, rencontre un quinquagénaire, vendeur d’électroménager. Rencontre qui les secouera existentiellement tous les deux. Les fictions que l’on met en place, on les fait à partir de soi-même.
Nous apprenons dans ‘Ressorts’ que vous suiviez des cours au Collège de France d’Umberto Eco lorsque vous étiez étudiant en Lettres. Y a-t-il une anecdote à ce sujet, en dehors du fait qu’à l’époque vous fumiez la même marque, rare, de cigarettes ?
(Rires). Un jour, alors qu’Umberto Eco faisait une pause, nous avons eu l’occasion de parler de nos cigarettes communes. Elles qui m’ont amené à faire un infarctus et le concernant l’ont probablement amené vers une issue fatale.
Y a-t-il un auteur que vous auriez aimé rencontrer ?
Par rapport aux ateliers, j’ai une admiration pour Roland Barthes, Georges Perec, je m’en inspire beaucoup. Ce dernier s’installait au Café de la mairie, place Saint- Sulpice, à Paris et notait tout ce qu’il voyait, observait. Il avait appelé cette pratique ‘Tentative d’épuisement d’un lieu parisien’. C’est un modèle surexploité qui fonctionne toujours ; en prélevant du réel, on se rend compte que des fictions naissent. Lors de mes ateliers d’écriture, on fait des balades « pérecquiennes » où les participants partent avec deux phrases et qu’ils doivent faire figurer dans leur texte, par exemple comme celle de Louis-Ferdinand Céline : « Les hommes ça les rend méditatifs de se sentir devant l’eau qui passe. Ils urinent avec un sentiment d’éternité, comme des marins » dans Voyage au bout de la nuit ou encore Bernard- Marie Koltès, Quai ouest : « Monique : - Vous avez entendu le Plouf ? Je suis presque sûre d’avoir entendu le plouf d’un homme qui tombe à l’eau. » - donc, les participants partent en balade dans la ville et avec ces deux phrases cela va orienter leur écriture. J’essaie de mettre toujours dans l’observation.
Nous avions également travaillé lors de l’un de ces ateliers sur la signalétique routière avec pour consigne : « Décrire un panneau et son environnement ». L’un des participants avait choisi un panneau « Zone à 30 », zone à 30 de quoi ? À partir de là, on peut travestir le réel. Choper du réel pour en faire de la fiction. Les balades en ville ou à la campagne, posé dans un banc, un carnet et un stylo à la main, cela peut créer un déphasage car cela peut attirer l’attention sur vous et cela permet de se positionner différemment, celui qui observe est regardé. Public adultes, spécifiques, détendus en milieu fermé et ouvert… On arrive à lever des inhibitions par rapport à l’écrit. Certains ont peur de l’écriture et me disent : « je ne suis pas bon en orthographe », « Je n’étais pas bon à l’école ». Ce qui est important dans un premier temps, c’est le plaisir d’écrire, de trouver des vacuoles de liberté, de ralentir les choses, d’être sur un autre rythme. J’écris avec les gens, et je fais la même chose avec les élèves.
Vous êtes professeur certifié de Lettres Modernes dans un collège de l’agglomération chalonnaise et également enseignant à l’IUT, quel professeur êtes- vous pour vos élèves ?
J’ai des 6 e , des 3ème et des étudiants de bachelor. Je fais autant écrire les étudiants en BUT Carrières Juridiques que les 6e. J’espère être un éveilleur vers les mots et aider à en maîtriser leur sens. Ce qui me préoccupe actuellement, c’est la détresse lexicale des élèves. Moins on a de mots, moins on maîtrise le monde. Sitôt que je donne un mot à un élève, j’ai l’impression de lui donner un surcroît de pouvoir sur le monde qui l’entoure.
Vous vous pliez toujours à la discipline d’une heure d’écriture minimum par jour ?
Ça n’a pas changé. Avant c’était le soir ; maintenant, c’est le matin. La phase que je préfère, c’est la correction et la réécriture. Le premier jet peut être facile ou satisfaisant mais ce n’est pas, selon moi, de la véritable écriture. La réécriture constitue le vrai travail d’écriture. En ce moment, je suis dans un entre-deux un peu angoissant. Mon dernier ouvrage est en lecture chez l’éditeur et j’en amorce un autre, une commande d’un éditeur parisien, sur la modernité de l’œuvre d’Antonin Artaud.
Où se procurer ‘Des lignes et des liens’ ? Directement sur le site des éditeurs : http://editions-mutine.over-blog.com/search/Des%20lignes%20et%20des%20liens/ et ‘Ressorts’ est disponible à la FNAC Chalon-sur-Saône et dans toutes les librairies en commande.
SBR
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