Chalon sur Saône

Thomas Dutronc, Ninine Garcia, Django, la guitare, le jazz manouche…la plus que belle vie en somme !

 Thomas Dutronc, Ninine Garcia, Django, la guitare, le jazz manouche…la plus que belle vie en somme !

Thomas Dutronc et Ninine Garcia, au bras de leur guitare manouche, ont démocratisé cet art avec l'appui du quintet Ninine Garcia, et assuré le succès populaire de la première des deux soirées du 5ème festival Guitare&Guérison porté à bout de bras par l’association chalonnaise Gen&Zic. Juste avant de fasciner la salle Marcel-Sembat ce vendredi 29 septembre, les deux très humbles et approchables artistes ont répondu avec dévotion et une bonne humeur communicatives aux questions d’info-chalon.

Qu’est-ce qui caractérise le jazz manouche, et vous séduit le plus ?

« A la base il y a Django Reinhardt qui fait que ça nous rassemble dans l’amour d’un musicien génial, ce qui fait qu’on est tous déjà très humbles de ce côté-là. Après, je dirai que c’est un jazz qui se partage beaucoup, qui n’est pas très élitiste, et qui joue beaucoup avec le cœur aussi. Ce n’est pas un jazz intellectuel. Si je peux me permettre, il m’a semblé voir que les manouches avaient un goût pour les jolis accords, que n’ont pas forcément les gadjos (pour la communauté tsigane, c’est un homme qui n’est pas l’un des leurs NDLR). Comme on dit, le peuple brésilien aime aussi les beaux accords, ils sont capables de chanter des trucs en public. On va dire que les Français-gadjos, ils ne sont pas très sensibilité brésilienne, et comme j’ai grandi dans la musique, j’ai un peu une sensibilité quand même comme ça. J’ai entendu de jolis accords, je suis un petit peu ouvert à la musique, c’est ce qui nous a réunis ici. »

Comment définir votre formation musicale en d’autres lieux ?

« En ce moment je joue en trio à quatre, c’est le seul trio au monde d’ailleurs où on est quatre ! On jouait à trois, et je me suis dit que ça aurait été bien d’avoir une basse, donc du coup on est quatre. C’est ma blague à toutes les interviews, je dis que même les Américains n’ont pas un trio à quatre. »

Quelles qualités faut-il posséder pour être un propagandiste digne de ce nom ?

« J’ai eu la chance de côtoyer tous les grands du style on va dire. Il y en a beaucoup qui essayent de copier et qui apprennent plein de trucs, moi le premier. Mais on n’arrive pas à la cheville de tous les grands comme Ninine (Garcia), etc. Il y en a quelques-uns, ils ont une personnalité forte, ils font des notes, ce n’est pas bavard, ils font les bonnes notes au bon moment. Il n’y a pas trop de notes, c’est précis, on dirait que c’est écrit à l’avance, c’est la différence entre quelqu’un qui bavarde, et quelqu’un qui dit les choses qu’il faut. Ninine, il a ça, quand il parle, ce sont des phrases justes à la guitare. »

Justement, que représente Ninine pour vous ?

«C’est d’abord un ami, c’est vrai qu’on ne se voit pas assez souvent, ça c’est nul. On a des vies de fous, on ne peut plus circuler, en plus à Paris, je ne sais pas, il y a un truc. Je suis tout le temps crevé en dehors des concerts. Je lui dois beaucoup, il m’a appris tellement de choses. Et puis sa musique je l’aimerai toute ma vie, je l’ai écoutée mille fois. J’ai eu de la chance, il m’a invité à jouer un petit peu avec lui. C’était une chance incroyable, sa musicalité est extraordinaire. Il nous manque à chaque fois qu’on le réécoute, sa musique fait du bien en plus. »

Ninine : »On a une particularité, Thomas et moi, c’est qu’on aime les belles choses. Thomas est très, très sensible, on a une sensibilité similaire, dès que l’on a quelque chose, un bel accord, ou un musicien qui ne joue pas comme les autres, on se regarde, et on se dit : il se passe quelque chose… Je ne fais pas la guerre à ce musicien-là, mais ce que je reproche aujourd’hui c’est que, je ne suis pas contre, mais la technique elle est au service de la musique, et pas le contraire. On peut avoir de la technique, mais exprimer des jolies choses. Django, il faisait trois notes, et on avait envie de pleurer. « 

Thomas : »C’est vrai qu’aujourd’hui il y a beaucoup de technique. Tout le monde copie un peu Biréli, après il y a de super musiciens, c’est agréable, c’est chouette, mais il n’y a pas la personnalité qu’avaient à l’époque Ninine, Tchavolo, Dorado, Stochelo… »

Ninine : »Aujourd’hui, pour être un bon guitariste, Il y en a beaucoup qui sont persuadés que plus ils iront vite et plus ils seront de grands musiciens. La musique, c’est plus que ça. »

Thomas : »Duke Ellington il faisait des solos, juste bim-boum, des accords, et c’est génial ! Il joue pas comme Oscar Peterson, c’est comme si du jour où il y a eu Oscar Peterson tous les pianistes voulaient absolument  jouer comme lui. C’est époustouflant, mais ce n’est pas le but forcément recherché. »

Ninine : »C »est comme Miles Davis, tu as vu, il fait deux notes, c’est magnifique. »

Le jazz manouche a-t-il des limites à sa croissance ?

Ninine : »Je pense qu’un homme de la stature de Django, avec l’univers qu’il a créé, sa façon de jouer, il me semble que ça devrait être connu dans le monde entier. »

Thomas : « C’est d’ailleurs connu dans le monde entier, mais pas assez honoré en France. En France je trouve qu’on n’honore pas assez Django, c’est-à-dire qu’il est connu dans le monde entier comme Louis Armstrong, Duke Ellington…Quand tu dis Django Reinhardt, alors au fin fond de l’Asie, peut-être pas les gens incultes, je n’en sais rien, il va être connu comme Louis Armstrong ou Duke Ellington, et ça veut dire quelque chose. Sauf qu’en France, on ne se rend pas compte qu’on a cette chance, en plus on fait tellement de choses pour la culture, pour les autres, etc. et les manouches et Django, c’est laissé un peu de côté. « 

Ninine : »Je parlais pour le patrimoine, parce que Django n’est plus là. On est des porte-drapeaux, mais juste pour le représenter, pour faire connaître toute la richesse de cette musique, c’est pour ça que ça devrait être dans tous les pays. »

Thomas : « On a des petits bouts, chacun, de Django. Stochelo Rosenberg, par exemple, il tourne pas mal, mais c’est vrai que ce sont des musiques qui devraient être plus connues. »

Ninine : »C’est exagéré, mais des hommes comme ça, il devrait y avoir des stars de cette musique-là, on se dérange pour venir les écouter. Je ne dis pas ça parce qu’il est là, mais c’est Thomas et Sanseverino, et nous on a suivi. »

Thomas : «C’est parce qu’on aimait ça. J’ai aussi la chance de jouer avec Rocky (Gresset), que tu m’as présenté, et qui est super. Je le pousse aussi, j’ai envie qu’il joue, qu’il soit bien lui aussi. Même s’il joue un peu américain et moderne, il a le style, une personnalité, un son, que les autres n’ont pas. »

Ninine : « Oui, parce que, sans être imbu de ma personne, il dégage à travers le jazz américain son son, sa personnalité , ça remonte à la surface. Il interprète avec ses racines. Je eu l’honneur de le connaître, il avait 9 ans, le guitariste Rocky Gresset. Aujourd’hui, c’est carrément un tueur ! »

Le plaisir de jouer est-il davantage présent lorsque l’on est l’élément moteur d’une cause humanitaire, comme ce soir à Chalon ?

Ninine : »Je suis content de faire cette soirée-là, parce qu’il est notamment question du diabète, et que je suis diabétique. Je sais quelle maladie c’est…Des soirées comme celle-ci, ça devrait  être plus souvent. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais c’est une maladie qui est difficile, complexe. »

Vous seriez-vous ne faire que de la chanson française ?

Thomas : »Ca m’arrive d’en faire, j’aime bien les passages instrumentaux, ça fait rêver un peu. C’est agréable de faire ses propres chansons, c’est sympa de jouer ses compos, parce que c’est plus original. C’est bien de varier un peu les plaisirs. »

Ninine : »Je pense, mais il ne veut pas le dire, qu’il a raison de pouvoir faire ce qu’on aime. La chanson française, pour Thomas, c’est une palette différente, mais bon, il a gardé le virus de Django ! »

« Thomas : »C’est tellement beau ! La musique de Django, c’est quand même un don du ciel, un cadeau, il y a quand même quelque chose de ça qui est incroyable. Toutes les musiques ne sont tout de même pas comme ça. On parlait de Tata Yoyo, avec tout le respect que j’ai pour Annie Cordy, que j’aime beaucoup même si elle est morte, ou n’importe quelle musique, Django c’est autre chose. Il y a une grâce, le niveau qu’il avait au sujet de la guitare, ce qu’il a inventé, il est tellement fort, c’est fou ! Ca m’éclate, ça m’explose la tête, ce n’est pas possible de jouer des morceaux rapides comme ça, comme ça swingue, les notes qu’il va chercher…il ne fait jamais deux fois la même note, c’est le plus grand improvisateur de tous les temps ! J’en parlais avec des jazzmen qui ne sont pas du tout Django, qui sont fous de Charlie Parker en particulier, ils m’ont dit : « Django, oui il improvise comme tous les jazzmen, mais on dirait qu’il compose une mélodie à chaque fois, que c’est composé, c’est tellement puissant dans les notes, les mélodies » ! C’est surhumain, c’est une chance d’être sur Terre pour des choses comme ça ! On a le coucher de soleil, la mer, toutes les choses divines de la nature, et parfois le divin va se nicher chez les hommes, comme Django la musique. »

Ninine : »Ce n’est pas la connaissance, c’est ce que Django dégage."

Peut-on parler de moments grandioses à propos des concerts vécus avec votre papa Jacques ?

« Ah oui ! Retrouver tout cet amour des gens pour mon père, se retrouver ensemble, partager une musique, des choses, rigoler avec un super groupe…Il y avait d’ailleurs Rocky Gresset, dont on a parlé tout à l’heure. L’un des plus beaux moments, ça a été «Le gentleman cambrioleur », juste avec lui à la guitare manouche, et on chantait tous les deux. Il faisait des accords au début.  Je peux même dire que pour moi c’était le plus beau, parce que voilà, tout est une histoire d’équilibre évidemment, puisque si tout le concert c’est ça, ça va finir par être fatigant. Ou peut-être pas, avec ces tellement beaux accords. Il y a eu les gros machins rock ‘n’roll, Rocky d’un seul coup fait de beaux accords, une belle mélodie avec «Le gentleman cambrioleur », c’est la seule chanson que mon père n’a pas composée. On a été dans les festivals, il y avait 30.000 personnes, je le regardais, et me demandais ce qu’il allait nous faire…Il improvisait un peu, tous les soirs il faisait des accords différents, c’était magnifique ! Et mon père démarrait tout le temps n’importe où, on était morts de rire, mon père ne comprenait rien ! » 

 

                                                                                     Propos recueillis par Michel Poiriault

                                                                                     [email protected]