Faits divers
Noyades au lac de la Zup : délibéré le 12 mai prochain
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 31 Mars 2023 à 19h40
Le dimanche 8 juillet 2018, trois enfants se noient dans les eaux du lac des prés Saint-Jean à Chalon-sur-Saône. Ce vendredi 31 mars 2023, la femme qui gardait toute la fratrie est jugée pour homicide involontaire. Le maire de Chalon, Gilles Platret, également.
La salle est comble, du public attend dehors, mettant la pression pour rentrer. Une femme porte un tee-shirt floqué « Collectif enfants Lallia ». Lallia est la mère des petits, mère dont le ventre et l’âme souffrent depuis ce funeste dimanche : de ses cinq enfants il n’en reste que deux. Alors forcément, cet arrachement et la béance irrémédiable brûlent encore en elle, mais le tapage sur les réseaux et l’empressement de certaine presse à nourrir son public des entrailles à vif de cette mère définitivement douloureuse, ont entretenu une sorte de passion agitée et avec ça l’ambiance n’est pas saine. La salle, toutefois, est calme.
Un enjeu
Deux enjeux à ce jugement : la femme chez qui le père des enfants vivait, est-elle responsable d’un défaut de surveillance ? Sur ce point la réponse est acquise : ce jour-là elles étaient trois femmes à porter la charge de 13 enfants, dont « 10 avaient entre 6 et 13 ans » expose la présidente Verger. Pour garder les plus jeunes à l’œil, elles s’étaient installées à leur endroit habituel. Ainsi lorsque 6 des plus grands sont autorisés à aller dans l’eau mais « que les pieds, ou maximum aux genoux » parce qu’ils ne savaient pas nager, les adultes sont à une bonne centaine de mètres et n’ont aucune visibilité sur le groupe.
Deux enjeux
Le second enjeu est celui de la responsabilité de la Ville (à travers son maire, en tant que personne physique) : un seul panneau interdisait la baignade, enseveli sous la végétation. Ce dimanche-là, la police constate « l’absence de vagues et de vent sur le plan d’eau », il faisait beau. La part sombre est revenue aux plongeurs de secours du centre des sapeurs-pompiers, fendant l’eau noire du lac jusqu’à 10 mètres de profondeur, pour ramener sur les berges trois petits corps sans vie. 10 mètres. Ce lac dédié à la pêche est « de notoriété publique », comme ont dit le maire et des adjoints, interdit à la baignade, mais ce qui n’était pas de notoriété publique c’est que si l’on y a pied sur quelques mètres, le fond, vaseux et glissant, s’accentue en saccades et l’on plonge déjà à 3,5 mètres puis rapidement à 5 mètres, puis à 8, puis à 11 mètres. Maître Öztürk le plaidera.
« Pas un seul adulte pour surveiller ceux qui sont dans le lac »
« Un enfant se noie en trois minutes, il ne se débat pas, il ne faut que trois minutes » insiste la présidente Verger. La prévenue se défend d’avoir pu évaluer le danger réel, d’abord parce qu’elle ignorait que le fond se brisait rapidement, parce que les filles n’ayant pas le droit de quitter leurs voiles, n’iraient pas mettre la tête sous l’eau, donc respecteraient les consignes, etc. Reste que « l’activité la plus dangereuse n’a pas été surveillée », observe la présidente dont la remarque est confortée par celles de Patrice Guigon, procureur de la République : 3 adultes pour 13 enfants répartis en trois endroits différents, et « pas un seul adulte pour surveiller ceux qui sont dans le lac ». Pour le procureur la question des panneaux signalant sinon le danger, du moins l’interdiction, n’exonère pas la prévenue de sa responsabilité. Cette semaine-là, la prévenue accueillait les cinq enfants depuis le début de la semaine, pour arranger leur maman (ce qui fait partie des choses possibles, lorsque les gens s’entendent suffisamment pour ça, ndla).
Le maire est absent
« En l’absence de monsieur le Maire » la présidente doit lire les auditions. Cette absence choque. Le maire et les adjoints entendus plus tard se réfèrent à l’arrêté du 28 mai 1999 qui interdit la baignade dans tous les plans d’eaux de la Ville. Une interdiction générale, donc. Que Gilles Platret en tant qu’il est maire de Chalon sur Saône ait estimé pouvoir s’abstenir de venir à la barre, est mal perçu. « Il montre qu’il s’en fiche », entend-on. Maître Saban (barreau de Saint-Etienne) le représente et dit que c’est sur son conseil que Gilles Platret n’est pas venu, « pour la sérénité des débats », insiste l’avocat qui dit « assumer ».
Pendant la pause méridienne, une partie du public reste collée aux portes de la salle d’audience, fermée à clé. Les places sont chères à l’intérieur, on veut y être, on fait le forcing.
« Ils jouaient à faire semblant de se noyer »
On ne peut rendre compte de cette longue audience sans évoquer l’émotion qui étreint à l’évocation de cette scène aussi dramatique que rapide. La présidente propose à la grande sœur de venir à la barre. « Ils jouaient à faire semblant de se noyer » a dit la jeune fille. Ils jouaient, donc, à un drôle de jeu pour des enfants déjà un peu grands, jusqu’au moment où Abd-Allah, 10 ans, et sa sœur Assia, 9 ans, s’agrippent. Leur grand frère, Abd-Arrahme, 13 ans, s’engage dans l’eau pour les sauver. Il périt avec eux. Leur grande sœur culpabilise de vivre encore. « Vous aviez 12 ans, lui rappelle la présidente. Vous n’êtes pas responsable. A 12 ans, on n’est pas là pour faire respecter les consignes. » Quant à ses relations avec son père, « c’est mon géniteur, c’est tout ». Le père, assis pas loin d’elle, a fermé les yeux. « Monsieur a perdu cinq enfants » dira maître Chebbah pour lui.
Dangerosité particulière du lac : « Les enfants ont chuté »
« Le défaut de panneaux est une faute simple, mais le comportement du maire qui a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne peut ignorer » plaide maître Trabal, avocat de la mère des enfants décédés et de leurs deux sœurs. L’avocat estime que le maire a fait preuve d’une « indifférence intolérable à des risques évidents ». Ramazan Öztürk, avocat de la prévenue, le plaide également. « C’est un monstre endormi, ce lac. » Ce lac qui présente une dangerosité particulière du fait de son fond collant qui plonge sans prévenir. « C’est comme ça que les enfants sont morts : ils ont chuté. » Maître Öztürk dit qu’il aurait fallu des panneaux portant « Danger mortel », empêchant toute entrée dans l’eau, « car le danger que présente ce lac excède celui dont les baigneurs doivent habituellement se préserver ». « C’est un lac urbain. En ville, tout est balisé et rien autour de ce lac ultra fréquenté ? »
« Il sera important de revisiter tout ça, après le jugement, pour faire le maximum, pour qu’il ne se reproduise pas ce type d’accident »
Maître Saban leur répond point par point mais s’enlise à vouloir charger la prévenue ce qui semble inutile si vraiment aucune faute ne peut être retenue contre le maire, ce que l’avocat veut démontrer. « C’est un problème de fonction : qui est responsable de quoi ? Vous aurez à trancher une question technique concernant le maire » dit-il au tribunal. Maître Saban se réfère à la loi Fauchon, loi votée en 2000, qui « sort certains faits qui touchent les collectivités locales, du champ pénal ». Partant de là, il n’y aurait aucune responsabilité pénale du maire, mais la question indemnitaire garde tous ses droits, et se règle au tribunal administratif. « Mais il sera important de revisiter tout ça, après le jugement, pour faire le maximum, pour qu’il ne se reproduise pas ce type d’accident » conclut-il. Le point de la dangerosité particulière de ce lac soulevé par maître Trabal et Oztürk reste donc posé.
Le procureur de la République requiert la peine de 3 ans avec sursis
La mère des enfants a depuis les faits, « jeté quelques bouteilles à la mer » selon l’expression de son avocat : des pétitions, des adresses « pour la justice », et pas mal contre la prévenue aussi, appelée « la belle-mère ». Maître Trabal le reprend dans sa plaidoirie de partie civile, glissant l’idée un peu glauque d’une éventuelle « intentionnalité » de la prévenue « qui ressasse sa posture depuis le début de l’instruction ». « J’aurais aimé quelqu’un qui dise : oui, je ne les ai pas surveillés, pardon. » L’avocat conclut : « Nous réclamons une justice sévère pour dire que la protection des enfants est une priorité absolue. »
Patrice Guigon, procureur de la République, dit que « le défaut de surveillance est caractérisé » : « panneau ou pas, il relevait de la responsabilité de l’adulte de surveiller les enfants ». La prévenue encourt 3 ans de prison et 45 000 euros, le procureur requiert la peine de 3 ans avec sursis.
Réhabiliter cette femme victime de ragots, d’horreurs, depuis les faits
« Vous avez le droit, madame, d’en vouloir à Aurélie (la prévenue), vous avez le droit d’en vouloir au maire, à ses adjoints, vous avez le droit de m’en vouloir, d’en vouloir à la terre entière, je respecte votre souffrance. Il ne peut pas en être autrement. » Maître Oztürk ouvre une longue plaidoirie par des mots adressés à la mère des enfants puis entend réhabiliter la part d’humanité de sa cliente qui est attaquée injustement depuis les faits, par des ragots, des rumeurs, des horreurs qu’on voit le plus souvent sur les réseaux qui n’ont plus de sociaux que le nom.
L'expert psychiatre écrit qu'elle est ‘extrêmement culpabilisée’
« Elle avait de l’affection pour eux. Elle avait l’habitude de s’en occuper. Ce n’est pas une femme négligente, elle est nourrice et jamais pendant son contrôle judiciaire on ne lui a interdit de s’occuper d’enfants, c’est bien que personne ne pense qu’elle représente un danger pour eux. L'expert psychiatre écrit qu'elle est ‘extrêmement culpabilisée’. C'est un terrible accident. » Donc, responsabilité civile de la prévenue, ok. Mais responsabilité pénale ?
« De la peine il y en a tellement »
« Est-ce qu'elle sait que le fond est dangereux ? Non. Si un panneau l'avait clairement signalé, est-ce qu'elle aurait laissé les enfants entrer dans l'eau ? Non. » L'avocat parle d’un « concours de circonstances » et que les responsabilités doivent être redistribuées : le maire en tant qu’il ne signale pas le danger mortel du lac, le père qui lui confie les enfants (trop d’enfants), etc. Mais si le tribunal dit qu'elle a une responsabilité pénale, alors il demande une dispense de peine. « 3 ans avec sursis : je ne vois pas le sens de cette peine. De la peine il y en a tellement. La peine de ma cliente, c'est son épreuve. Elle souffre d'une culpabilité envahissante : dans le code pénal, aucune peine ne peut rivaliser avec ça. »
L’audience a démarré à 8h30, il est plus de 17 heures. Dans le fond de la salle, on s’est assis au sol, une femme installée dans un fauteuil somnole. Quoiqu’elle décide, la justice aura pris le temps d’examiner ce dossier issu d’un fait tragique : trois noyades d’été dans un lac artificiel dans lequel décidément il ne faut pas entrer. Délibéré le 12 mai prochain.
FSA
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