Saône et Loire

La chasse au blaireau doit-elle être étendue ? Faites-vous votre opinion et donnez votre avis avant le 5 avril

La chasse au blaireau doit-elle être étendue ? Faites-vous votre opinion et donnez votre avis avant le 5 avril

Cette année encore, le Préfet de Saône-et-Loire demande la prolongation de la “chasse” aux blaireaux par déterrage. Est-ce justifié ? Est-ce même légal ? Infochalon a creusé la question pour ses lecteurs : vous aussi, vous avez votre mot à dire en participant à la consultation publique qui se clôt le 5 avril.

Sachez que les chasseurs sont déjà et largement informés, eux, de la consultation publique via la puissante FNC (Fédération nationale de chasse) et ils donnent massivement leur avis. La consultation concerne tous les citoyens : vous aussi, votre avis compte (Saône-et-Loire-consultation-publique)

Voici des faits et des chiffres.

Que dit la consultation publique ?

Publiée par le Préfet de Saône-et-Loire au printemps, elle propose d’anticiper de 3 mois et ainsi d’étendre la saison de chasse du blaireau par la méthode du déterrage – une appellation édulcorée à l’extrême qu’on vous expliquera. La période nationale de chasse commence le 15 septembre, mais dans de nombreux départements, le Préfet peut demander une période complémentaire pour autoriser la chasse aux blaireaux dès le 15 juin. Du 15 juin au 15 janvier, les blaireaux sont déterrés et tués, soit 8 mois dans l’année.

La polémique

Elle se cristallise sur un point essentiel : cette “période complémentaire” correspond à la période d’allaitement, de sevrage et d’élevage des jeunes blaireaux. Or, le Code de l’environnement protège la progéniture des animaux, précisément dans une période de vulnérabilité.

C’est pourquoi la LPO Bourgogne-Franche-Comté, comme d’autres associations naturalistes, appelle à la mobilisation contre cette prolongation.

Raison ou prétexte ? La raison justifiant la tuerie des blaireaux ne fait pas non plus l’unanimité, comme le souligne Mickaël Paul, bénévole très actif engagé dans la cause animale : « On accuse le blaireau d’occasionner des dégâts dans les cultures, les vignes notamment, et les infrastructures comme les digues. En 2022, sur notre département, moins d’une quinzaine de constatations ont été recensées pour un montant très inférieur aux dégâts occasionnés par les sangliers par exemple. »

« Et puis, la période de chasse étant close depuis mi-janvier, cet arrêté préfectoral vient à souhait donner de l’occupation à la grande famille des chasseurs », ajoute-t-il.

On connait la logique de pensée humaine à court terme : les oiseaux criblent ma voiture de leurs déjections, les racines des arbres font craquer l’asphalte de ma cour… Est-ce une raison pour les supprimer ?

Que font les autres pays en Europe ? Dans leur grande majorité, ils ont interdit la persécution des blaireaux, où il est protégé (1). Ce constat devrait nous interroger. Quant à la France, elle est le seul pays européen à autoriser la pratique du déterrage en pleine période d’éducation des jeunes.

“Déterrage” ou “vénerie sous terre” : qu’est-ce que c’est ?

Ne tournons pas autour du pot : oui, c’est une pratique cruelle, interdite chez nos voisins européens.

Et un euphémisme, pour le moins : « La vénerie sous terre [ou déterrage] est une pratique qui consiste à poursuivre, par des chiens introduits dans les terriers, les blaireaux qui subissent alors des heures de terreur extrême tandis que les chasseurs creusent jusqu’à les atteindre, avant de les extirper à l’aide d’une pince de métal puis de les achever au fusil ou au couteau » (LPO).

Les blaireaux adultes et leurs petits sont acculés dans leur terrier, sans aucune chance de s’échapper : peut-on encore l’appeler “chasse” ?

Sur Internet, vous trouverez des vidéos de cette pratique. Âme sensible s’abstenir.

« Chaque année, en Saône-Loire – dans le Top 3 en termes de nombre d’équipages de vénerie sous terre – les chasseurs tuent entre 600 et 900 blaireaux et blaireautins, majoritairement dans la période de prolongation » avance Mickaël Paul.

La prolongation de la chasse au blaireau est-elle légale ?

Non. « En 2022, la justice avait sanctionné et annulé cette prolongation », rappelle Mickaël, présent au Tribunal administratif de Dijon aux côtés d’associations naturalistes telles que One Voice et la LPO. Sur quels arguments ?

L’arrêté préfectoral (de prolongation) a été dénoncé comme illégal par le Tribunal parce qu’« aucune raison objective » n’avait été donnée pour justifier de tuer des blaireaux : aucun chiffre précis sur la population de blaireaux ni sur les dégâts causés, etc.) ».

En effet, il n’existe pas de chiffres précis sur la population des blaireaux dans le département. Pis encore, complète Mickaël : « Depuis un an, le Préfet autorise les chasseurs à faire des comptages nocturnes : des chiffres qui n’ont aucune valeur puisque la source est loin d’être indépendante ! »

Autre argument de poids, appuyés par des études scientifiques : les jeunes blaireaux ne sont pas tous sevrés à la date prévue de prolongation, rendant l'arrêté illégal au regard de l'article L. 424-10 du Code de l’environnement (2) qui protège les portées. (LPO) (voir plus loin les périodes de naissance des blaireautins).

L’annulation de l’arrêté préfectoral aura permis de reculer d’un mois la “tuerie’’ des blaireaux. « On estime cette réduction à environ 400 blaireaux sauvés », précise Mickaël.

Un arrêté préfectoral illégal au regard de la loi., et pourtant… Cette année encore, le Préfet de Saône-et-Loire lance une nouvelle consultation publique, s’indigne-t-on au sein de la LPO.

Le blaireau, en privé

Virginie Boyaval est éthologue de cette espèce. Elle a créé l’association Meles (3), un centre de soins pour les mammifères sauvages et notamment les blaireautins orphelins. Elle apporte des informations sur la vie du blaireau, un portrait utile pour se faire une opinion.

Résumons en quelques points :

– Le blaireau est très sociable : il vit en groupes inter familiaux. Par conséquent, l’apprentissage des codes comportementaux est essentiel à sa survie avec ses congénères : Après le sevrage (3 mois) commence l’éducation (3 mois). Le blaireautin est alors indépendant à partir de 6 mois. Avant cet âge, il est incapable de se débrouiller seul.

Tuer la mère d’un blaireautin, c’est donc le condamner à court terme.

– Les périodes de naissance s’étendent de janvier à fin avril. Fin juillet, les derniers-nés sont juste sevrés, non encore indépendants. La période complémentaire qui débute le 15 juin condamne de fait ces blaireautins.

– Cette espèce a une dynamique de population très lente qui se traduit par : une faible natalité (30 % seulement des femelles ont une portée de 2 à 3 petits) ; un fort taux de mortalité juvénile (50 % n’atteignent pas 1 an) ; et le blaireautin n’est sexuellement mature qu’à l’âge de 1 an ½, voire 2 ans.

– Enfin, ils sont très sensibles à la perte de leur habitat naturel et aux dérangements.

On l’aura compris, rien de comparable avec une espèce comme le rat !

Le blaireau est utile dans l’équilibre de la biodiversité

« Il apporte un écosystème très important, explique Virginie Boyaval. C’est un terrassier : il creuse des galeries qui peuvent avoir plus d’une vingtaine d’entrées. Beaucoup d’espèces s’installent dans une partie de leur terrier. C’est le cas de la chauve-souris, du chat forestier, la martre, le lapin ou la salamandre par exemple. C’est aussi, sur le plan alimentaire, un opportuniste : il mange les vers de terre, les hannetons – qui sont la cause de dégâts très importants dans les forêts –, et leurs larves qui s’attaquent aux racines des arbres. À l’instar du renard et autre mustélidé, il participe à la régulation des rongeurs et contribue à la limitation de la maladie de Lyme. Son rôle est donc très utile à l’équilibre. »

Difficile de faire bouger les lignes, surtout lorsqu’elles se revendiquent de la tradition – une stratégie de communication fallacieuse de la toute puissante FNC, souligne le vétérinaire et diplômé en écologie Michel Gautier-Clerc dans son essai Les chasseurs ont-ils tué la chasse ?

Hélas, on est loin de la chasse à la Pagnol…

Par Nathalie DUNAND
[email protected]

Visuel de une transmis par l'association Meles.
Visuels ci-dessous transmis par la LPO BFC

Donnez votre avis : Saône-et-Loire-consultation-publique (avant clôture le mercredi 5 avril 2023)

Plus d’infos sur l’arrêté préfectoral (« période complémentaire de la vénerie sous terre ») : saone-et-loire.gouv.fr/consultation-du-public-periode-complementaire

(1) Le déterrage des blaireaux est autorisé en France et en Allemagne. Dans de nombreux autres pays européens comme l'Angleterre, l'Irlande, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal, l'Italie ou la Grèce, le blaireau y est au contraire une espèce protégée donc non chassée.

(2) BOYAVAL Virginie, Contribution à l’étude de la reproduction des blaireaux eurasiens (Meles) et de la période de dépendance des blaireautins en France, 2010 (mise à jour en 2021), 12 pages.

Association Meles : http://www.meles.fr/

(3) Article L. 424-10 du Code de l’environnement « Il est interdit de détruire, d’enlever, de vendre, d’acheter et de transporter les portées ou petits de tous mammifères dont la chasse est autorisée, sous réserve des dispositions relatives aux animaux susceptibles d’occasionner des dégâts. »

(4) Article « La chasse n’a plus le soutien de la société » france3-regions