Bresse Chalonnaise
Ils s’y sont mis à trois pour donner vie à un livre sur la montagne Johnny, avec une cargaison de temps forts dignes de foi
Par Michel Poiriault
Publié le 05 Juillet 2023 à 15h38
Alors que la veille l’édition 2023 du festival Les Nuits Bressanes cher à la ville de Louhans se sera mise en branle, il en est d’autres qui préfigureront l’ivresse des cinq sens de ce samedi enfiévré 8 juillet. En éclaireurs éclairés, Roger Abriol (seul avec la chemise bleue) et Bernard Schmitt dédicaceront leur livre Johnny Hallyday Private Access dans la commune précitée. Entretien avec Roger Abriol.
Les échanges auront lieu à la librairie-papeterie Forum
L’intemporalité du phénomène Johnny ne saurait péricliter. Les trois hommes de bon aloi (à signaler que seul leur acolyte Jacques Rouveyrollis, partie prenante de la publication sortie en novembre 2022, ne sera pas présent au rendez-vous louhannais) ont placé leur savoir-faire technique sur la cause du rocker durant un sacré bout de temps. Et maintenant c’est le « faire-savoir » qui tient le haut du pavé, noir sur blanc. Les acharnés –et ceux en puissance- auront toute latitude pour en faire le constat, le samedi 8 juillet de 11h à 12h, et de 14h à 15h, voire 15h30 si du monde répond à l’appel. Ceci se déroulera à la librairie-papeterie Forum, logée au n° 56 de la Grande Rue.
Comment est née cette envie de construire un livre à trois rédacteurs ?
«Pour raconter la genèse, ça ne nous trottait pas dans la tête, dans la mesure où on ne voulait pas de son vivant faire quoi que ce soit, par respect déjà pour l’homme, et ce n’était pas d’actualité. On a laissé un peu passer l’orage, après son décès évidemment on a vraiment été très sollicités, et on a toujours refusé de communiquer. L’idée m’est alors arrivée, plutôt que de raconter à d’autres, parce qu’il y avait des velléités en racontant notre histoire que ceux qui nous intervieweraient écriraient quelque chose à notre place en fait, de procéder autrement. Donc on s’est dit : tant qu’à faire, autant le faire nous-mêmes, et vraiment raconter notre histoire avec notre vérité, et notre vécu. Je suis allé voir mes deux collègues, un de vos confrères qui était à L’Est Républicain à Nancy nous avait surnommés un jour « Les Trois Mousquetaires », et j’ai décidé que comme de la musique à plusieurs mains se faisait bien, un concerto pour sonate par exemple, pourquoi ne pas faire la même chose en écriture ? En gros c’était une gageure comme ça. Les copains en question , «Jacquot » (Jacques) Rouveyrollis et Bernard Schmitt ont tout de suite été emballés par l’idée. C’était en 2019, juste l’hiver avant le covid, qui a énormément freiné, non pas notre engouement, mais ça a alimenté notre fainéantise surtout ! Avec Bernard on avait toujours le souci d’être ensemble fréquemment sur les créations, et le fait de ne pas se voir c’était un peu une contrainte, donc ça a démarré très lentement. »
De quelle manière avez-vous procédé pour ne pas vous marcher sur les pieds ?
« Malgré le covid on a fait une petite entorse au règlement, puisqu’on s’est rencontrés Bernard et moi, Jacques étant toujours très, très actif encore au théâtre, alors on a surtout développé le projet, Bernard et moi. Comme on n’avait jamais fait ça, j’ai pensé qu’il serait bien de raisonner par des mots-clés, c’est-à-dire les grands événements, à peu près les chapitres actuels, que l’on trouve dans le bouquin. Evidemment que ça a varié ! Il y a le Stade de France en 98, les cinquante ans, la Tour Eiffel, et ainsi de suite. Certains ont été complètement gommés, car on s’est dit les musiciens non, on peut en faire beaucoup, le personnel technique, oui, mais on inclura comme les musiciens certains noms au fur et à mesure, conseillés en cela par l’éditrice pour certains événements, plutôt que de faire une liste nominative qui ne rimait à rien. C’était plus sympa de retrouver certains de nos collègues, de nos collaborateurs, etc. au sein d’une action, plutôt que d’en faire un chapitre bien spécifique. Ca nous a beaucoup aidés. »
A quel lectorat est-il destiné, et qu’y trouve-t-on ?
«Ca peut paraître comme ça un peu surréaliste, mais on a pensé raconter notre road trip, en fait notre vie avec Johnny. On ne fait pas quarante-deux ans de carrière pour ma part…C’est plus qu’un parcours professionnel, c’est un parcours de vie. On n’a pas pensé au lectorat comme ça, c’est vrai qu’en nous relisant on s’est dit qu’on n’avait pas réfléchi de telle manière, mais que ça allait l’amuser. Nous aussi ça nous a amusés de le vivre, comme certainement tous les gens qui vont se procurer le livre. Comment est fait un spectacle de Johnny Hallyday, par qui, pourquoi, et ainsi de suite, c’est plutôt dans cet esprit-là. »
En termes de longévité aux côtés du Taulier, cela représente quoi pour vous ?
« Il n’y a que Jean-Claude Camus qui a utilisé le terme Taulier. Je ne veux pas créer de polémique, je ne lui reproche pas, j’ai toujours trouvé, et Bernard de la même manière, qu’il y avait ce côté très péjoratif. Même nous, nous ne l’avons jamais appelé comme ça dans les coulisses. C’était : comment ça va le boss ? Les techniciens qui l’approchaient disaient : tiens, voilà le patron, on n’a jamais utilisé le nom de Taulier. C’est une réflexion tout à fait personnelle, on trouvait que ce n’était pas approprié. La longévité, elle est due forcément à cette citation : « On ne change pas une équipe qui gagne », et je pense aussi qu’il y a la confiance. Il me semble que c’est surtout ça. Johnny était un taiseux, une fois qu’on s’était mis d’accord sur la trame du projet, on lui soumettait vraiment des choses assez fournies avec des éléments, même les images virtuelles, on lui faisait carrément un scénario de ce qui pourrait arriver pendant le spectacle, etc. Quand il était emballé, et qu’il avait visionné la maquette, qu’il avait ces arguments-là, il nous laissait totalement carte blanche. Surtout, il ne fallait pas se tromper bien sûr ! Et chose promise….chose due, ça va sans dire ! J’ai commencé le 20 novembre 1974 avec lui, et ça s’est terminé évidemment sur la dernière tournée en mars 2016. »
Quelles étaient vos fonctions respectives, vous les coauteurs ?
« Pour Jacques ça a toujours été la lumière, Bernard a été sollicité pour faire les clips, par Universal tout d’abord, la maison de disques, et Johnny avait adoré le premier clip de Bernard. Il en a fait je ne sais plus combien, et il lui avait dit de le rejoindre sur la tournée. De fil en aiguille, très, très rapidement, il est devenu un peu le coordinateur incontournable de la mise en scène, et il y est resté vingt-sept ans, un truc comme ça. Alors que c’était pour une saison, et un clip au départ ! Johnny lui avait dit qu’il changeait à chaque fois…en réalité il n’a jamais changé ! J’ai été très longtemps, de 1974 à 1991, ingénieur du son pour ses concerts, et ensuite, de 1991-1992, avec surtout l’arrivée de Michel Berger, etc., j’ai été propulsé à la direction de production, parce que déjà on amorçait les Bercy, je cumulais les fonctions, c’était hybride, il n’y avait pas de directeur de production dans le spectacle vivant, ça n’existait que dans le cinéma. Cette appellation a été reconnue par les Anglo-Saxons, mais pas chez nous. En fait je cumulais la direction technique, la régie, la direction de prod’, et le son. Donc bien évidemment, au bout d’un moment, ce n’était pas productif. J’ai opté pour la direction de production, je préférais la mûrir, plutôt que finir ingénieur du son. C’était une réflexion primaire, pour vous dire, j’en ai parfois parlé avec Johnny, j’ai toujours eu un petit pincement, même vingt ans après, de ne pas être aux manettes. Quand on a cette fibre-là, elle ne vous quitte jamais, car si vous choisissez ce genre de profession, c’est que vous avez déjà une certaine fibre, un sens, artistiques, et à l’époque où j’ai commencé, c’était quand même une époque pionnière, on ne peut pas traverser tout ça, évoluer, et mettre tout ça sous le tapis et se dire qu’on n’en parle plus.»
Plus de cinq ans et demi après la disparition de l’Idole des jeunes, quel regard portez-vous sur l’artiste, et sur l’homme ?
« Sur l’homme avant tout, c’est celui qu’on a côtoyé, qu’on raconte dans les livres, dans le livre, c’est ce côté beaucoup plus intime, extrêmement « privilégié ». C’est un artiste hors norme, pour en avoir côtoyé plus d’un, on ne peut pas avoir quarante ou cinquante ans de carrière, j’ai commencé avec Polnareff, sans avoir côtoyé bon nombre d’artistes et de gens. Là, Johnny était un artiste exceptionnel, et un homme exceptionnel. D’ailleurs c’est toujours étonnant qu’il soit reconnu par ses pairs à l’étranger, même si le public à l’étranger n’a jamais vraiment été emballé. C’est peut-être parce qu’il n’y avait pas la volonté professionnelle, même de lui tout simplement, allez savoir, ou des gens de la maison de disques, ou de je ne sais qui, il n’avait pas cette velléité de s’exporter. Très peu d’artistes français d’ailleurs ont eu cette volonté, à part des personnes comme Aznavour, ou des gens plus proches, mais dans un autre registre comme Jarre, etc. qui peuvent devenir des artistes internationaux. On a fait Las Vegas, une mini-tournée américaine. Quand on fait le Beacon Theater à New York on s’adresse à une clientèle franco-française habitant à New York. C’est d’ailleurs pareil à Los Angeles quand on fait l’Orpheum, même s’il y avait quelques étrangers. Ce que je vous disais en substance, c’est vrai que c’est quelqu’un aussi qui a été extrêmement reconnu par ses pairs, c’est-à-dire que ce soit Jagger, Bono…ils ont toujours considéré Johnny comme un très grand artiste, un très grand entertainer, un très grand homme de scène, et surtout un grand chanteur. »
Que devenez-vous ?
« Je ne fais plus grand-chose, honnêtement je n’ai pas très envie de faire professionnellement d’autres choses. Vous savez, quand on a eu une vie aussi intense, je ne me vois pas repartir, et à mon âge en plus, ce ne serait pas crédible. Je me rappelle quand il était encore en train de chanter, lorsqu’il n’était pas en tournée je faisais quelques opérations comme par exemple Robin des Bois avec Matt Pokora. J’en ai fait plusieurs, des comédies musicales, parce que la carrière d’un très grand artiste, il y a à peu près tous les deux-trois ans, ça marche par saison. En touchant à ça je me suis dit qu’avec les chanteurs, les acteurs, la comédie musicale ça ne m’intéresse plus, la moyenne d’âge étant de vingt-deux, vingt trois ans, j’avais l’impression d’être le garde-champêtre, le garde-chiourme ! C’est très excitant artistiquement parce que ça reste dans le travail, c’est une grosse logistique, avec de la créativité. Après, ça peut être discutable, mais ce sont de gros événements, j’ai fait également les gros extérieurs de Jarre jusqu’au passage à l’an 2000, des choses comme ça. Aujourd’hui je suis consultant sur un petit festival, auquel d’ailleurs Johnny avait participé, et j’amène mon expertise, mes relations, mon expérience, je ne m’ennuie pas, et là je vais à un second festival en Ardèche, Aluna, où c’est un peu la même chose. Mais là où je suis plus impliqué c’est dans les Nuits Bressanes à Louhans. »
Justement, vous n’êtes pas étranger à la bonne marche de ces Nuits Bressanes ?
«J’ai connu Dominique Prudent (le responsable en chef de ces Nuits NDLR) parce que j’étais de l’autre côté de la barrière, en tant que directeur de production de la tournée à cette époque. Dominique m’avait appelé un jour, et j’étais enchanté de pouvoir un peu mettre le pied à l’étrier avec cette ambiance très « famille ». J’ai épaulé Emilie, et je le fais toujours (la patronne de la crèche trilingue Hola Kids sise à Branges NDLR), mais je reste dans l’ombre. C’est une petite structure, mais il n’y a rien de péjoratif, tous les artistes, et pour cause : Sardou, Hallyday, Les Insus, Pagny, etc. c’est ambitieux et tout à leur honneur. Les organisateurs ont quand même accueilli des artistes de haut niveau depuis le début : Julien Clerc, Bruel…Alors on n’a pas toujours les gens que l’on veut, parce que le circuit des productions françaises est un peu complexe. Les producteurs parisiens entre autres, sélectionnent, c’est le mauvais côté, mais je trouve qu’on se débrouille très bien et que c’est un festival qui, avec ses moyens, fait de belles choses. Tant que « Drodro » (Dominique Prudent) me fera confiance je serai là doublement là : physiquement et intellectuellement. »
Aimeriez-vous dédicacer votre ouvrage dans le bassin chalonnais ?
« Oui, volontiers si c’était possible pour la région chalonnaise! J’ai une anecdote qui est quand même incroyable. Yarol Poupaud (guitariste et directeur musical de Johnny à partir de 2012 NDLR) me prend le bouquin, et Quinonero (écrivain et biographe) a fait un bouquin qui relate toutes les tournées majeures de Johnny, il y a tellement de choses écrites sur Johnny. Il me dit : « Tu as commencé quand ? » Je lui ai répondu en novembre 1974, je m’en rappellerai toute ma vie. « Et tu as débuté où ? » Au Forest National. Le 20 novembre 2015 ont eu lieu les attentats de Bruxelles, et le 20, ou le 26 mars je rentre dans la loge avant qu’on évacue Johnny de la salle évidemment. Je lui dis : tu te rends compte -il n’aimait pas qu’on parle du passé, mais sur la fin, et c’était quand même un peu bizarre et très bien, il a arrêté cette phobie d’évoquer le passé, il l’acceptait assez volontairement- ça fait aujourd’hui quarante-et-un ans que je travaille pour toi, et tu sais où on était ? A Bruxelles, comme aujourd’hui ! Le concert a été annulé, et il a été reporté en fin de tournée, en mars 2016. Donc j’ai fait le dernier spectacle vivant, au sens large malheureusement, ça faisait déjà là quarante-deux ans. Malheureusement un an après j’ai organisé toute la partie logistique des obsèques…Et puis pour la dernière petite anecdote, je m’étais conditionné à finir avec lui, quoi qu’il fasse, il aurait 80 ans, je vais en avoir 77. Quand j’arrivais en province, les producteurs me disaient : »Ah, tu tournes encore ? » Je rétorquais qu’il chantait bien, lui, pourquoi je ne l’accompagnerais pas ? Je sais encore tenir un crayon, je connais le tableur Excel par cœur, et je connais toute l’équipe pour en avoir vu défiler, etc. Johnny c’est un parcours de vie professionnel. On avait un projet d’ailleurs avec Bernard, qu’on voulait lui soumettre, malheureusement on l’avait repoussé d’un an, et il n’a pas tenu bien sûr. On avait un projet pour les 75 ans…mais bon, c’est comme ça. Je ne regrette rien sincèrement, j’ai l’impression, alors après on pourra paraphraser, faire des métaphores, d’avoir le meilleur combat du chef, car je me suis arrêté au plus mauvais moment.»
Crédit photo : DR Propos recueillis par Michel Poiriault
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