Faits divers
ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE : La « bonne connaissance » a un nom
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 09 Mars 2023 à 07h03
En fin de matinée, l’accusé principal qui soutient n’avoir pas séquestré, ni frappé, ni menacé de mort monsieur X, a donné un nom à la Cour d’assises : le coupable s’appellerait lui aussi « Hamdi », mais il est mort.
En fin de journée, la présidente Therme y revient. Elle constate : « Vous considérez donc que les débats sont loyaux, puisque c’était la condition que vous aviez mise pour donner un nom. » Puis : « Hamdi XXX est le frère de celui qui vous avait prêté sa Golf pour le voyage en Espagne. La Cour peut-elle espérer le voir ?
HD : Non, la personne est décédée.
La Présidente : Donc vous nous avez donné le nom d’un mort. Vous ne l’avez pas précisé, ce matin.
HD : Pourquoi, ça change quelque chose ? »
…
Le frère du jeune homme décédé « savait », dit HD, « il est le seul qui savait ». « Au début je ne voulais pas le dire. J’ai pas besoin d’un nom pour me sortir de là. Feu Hamdi XXX, je lui en veux même pas. Il avait 25 ans quand il est mort. » A la présidente qui s’étonnait de cette révélation qui fait pschitt, l’accusé renvoie que le commandant de police qui dirigeait par intérim le commissariat en 2016, est aussi décédé et que personne n’a dit « ah comme par hasard », mais « à moi, vous me dites quelque chose ».
« On avait convenu lui et moi qu’il viendrait, mais il ne peut pas venir »
La présidente : « Je vous le dis, parce que j’ai le souci de la loyauté des débats. Le nom, ça a ouvert sur des questions à midi après l’audience. Or nous ne pourrons jamais le voir, puisqu’il est décédé depuis octobre 2018. Il a fallu ce procès et une semaine de débats pour que ce nom soit livré.
HD : On avait convenu, lui et moi, qu’il viendrait, mais il ne peut pas venir.
La présidente : Vous n’avez pas dit qu’il était décédé.
HD : J’espérais un jugement loyal et impartial, c’est le seul truc que j’avais. J’ai rien fait d’illégal, rien de criminel, dans ce dossier. Je voulais juste qu’on m’écoute et on m’a écouté. Et c’est pas pour vous que je le dis, c’est pour la victime. Je peux m’excuser de ce qui lui est arrivé, parce que je m’en sens responsable, mais j’ai rien à voir avec ça.
La présidente : Vous aviez besoin de ça pour avoir un procès impartial ?
HD, d’un ton plus vif : Ici, oui ! J’ai pris 6 ans pour tentative d’importation. L’impartialité, y en a pas à Chalon. Je dis juste ce qui me concerne. »
De la valeur de la victime qui ne voit pas de coupable dans le box
Maître Nicolle est l’avocat de monsieur X à ce procès, il demande : « Si j’ai bien compris, vous dites ce nom aujourd’hui, pour monsieur X. Ça voudrait dire qu’aujourd’hui, grâce à ce procès, monsieur X a pour vous une certaine valeur. Est-ce que monsieur X a pour vous une importance ? Si oui pour quelles raisons ? » L’accusé répond : « Il a eu une importance dans ma vie. Je lui ai manqué beaucoup de respect, je pensais qu’à l’époque qu’il voulait me nuire par tous les moyens, mais aujourd’hui, je vois que c’est une victime. »
Une victime qui entend se constituer partie civile tout en déclarant à la Cour lundi : « Je ne vois pas dans le box la personne qui m’a séquestré. » On a le sentiment que toute logique s’est égarée on ne sait où : son avocat a bien dû lui expliquer que pour être partie civile, il faut qu’une personne, au moins, soit reconnue coupable et condamnée. Sinon… pas de partie civile, donc pas de victime au regard de l’institution judiciaire. D’où peut-être cette question de la présidente qui interrogeait monsieur X sur « son cheminement », à quoi vient s’ajouter la question de maître Nicolle sur la « valeur » de son client aux yeux de l’accusé. Allez comprendre.
« Vous savez, j’ai l’autorisation de son frère »
D’autant que, et c’est l’avocate générale, Angélique Depetris, qui le souligne : vendredi, l’argument de l’accusé était de dire qu’il taisait le nom du coupable, parce que de toute façon « ça ne m’aurait pas sorti de prison, et lui, ça l’y aurait mis. » Or vu que le jeune Hamdi XXX est malheureusement décédé depuis début octobre 2018, « même si vous aviez dit son nom, on n’aurait pas pu le jeter en prison. Ça fait 4 ans ½… » Réponse d’HD : « Depuis 4 ans ½ il m’est arrivé beaucoup de choses dans cette affaire. On m’a tiré dessus, j’étais en prison, mes frères aussi, ma femme est allée en garde à vue. Je suis allé en Tunisie, je me suis mis en retrait en attendant le non-lieu. J’allais pas revenir en disant ‘hop hop hop, fin de match : c’est « lui »’. Vous savez, j’ai l’autorisation de son frère. Moi, j’ai rien à voir. Y a eu des non-lieux mais pas pour nous. » Allez comprendre.
« Chacun vous a dit ce qu’il en était pour lui »
Un autre OPJ du commissariat de Chalon a témoigné plusieurs heures à la barre. C’est lui qui avait commencé l’audition de la victime, avant que la PJ de Dijon ne prenne la main (voir article du 7 mars). A la demande du parquet il devait enregistrer cette déposition, il a cru le faire, ça n’a pas fonctionné : pas d’enregistrement, et pas de PV non plus pour signaler l’échec de la manœuvre. Reste le PV qui transcrit les déclarations de la victime. « Vous avez l’air honnête, monsieur » dit maître Gallo à l’OPJ, quand maître Scrève, lui aussi avocat de l’accusé principal, dira « ‘ça ne fonctionnait pas’ : on n’y croit pas une seconde ». Allez comprendre. Les avocats finissent par demander une information supplémentaire : que « l’ingénieur chargé de ces recherches (trouver la cause de l’échec de l’enregistrement) » soit auditionné. L’avocate générale estime que la défense a laissé passer 7 ans sans faire la moindre demande officielle, et puis que « s’il existe une difficulté sur le recueil de la parole de la victime, vous (la Cour et les jurés) avez pu entendre monsieur X et les policiers. Votre Cour fera sa religion de leurs déclarations. Chacun vous a dit ce qu’il en était pour lui. » La Cour se retire pour délibérer puis rend un arrêt, motivé, qui rejette la demande de la défense.
« Ce qu’on dit dans les journaux n’est pas la vérité »
En début de soirée, la présidente aborde le volet « personnalité » de l’accusé principal. L’enfance, la scolarité d’un homme « intelligent » qui n’a pas exploité ses capacités « dans des projets de vie différents », pourquoi ? « Je sais pas. J’étais bon à l’école, mais je préférais quand je n’y étais pas. » Il démarre la préparation d’un bac pro mais il est incarcéré, il a 18 ans, pour un braquage (qui fut correctionnalisé, jugé pour vol aggravé par deux circonstances). HD se marie en 2013 en Tunisie. Il connaît sa femme depuis le lycée, ils ont trois jeunes enfants. Son meilleur moment en tant que père « c’était en Tunisie (pendant sa cavale, ndla), c’est là que je les voyais le plus. » La présidente lui demande si ce dossier « a ébranlé votre vie de famille, de couple ». « Oui. » Il est subitement ému. « Je passe pour le méchant de la famille, ce qu’on dit dans les journaux n’est pas la vérité. On y parle de stupéfiants alors que non. »
En 2010, HD est victime d’une tentative de meurtre
La présidente donne lecture d’un jugement de la commission d’indemnisation des victimes, en novembre 2015. HD avait deux avocats : maître Lépine et maître Nicolle. Madame Therme présidait cette audience, Christophe Rode en était le procureur.
En 2010, HD et son cousin Naem Ben Nejma sont agressés par une dizaine de personnes, relate un article sorti à l’époque. Naem est frappé à la tête et blessé par des tirs, il décèdera dans le coffre d’un véhicule dans lequel il est embarqué avec HD, gravement blessé, qui, lui, s’en sortira. HD est donc victime (d’enlèvement, de séquestration, de tentative de meurtre), il se constitue partie civile. Le tribunal condamne les auteurs et fixe des indemnités pour HD. C’est ainsi qu’il vient les réclamer, avec ses avocats. La présidente de la Cour d’assises lit que le fonds de garantie s’était opposé à sa demande, que « son droit à indemnisation faisait l’objet d’une contestation » parce que les faits étaient « un règlement de comptes dans le cadre d’un trafic de stupéfiants ».
HD et ses avocats maintiennent leur demande « au nom de la solidarité nationale ». Une information supplémentaire « exclut tout comportement fautif imputable à HD », il a donc finalement droit à ce qu’on lui verse plus de 60 000 euros.
Réaction de l’accusé : « Tout ce que je fais, je faisais, c’est sur fond de trafic de stups... C’est une insulte, en vrai, madame ! C’est faux. »
Son casier porte 15 mentions
Il démarre en 2007, vol aggravé, puis vol avec arme, détention de stupéfiants (« Du cannabis. Moi je ne fume pas, j’ai jamais fumé »), des infractions commises en détention, vol en réunion, outrage, rébellion, plusieurs refus d’obtempérer, une condamnation en 2022 (pourvoi en cassation), une affaire en délibéré à Dijon, pour participation à une association de malfaiteurs, et parmi tout ça : une conduite sans assurance qui lui vaut une question d’un juge assesseur.
« Comment vous situez-vous dans tout ça ? »
« Savez-vous comment est abondé le fonds CIVI* ? Par nos assurances. Or vous avez été condamné pour défaut d’assurance. Comment vous situez-vous dans tout ça ? Vous demandez de l’argent au fonds CIVI, mais vous ne souscrivez pas au fonds ? »
L’accusé : « C’était la Twingo. Elle était assurée mais c’est le fait de barrer la carte grise, alors elle n’est plus assurée. C’est vrai que je les assurais pas, mais vu que la voiture était vendue par rapport à la carte grise, si je faisais un accident, je déclarais que la carte grise était perdue. Mais sinon, je mets pas mes enfants dans des voitures pas assurées. » Allez comprendre.
FSA
* https://www.fondsdegarantie.fr/victime-dune-infraction-civi/
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