Faits divers
Assises pour séquestration : un accusé, trois avocats
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 16 Mars 2023 à 16h01
Beaucoup de notes, des articles quotidiens écrits le nez dans le guidon : le malaise qu’ont suscité l'accusé principal et les avocats, tentant par tous moyens de séquestrer l’audience, nécessite que nous y revenions.
Nous revenons aussi sur la requalification des faits, requalification qui ne saurait souffrir, vu la position de l’accusé au cours des débats et ce qui fut plaidé pour lui, d’aucune contestation de sa part.
Monsieur X, la victime dans cette affaire, est le maillon faible, c’est donc à partir de lui qu’on peut essayer de réfléchir, à partir des éléments visibles - de la place qu’on occupe -, de ce dossier et des débats auxquels nous avons assisté.
Parole libre ?
La parole de monsieur X était-elle libre ? Non, tout le monde la dit contrainte, puisque tout le monde le dit « manipulé ». Il dit, à la barre : « Je voulais accabler HD, mais je ne peux pas faire n’importe quoi non plus, j’ai un enfant ». Hamdi Dahech lui-même dit, en audition : « Je voulais l’avoir en face de moi pour qu’il répète ce qu’il avait dit aux policiers. » La victime déclare au procès : « Je vois dans le box deux personnes, mais je ne vois pas la personne qui m’a séquestré ». Il s’est cependant constitué partie civile. La Cour remarque qu’« il y a une concordance entre vos premières déclarations et les expertises (les ADN retrouvés sur les liens et dans le squat), mais vous avez changé de version. »
« J’ai réussi à m’évader »
Le lundi 6 mars, monsieur X raconte à la Cour comment il a d’abord été attaché : les mains dans le dos et reliées à ses chevilles ligotées, « comme un poulet ». « Je suis resté comme ça, dans le noir complet. Ça me faisait très, très, mal aux bras. Après il m’a rattaché les mains devant, les jambes, et avec une corde qui s’accrochait à l’encadrement d’une porte. » Le scotch sur la bouche : « Je criais qu’on me l’enlève parce que j’avais envie de vomir et je m’étouffais avec mon vomi. » Il n’a pas eu à manger durant ces trois jours et trois nuits, on lui donnait à boire une fois par jour, apprend-on plus tard. On l’a menacé de mort, on a menacé de s’en prendre à sa famille. « J’ai réussi à m’évader. J’ai pas les mots, parce que quand on pense mourir, et c’était le cas, on passe par toutes les émotions. » Un tel récit ne donne-t-il pas matière à un avocat de partie civile de détailler les souffrances endurées ? Or ici, rien, ou si peu.
« On aura laissé ce qu’il fallait pour qu’il puisse s’en aller »
Le jeudi 9 mars, son avocat, Maître Nicolle, plaide certainement ce que son client lui demande de plaider, « dans les conditions qui sont celles de sa parole » et qui cependant contredisent son propre témoignage : on ne s’attarde pas sur « le véritable cauchemar » qu’il a vécu, on décharge les auteurs de cette opération. « On va le frapper, pas au dernier degré », « Il a un réflexe de survie : c’est qu’il est peut-être mal attaché. On aura laissé ce qu’il fallait pour qu’il puisse s’en aller. Mais ce n’est pas comme ça qu’il le vit : il pense que c’est lui qui se libère. »
Cette remarque qui ne pourrait sembler n’être qu'une simple analyse de la psychologie de son client aura une portée bien plus importante d'un point de vue juridique, on y revient plus loin. En minimisant l'initiative désespérée de son client de se libérer de ses ravisseurs, après 72 heures (c’est beaucoup !) de séquestration, l’avocat réoriente les débats vers un manque de surveillance de ces derniers. Or, d'un point de vue juridique, et aussi curieux et choquant que cela soit : laisser s'enfuir, c'est libérer. La défense n'aura plus qu'à s'engouffrer dans la porte qu'on vient de lui ouvrir, pour que la requalification de crime en délit puisse être plaidée. Reste ensuite à cantonner l'analyse sur la violence, l'intimidation, plutôt que la séquestration.
« Depuis, quelle est sa vie, marquée par la peur ? conclut l’avocat. La peur, parce qu’il apprend plus tard que quand il était au commissariat, on a tenté de contacter sa compagne (avec une ligne retrouvée parmi 20 téléphones portables saisis au domicile d’Hamdi Dahech, ndla). Et il n’aura qu’un contact ensuite quand il a besoin de son passeport. Voilà ce qu’il a vécu, voilà pourquoi je vous dis : Mr X est victime dans ce procès, d’actes qui, quelles que soient leurs qualifications, sont des actes violents. »
On charge la police et la justice :
La police parce qu’elle aurait demandé à monsieur X de dénoncer des hommes innocents juste pour leur nuire, mais aussi parce qu’elle a démarré une enquête au lieu de « le laisser tranquille », « la seule chose qui préoccupe ceux qui sont là, c’est qu’il parle ».
La justice, parce que monsieur X n’ayant pas pris d’avocat, ni le parquet ni les juges d’instruction ne se sont souciés qu’il aille « voir un psychologue » et qu’il soit à nouveau examiné par le légiste. Le raisonnement aboutit à cela : « De réparation il y aura peu de chance d’en avoir parce qu’il n’aura pas droit à la solidarité nationale », parce que pas assez d’ITT, parce que pas d’avocat pour l’assister. A l’audience civile qui se tient après le verdict, l’avocat demande une expertise avant dire droit et une provision à valoir sur les indemnités futures.
Une bonne question au passage
Maître Nicolle pose tout de même une vraie question : « Nous sommes dans un palais de justice ou autour d’une table de poker ? » L’allusion à un jeu de stratégie et de bluff est habilement glissée, car c’est bien le sentiment qu’on a depuis le 1er jour du procès que d’assister à une partie dont les enjeux visibles finissent, à force « de ficelles un peu grosses » comme disait l’avocate générale, par faire savoir que d’autres enjeux sont là, et que tout ce monde est lié comme au jeu de « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ». Pauvre victime, en effet, dont l’avocat dit la vouloir « libre » quand sa plaidoirie démontre le contraire. Le fait est que le spectateur a très vite le sentiment que la victime et son avocat ainsi que les accusés et leurs avocats, sont dans le même enclos, et que, s’il y a une partie, elle se joue entre eux, contre l’institution judiciaire.
Sur le changement de qualification
C’est dans ce contexte qu’il faut examiner la décision de la Cour d’abandonner la qualification criminelle pour une qualification délictuelle. Philippe Scrève avait plaidé à la fois la peine et l’idée que si ce dossier avait été jugé en correctionnelle, son client s’en sortait « avec 3 ou 4 ans ». A noter qu’il ne plaidait pas réellement un acquittement. La demande d’acquittement, c’était pour la forme. L’avocat s’est donc davantage attaché à la peine, mais sur une qualification qui rejoint ce qui fut plaidé pour (si on peut dire) la victime : il croit s’être échappé du squat alors qu’en fait on l’a laissé partir. Le point de la libération volontaire fut décisif en ce sens : la loi dit que la notion de « libération volontaire » peut résulter d’une cessation de la surveillance qui permet à l’otage de quitter les lieux où elle était détenue arbitrairement ». La loi dit aussi que lorsque la libération intervient sans que l’ordre ou la condition ait été exécuté, alors la qualification change. A noter qu’au sujet de « la condition », soit rembourser une dette, Hamdi Dahech n’a jamais rendu son passeport à monsieur X. Lorsque celui-ci en a eu besoin pour la pose d’un bracelet électronique à Bourg-en-Bresse, en juillet 2016, dit HD, ce dernier a envoyé un de ses amis avec le document, lui ordonnant d’attendre que monsieur X le lui restitue après avoir accompli ses formalités, « c’était ma garantie, pour qu’il n’oublie pas de revenir me voir ».
8 ans, c’est pas rien
L’accusé principal, Hamdi Dahech, est condamné pour séquestration arbitraire d'un otage avec libération volontaire avant le 7ème jour, en état de récidive légale (cela double la peine encourue), violences volontaires suivies d’incapacité supérieure à 8 jours commises en réunion, menace de mort avec ordre de remplir une condition, vol, à la peine de 8 ans de prison. Chérif Benchira est condamné pour séquestration arbitraire d'un otage avec libération volontaire avant le 7ème jour et violences volontaires suivies d’incapacité supérieure à 8 jours commises en réunion, à 6 ans de prison, en son absence.
Sur le rôle
Le rôle, c’est une sorte de programme que le greffe prépare pour chaque audience et qui porte des informations formelles, outre la date, les qualifications des faits jugés, les accusés, leurs avocats, les victimes, leurs avocats. Le rôle que nous avons reçu le 2 février dernier nous apprend que Chérif Benchira, accusé toujours en cavale, était assisté pendant le cours de l'instruction d'un conseil qui n'est autre que l'associé… de l’avocat de la partie civile. Puis on apprend que maître Nicolle fut, de surcroît, l’avocat d’Hamdi Dahech lorsque celui-ci fut victime d’une tentative de meurtre.
Un faisceau affligeant
Ces faits-là auxquels s’ajoutent : une plaidoirie à tout le moins surprenante au cours de laquelle on insiste sur la souffrance de la victime du fait de ses auditions par la police, au risque choisi de faire oublier la séquestration, pourtant seul objet du procès; le fait que l’accusé revendique haut et fort sa délinquance et le mode de vie qui va avec (cavales, faux papiers, argent liquide en quantité importante, etc.) ; le recours des avocats de la défense à un vocabulaire qui est celui du milieu (« On -le parquet- veut l’éliminer », par exemple), et à des méthodes de disqualifications par tous moyens (« J’ai une dernière question, monsieur l’expert… ah, excusez-moi, ça c’est votre devis » à un expert en génétique), de tous ceux qui sont intervenus au procès, les magistrats comme les experts et les témoins… Tout cela laisse le sentiment d’avoir assisté à un coup de bluff organisé dans une arrière-cuisine dont quelques relents sont tout de même parvenus jusqu’au prétoire.
Les avocats plaident parfois avant tout pour répondre aux attentes de leur client, ce qui compte alors, ce sont les résultats. Leurs agitations outrées, leurs propos méprisants voire insultants (l'expert légiste en sait quelque chose) ajoutés à l'ambiance déjà pesante de l'affaire, ont terni l'audience, sans toutefois empêcher la justice de passer.
La présence des ERIS* ainsi que celle de la Police nationale, chaque jour du procès, les remerciements que la Cour leur a adressés, rappellent ceci : bafouer l’Etat de droit est une chose, cela ne vient pas l’empêcher d’exister.
FSA
Sur le déroulement de ce procès :
https://www.info-chalon.com/articles/2023/03/02/77697/assises-de-saone-et-loire-sequestration-et-violence-sur-fond-de-trafic/
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