Faits divers
L'incendiaire des locaux de la PJJ de Chalon écope de 4 ans et 5 mois d'incarcération
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 09 Janvier 2023 à 21h49 , mise à jour le 10 Janvier 2023 à 06h40
Il est âgé de 18 ans
L'auteur de l'incendie qui avait ravagé les locaux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Chalon sur Saône passait devant la justice ce lundi. Il a écopé de 4 ans et 5 mois d'incarcération puis de trois ans de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins à l'issue de sa condamnation.
Les épaules carrées, le visage dégagé, structuré par un nez bien droit : ce garçon est jugé ce lundi 9 janvier selon la procédure de comparution à délai différé parce qu’il a, le 13 novembre dernier à Chalon, mis le feu aux locaux de la PJJ*. Il a 18 ans.
Avant ça, avant l'incendie, il avait arpenté pendant quelques heures les locaux, en fouillant les bureaux, détruisant des cloisons au passage, « j’étais en colère ». Il répandait du gel hydroalcoolique sur les tables. Il a trouvé, dit-il, un briquet dans un tiroir. Alors, il a pris du papier dans la broyeuse, et, presque au milieu de la nuit, il a mis le feu, qui s’est répandu à des locaux occupés par des services de la Sauvegarde 71, ainsi qu’à des bâtiments adjacents et à deux véhicules. « Les dégâts sont conséquents », dit la présidente Catala.
Il est arrêté le 17 dans la matinée
Quasi immédiatement les pompiers établissent que c’est un incendie volontaire. Les soupçons se portent rapidement sur le prévenu en raison de ses antécédents de vols (un téléphone a été volé), et de son comportement, d’une manière générale. Les relevés d’empreintes confirment leurs soupçons. Cette même nuit, on recherche le garçon. Il avait volé une voiture, on la met sous surveillance, des patrouilles se succèdent et il est arrêté le 17 dans la matinée. On retrouvera de la suie sous la semelle d’une paire de chaussures lors de la perquisition, il était hébergé par une association.
A l’origine de sa colère : « On m’a donné une mainlevée de mon placement, sans me donner d’explication »
Ce dimanche-là, le jeune homme était allé au cinéma, puis il s’est alcoolisé en continu. Il dit que l’ivresse a attisé sa colère. Quelle colère ? « On m’a donné une mainlevée de mon placement, sans me donner d’explication. Avec l’alcool je me suis énervé très rapidement. » Quel était son but en entrant dans les locaux ? Il y est allé sans but précis, dit-il, « je voulais mettre le bazar ». Il a revendu le téléphone le lendemain. « J’ai pas réfléchi à ce que je faisais. » Le personnel de la PJJ, traumatisé par la force dévastatrice de l’agression (avec toutes ses conséquences) peut-il craindre d’autres velléités de vengeance ? « Non. » « Il s’en prenait, non aux personnes, mais au symbole d’un service qui lui créait des repères » plaidera maître Marceau.
Note d’audience, 1 – une présidente qui explique
Ce qu’il y a de bien avec la présidente Catala c’est qu’elle est hyper précise et sobre (y compris ses pointes d’humour ou d’ironie quand le contexte le permet - il n’y en eut aucune lors de cette audience), et puis elle explique aux prévenus, que ça soit les contenus des rapports d’expertises psychiatriques ou les peines, ou quoi que ce soit. Elle prend le temps d’expliquer au garçon ce qu’est un « majeur protégé » (travail des curateurs et tuteurs de la Sauvegarde). Elle prend le temps d’essayer de lui faire sentir que son acte vient plusieurs mois après la mainlevée, et qu’on comprend mal que son geste ait pu être une réaction.
Note d’audience, 2 - « ça fait des années qu’on raque pour vous ! »
Ce qu’il y a, non pas forcément de bien, mais en quelque sorte, d’une certaine façon, de juste, avec Aline Saenz-Cobo, une des trois vice-procureurs de la juridiction, c’est que son arrosage acide, quand il a lieu, n’épargne personne. Elle intervient pour faire une leçon de morale au prévenu, rapport aux contribuables qui paient des impôts pour financer des administrations qui s’occupaient de lui. « Ça fait des années que vous nous coûtez une fortune, monsieur, des années qu’on raque pour vous ! » hurle-t-elle au prévenu. Puis elle épingle « la PJJ dont les voies sont impénétrables puisqu’elle ne se constitue pas partie civile alors qu’il s’agit d’argent public ». (Ce qu’un de ces agents au moins trouve également inadmissible, « venant de l’administration centrale, c’est un coup bas, je le dis en mon nom personnel. »)
Violences, violences, inceste sur la sœur, alcool, alcool
De l’argent public, c’est vrai, pour venir s’occuper d’un enfant mal en point qui fut d’abord victime de violences de la part de son père - « dans un climat incestueux », précise la présidente (climat qui ajoute de la confusion à la confusion, dans la tête du gosse le monde ne se structure pas en réalité possiblement accueillante et porteuse de sens et de bienfaits, dans sa tête c’est l’état d’une maison bombardée, ndla). Puis l’enfant est victime de violences de la part de son beau-père. La mère s’alcoolise massivement.
Un garçon qui souffre d’une « pathologie de personnalité tout à fait majeure »
Ces éléments de la vie d’enfance du prévenu ont produit un garçon qui souffre d’une « pathologie de personnalité tout à fait majeure, avec des antécédents suicidaires » écrit l’expert psychiatre. L’enfant est devenu un ado qui souffre encore de cette pathologie de personnalité « avec passages à l’acte », une addiction à l’alcool, et une désinsertion. Il a arrêté l’alcool en 6ème. Comme quoi coûter un pognon de dingue est une chose mais ce n’est pas ça qui suffit à rétablir ce qui fut détruit, du moins dans l’état actuel des structures et de ce qu’elles ont les moyens de mettre en œuvre, avec un système national de soins mentaux bien dégradé, voire à la ramasse selon les endroits. Au casier du prévenu, 11 condamnations par le tribunal pour enfant, dont 9 pour des vols, 1 dégradation, et 1 violence, rébellion et outrage à l'encontre des forces de l’ordre.
Le travail de la PJJ : « les aider à devenir adultes dans les meilleures conditions possibles »
Cela dit, les deux directeurs de la PJJ de Saone et Loire viennent témoigner à la barre, du travail quotidien fournit par tous les agents de cette administration, qui œuvrent au côté de bien des jeunes pour « les aider à devenir adultes dans les meilleures conditions possibles » et c’est d’ailleurs ce qu’ils souhaitent au prévenu. Ces mots lui sont dits à l’audience avec un regard ouvert et un sourire. Et pourtant, « c’est 40 années de souvenirs de travail qui furent réduits en cendres ».
« Pendant longtemps il a été soutenu à bout de bras, sauf que… »
Retour au parquet, dont la fonction aux audiences est de représenter la société. Ce point de vue condamne évidemment et légitimement les incendiaires, mais cela n’est pas suffisant pour la procureur qui requiert longuement pour établir que le prévenu, « c’est quelqu’un de dangereux ». Elle évoque « une perte de chance » pour tous les jeunes suivis, lors de l’incendie, « à cause de monsieur ». Les agents de la PJJ présents à l’audience ont droit à leur minute de formation professionnelle : « Pendant longtemps il a été soutenu à bout de bras, sauf qu’il en est des limites comme des règles : quand elles sont infligées trop tard, elles n’ont plus de sens. Alors, à force de repousser les limites pour lui, en disant ‘la prochaine fois...’, ... eh bien on y est ! »
On relève le mot « infliger » qui s’applique davantage à une correction, qu’au cadeau que l’on fait aux enfants lorsqu’on leur pose des limites, sous réserve qu’elles soient bonnes. Pas sûr que les limites s’infligent.
Le parquet des mineurs « pas toujours d’accord » avec les positions de la PJJ
Aline Saenz-Cobo, reconnaissant « que je ne suis pas toujours d’accord avec eux », parle de « sacerdoce » pour les professions de la PJJ, et demande la peine « exemplaire » de 4 ans de prison ainsi que la révocation totale d’un sursis antérieur, avec son maintien en détention, ainsi que l’interdiction de paraître dans tous les locaux de la PJJ du département, et puis un suivi socio-judiciaire pendant 3 ans, contre un garçon qui a sans doute « une forme de fourberie » et qu’on pourrait à l’avenir « croiser pour des faits criminels ». Cette perspective l’a déjà traversée, dit-elle.
« On a de l’affection pour lui »
Passage à la défense. Il se trouve que maître Marceau connaît lui aussi le prévenu, pour l’assister depuis ses 11 ans. L’avocat s’inscrit en faux contre l’idée que les agents de la PJJ serviraient la soupe à ce garçon, c’est même contraire à leurs missions, mais, ajoute Julien Marceau, « on a de l’affection pour lui, et cela s’explique par sa personnalité. » Sa plaidoirie s’inscrit sur deux axes : la personnalité du garçon et ce qu’en dit le rapport d’expertise. « On n’est pas sur un problème de culpabilité (le prévenu a tout reconnu et ne discute pas les faits, ndla), mais de responsabilité. »
Une plaidoirie pour que le jeune prévenu ne soit pas réduit à la somme de ses actes délinquants
« J’étais en colère contre l’UEHD*, et ce soir-là c’est remonté », a dit le prévenu. Les faits commis sont graves, personne ne le conteste, mais le contexte de commission des faits, sous l’empire de l’alcool qui désinhibe, « c’est typique d’une personnalité borderline et d’un enfant qui a souffert de dysharmonie », « est-ce pour autant une excuse ? Non. » Maître Marceau essaie d’éclaircir ce que cela entraîne, qu’au moins ce jeune prévenu ne soit pas entièrement réduit à l’audience à la somme de ses actes délinquants, qu’au moins il soit rappelé que le garçon « et ceux qui sont comme lui » sont aussi des victimes, par ailleurs. « Il recherche des choses qu’il ne pourra pas avoir, comme l’amour de sa mère. C’est un enfant qui a été rejeté. » Sur les quelques années sans condamnations : « C’était le temps du retour de X dans sa famille. Temps qui a pris fin de la façon la plus violente possible. » Alors, est-il responsable de ses actes ? « Oui, et non, nous répond le docteur Canterino. »
« La réalité est dure, froide, sèche »
Une information judiciaire est en cours du chef de viol sur mineur par ascendant, concernant le père du prévenu. La fille est victime, son frère qui est jugé ce lundi ne voulait pas se constituer lui aussi partie civile, son avocat l’a fait : ces enfants-là ont besoin d’être protégés. Trop de violences ça vous tanne le cuir et vous fait perdre le nord. Julien Marceau engage le tribunal à retenir l’altération du discernement et conclut : « La réalité est dure, froide, sèche, elle est chirurgicale. » Le jeune homme a la parole mais ne dit rien.
53 mois de prison puis 3 ans de SSJ
Le tribunal déclare le prévenu coupable du vol d’un téléphone et de destruction par moyen dangereux, retient l’altération du discernement, condamne le jeune majeur à la peine de 4 ans de prison, ordonne son maintien en détention, révoque totalement le sursis de 2021 avec incarcération immédiate. Ça fait donc 4 ans et 5 mois en tout. Il est condamné ensuite à un suivi socio-judiciaire (SSJ) pendant 3 ans (18 mois de prison s’il en enfreint le cadre) avec injonction de soins, obligation de travailler et d’indemniser les victimes.
La présidente explique tout ça au jeune homme, il l’écoute. Il est majeur depuis 4 mois et une semaine. Sur les bancs où sont assis les agents de la PJJ, une femme laisse quelques larmes couler.
Question d’intérêt particulier et général
Y a-t-il au centre pénitentiaire des médecins spécialisés en nombre suffisant pour traiter une « pathologie de personnalité tout à fait majeure » sans se contenter d’administrer « des cachetons » comme en témoignent nombre de prisonniers ? On pose la question, si cruciale pour l’avenir de ce garçon (et conséquemment pour le corps social).
FSA
Maître Turlet et maître Trajkovski sont intervenus pour des parties civiles, soit le propriétaire des locaux qui étaient en location, et des agents de la PJJ, les deux directeurs entendent se constituer pour le service. Les calculs des divers dommages se tiendront en juin prochain, lors d’une audience sur intérêts civils. La Sauvegarde 71 ne s'est pas constituée.
*PJJ : protection judiciaire de la jeunesse
UEHD : unité éducative d’hébergement diversifié http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/la-dir-de-la-protection-judiciaire-de-la-jeunesse-10269/les-etablissements-de-placement-18684.html
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