TRIBUNAL DE CHALON - Ils "charbonnaient" sur un point de deal aux Près Saint Jean

TRIBUNAL DE CHALON - Ils "charbonnaient" sur un point de deal aux Près Saint Jean

On est entré dans la salle d’audience au moment où le juge demandait : « Quelle est la peine qu’on encourt quand on charbonne au four pendant 3 jours ? … C’est lourd, oui. » Face au tribunal correctionnel ce jeudi 16 novembre, deux hommes.

L’un a 25 ans et un casier déjà conséquent, l’autre a 27 ans et une seule mention pour usage de stups. On leur reproche d’avoir participé a minima à un point de deal de produits stupéfiants, installé « au four », non dans le bassin minier mais rue Edouard Benes à Chalon-sur-Saône. Ce trafic avait fait l’objet d’une enquête, de beaucoup de surveillances, et d’une dizaine d’arrestations en novembre 2022. Ces deux-là sont « des petits ». Ils ont reconnu leur participation (difficilement contestable, par ailleurs, vu le travail d’enquête), ils devaient être jugés selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) mais l’un s’est pointé sans avocat (avocat obligatoire pour cette procédure) et l’autre n’est pas venu : échec de la CRPC, ils sont jugés en audience correctionnelle collégiale.

Quand les juges essaient de les sortir de là, fut-ce en les rattrapant par les cheveux

On est entré dans la salle quand le prévenu de 25 ans expliquait aux juges qu’il consommait toujours un peu de cannabis, mais que la cocaïne, il n’y touche pas, parce que « c’est de la m… ». Un juge assesseur tâche de lui mettre les yeux en face des trous. « C’est curieux cette morale partielle de votre part. Vous ne touchez pas à la cocaïne parce que c’est de la m… , mais vous avez participé pendant trois jours à un trafic qui en vend. Alors, vous vous retenez mais vous charbonnez ? Il faudrait arrêter le cannabis pour être parfaitement logique. C’est un univers dangereux ?
- Oui, oui !
- C’est parce que c’est dangereux pour la santé et pour la violence qui s’y exerce qu’il vaut mieux arrêter. »
Plus tard, ce prévenu tente le « je ne suis plus le même homme », il ne faut pas un quart de seconde à la présidente Verger pour le remettre à sa place : « Des stupéfiants, vous allez l’un et l’autre en acheter, c’est une infraction, donc… »

Le plus âgé a un autre profil. Son avocat prend le temps d’en parler car le procureur avait requis en faisant une moyenne - un casier chargé d’un côté mais trois jours de revente, un casier quasi inexistant de l’autre mais cinq mois de participation – qui lui permettait de demander la même peine pour chacun : 6 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Maître Ndong-Ndong estime que rendre justice c’est aussi prendre en compte l’histoire et la situation de son client.

Un logement à la ZUP où une autre guerre se joue dans certains de ses coins

Le jeune homme est né  sur le territoire de la Tchétchénie, dans un petit village. Il est arrivé en France à l’âge de 14 ans, il n’avait connu que la guerre. Sa mère obtient l’asile. Ils trouvent un logement à la ZUP où une autre guerre se joue. L’avocat décrit une telle violence doublée de cruauté pendant que la mère, assise dans la salle, n’est plus que larmes, qu’on en frémit. Comme disait le juge, « un univers violent », c’est peu dire car ça ne raconte pas l’annexion de l’autre par la force, par le chantage, par l’humiliation, par la souffrance. Les trafics de stups, c’est ça et il ne faut rien en attendre d’autre.

L’accueil du jeune réfugié ne fut pas bon et les blessures apparentes sur son visage et son crâne ne datent pas de la guerre sur son sol natal, voyez-vous. Son avocat évoque d’autres défaillances : politique et éducative.

Politique parce que l’enseignement du FLE depuis la présidence de monsieur Sarkozy est devenue une gageure : l’Etat avait lancé un appel d’offres dans le cadre du Contrat d’Accueil de d’Intégration (CAI, devenu depuis CIR), et attribué le marché à un unique organisme. Quantité d’associations locales, de proximité, avaient alors perdu leurs agréments, malgré l’obligation faite à chaque bénéficiaire d’une autorisation de séjour de suivre un certain nombre d’heures de cours de français. Les braves liront avec intérêt cet article (https://journals.openedition.org/remi/17069) qui permet de comprendre en quoi ce contrat d’accueil ne signifie en rien un accueil inconditionnel, contrairement à ce que des opinions pernicieuses véhiculent, avec toujours un exemple « édifiant » à la clé, qui ne prouve rien du tout.

Sans la moindre chance de réussite, on parvient à l’orienter en CAP…

Cela dit l’ado est scolarisé, à Chalon : collège, lycée, sans parler français, hein. Défaillance éducative : il est orienté en CAP sans la moindre chance de réussite, faute d’être capable de passer les examens théoriques. Reste le volet administratif. On ne peut pas parler de défaillance, c’est un choix politique. « Il n’a pas de passeport, et même si sa mère vit en situation régulière, lui, à sa majorité, ne l’est plus. De ses 18 à ses 25 ans, plus rien. Il n’a pas le droit de travailler. « On ne peut pas l’expulser. On ne le régularise pas. C’est seulement depuis mars 2023 qu’il a pu obtenir un passeport. »

« Je pense que c’est un passager clandestin de ce trafic »

« Dans le quartier, tout le monde touche plus ou moins à cette économie parallèle. Lui, a-t-il le choix ? La période de prévention est longue alors que pas grand-chose le rattache au trafic. Il n’est même pas charbonneur ! Lui, il est là quand le charbonneur prend sa pause, pour dire aux clients de revenir plus tard. Il faisait le coursier pour les autres : cigarettes, Mac Do’, alcool, etc. Il devait rembourser une dette de 150 euros. Sa mère a 5 enfants dont 4 à charge avec des revenus inférieurs à 1000 euros par mois. Lui, il est grand, il ne veut pas demander quoi que ce soit à sa mère dans ces conditions. Il était quasiment en état de nécessité. Je pense que c’est un passager clandestin de ce trafic. Son rôle fut résiduel. Il n’est pas fait de la matière des délinquants » conclut Pierre Ndong-Ndong.

Décisions

Celui dont le casier est chargé est condamné à la peine de 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, obligations de travailler, de se sevrer de la drogue.
Celui qui n’a qu’une seule mention est condamné à la peine de 6 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans qui, au vu de sa situation, pourrait prendre les traits d’une chance à saisir.

FSA