Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - La relation entre une mère et son fils étaient devenue toxique sur fond d'alcoolémie et de violences
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 20 Janvier 2023 à 09h51
Le prévenu est né en 1984. À l’âge de 7 ans il est placé, jusqu’à ses 18 ans. Il dit que sa mère, celle-là même qui se constitue partie civile aujourd’hui,19 janvier 2023, à l’audience de comparution immédiate, le frappait.
« Oui, je l’ai juste repoussée, ce qu’elle a confirmé lors de la confrontation au commissariat » dit-il d’un ton calme soutenu par une sorte de sourire qui sera retourné contre lui. Faut dire que sa mère a 15 jours d’ITT.
« Nul ne sait si ce qu’il dit est vrai », plaidera maître Trajkovski pour la victime, mais il semble que ça le soit. La mère, cependant, ne se constitue pas pour rien, mais enfin voilà un contexte déterminant, qui ne serait pas complet si l’on ne précise que la victime boit beaucoup, et le prévenu aussi.
« J’ai tout envoyé promener »
Ce fils qui se vit comme déchu, et qui à l’appui de ce sentiment, ne parvient à tenir la rampe solidement, avait une vie un peu stable il y a encore deux ans. Il vivait en couple, et travaillait. Et puis le couple s’est défait, et il a exprimé tout ce qu’il ressentait sur la voiture de son ex, et il fut jugé et condamné (5 mois assortis d’un sursis probatoire renforcé) pour cela. Mais depuis… il ne travaille plus, il n’a pas retrouvé de logement, rien ne va. « J’ai tout envoyé promener » dit l’homme à l’audience.
Une commande passée auprès du père Noël ?
Tout ? Pas tout à fait : cette mère qu’il n’avait plus revue depuis ses 14 ans (« je l’avais vue deux week-ends mais ça s’était mal passé, à cause de l’alcool »), vit à Châtenoy-le-Royal, elle pourrait l’accueillir ? « Accueillir », dans ces conditions et peut-être même dans toute autre condition vu leur passé, ça ressemble à une commande passée auprès du père Noël. Il s’installe, mais mène une vie désinsérée. Il boit, elle boit, et, comme dans son enfance, « ça se passe mal ». Alors les échanges trop vifs se donnent libre cours.
La mère charge la mule, puis se rétracte un peu
Le 22 novembre, la mère, âgée de 61 ans (donc pas vraiment âgée, ndla), va « se réfugier », expose la présidente Catala, au CCAS de Chalon. Elle a un œil au beurre noir, dit qu’elle est victime de violences de la part de son fils, qu’il l’a menacée de mort en cas de plainte, qu’il lui a pris son téléphone et l’empêche de sortir depuis les faits qu’elle date au 19, trois jours auparavant, donc. Sur cette sorte de séquestration, elle se rétractera. Le CCAS appelle la police, la police se déplace, puis interpelle le fils au domicile de la mère. C’est le soir, il est en pyjama et dit qu’on l’a embarqué comme ça.
Une voisine témoigne de l’alcoolisme de la mère
Lors de la scène, il a donc poussé sa génitrice sur le canapé, duquel elle a rebondi pour atterrir sur un coin de la table basse : d’où le coquard et une belle fracture du plancher orbital. Une voisine témoigne de l’alcoolisme de la mère, d’une situation qui se dégrade pour tout le monde depuis que le fils est là (donc, y compris pour lui-même), de disputes et d’éclats de voix, mais ne l’a jamais vu violent ni même agressif, le trouve « calme et poli » lorsqu’elle le voit.
« Je suis accusé par une personne qui m’a frappé toute mon enfance »
Lui : « Je suis accusé par une personne qui m’a frappé toute mon enfance. J’ai été placé à la DDASS. Alors, si j’avais dû être violent… » La police s’était déjà pointée au domicile, suite à appel de la mère, et avait noté : « Cette cohabitation n’est plus gérable pour elle. »
« Relation toxique » dira maître Trajkovski. « Relation délétère » dira maître Sarikan. « Il a ce petit sourire… dit le procureur, alors que malmener sa mère, ce n’est pas rien. » Thierry Bas, substitut général (qui se déplace au gré des besoins, dans les juridictions du ressort de la cour de Dijon), estime que sans doute le prévenu n’a-t-il pas voulu les conséquences de son geste sur sa mère, « mais elles sont là ».
Comme pour dire « forcément, toutes ces injustices devaient encore se retourner contre moi »
Au casier du prévenu 4 mentions dont 3 pour conduite sous l’empire de l’alcool et/ou usage de stupéfiants. Le substitut requiert « 12 à 14 mois de prison, et la révocation du sursis de 2020 à hauteur de 3 mois », et une interdiction de contact avec la victime. Le prévenu sourit, comme pour dire « forcément, toutes ces injustices devaient encore se retourner contre moi ». Maître Sarikan souligne le caractère involontaire des blessures de la mère, reprend tous les éléments qui pourraient être favorables à son client, mais n’a hélas aucun justificatif d’un autre hébergement possible.
Être réglo, c’est important, et ça peut être décisif, qui sait
Le tribunal oublie de donner la parole en dernier au prévenu. Après avoir délibéré, le tribunal revient et la présidente explique que « la parole en dernier » n’est pas une obligation dès lors qu’un avocat est intervenu en défense, mais que cependant le tribunal la donne à monsieur « qui n’aura alors pas de sentiment d’injustice, au moins sur ce point ». C’est peu de chose au regard du tombereau des injustices que le prévenu traîne avec lui : c’est d’autant plus important. La présidente rouvre les débats, alors l’homme précise qu’il n’a pas été violent autant que sa mère veut bien le dire, et puis « sur les sourires… j’ai pas fait attention, je suis désolé ». Cette sorte de sourire qui lui faisait une face lunaire ressemblait davantage à un masque qu’à une marque de contentement, mais tout le monde interprète toujours tout et se trompe (nous sommes des machines à interpréter).
10 mois ferme, maintien en détention
Le tribunal repart délibérer, puis déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine de 5 mois de prison avec maintien en détention (il est en détention provisoire depuis le 24 novembre dernier, le jugement a été différé pour qu’une expertise médicale de la victime ait lieu), révoque le sursis total de 2020, soit 5 mois, ordonne l’incarcération immédiate. En peines complémentaires : interdiction de tout contact avec sa mère ainsi que de paraître à son domicile, pendant 3 ans. Renvoi sur intérêts civils en mai.
Quelqu’un s’est déplacé pour lui
Il a baissé la tête. La présidente lui explique que les semaines de détention provisoire seront déduites des 10 mois à purger. Il se lève, regarde dans la salle : une femme au moins aussi âgée que sa mère est venue, pour lui. Il a ce soutien, le soutien d’une tante par alliance qui n’a su son existence que bien tard. Peut-être pourra-t-elle lui récupérer ses effets. Il la salue d’un signe, et sourit à nouveau : un sourire contrit.
FSA
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