Faits divers
Proxénétisme aggravé et travail dissimulé : 4 ans de prison pour le Givrotin
Par FSA
Publié le 20 Décembre 2023 à 14h27
Un homme âgé de 50 ans a été condamné ce lundi 18 décembre à la peine de 4 ans de prison avec mandat de dépôt à la barre, à 80 000 euros d’amende, à une interdiction de séjour en Saône-et-Loire pendant 5 ans, et voit ses deux immeubles sis à Chalon, sa Rolex, son jet ski, confisqués - entre autres.
Il est 22h35 quand le tribunal rend sa décision, l’escorte de policiers n’est pas encore arrivée. Huit heures et demie d’audience pour un seul dossier. C’est un prévenu chronophage dont les avocates parisiennes lors du renvoi avaient bagarré pour défendre une nullité (lire ici : https://www.info-chalon.com/articles/2023/10/24/84470/tribunal-de-chalon-un-givrotin-devant-le-juge-pour-avoir-fait-travailler-du-monde-au-black-et-aurait-heberge-des-activites-de-prostitution/ ). C’est un prévenu changeant, également puisque ce lundi il arrive à l’audience avec d’autres avocats : une pénaliste, Gesche Le Fur, un fiscaliste, Frédéric Naïm.
Prévenu sous ARSE
L’audience a démarré à 14 heures avec, sans surprise, une troisième demande de renvoi. Maître Nicolle ne peut pas assister la co-prévenue – « Elle me veut, moi » - car il est aux assises. Eh bien la femme du coup n’aura pas d’avocat puisque le tribunal rejette la demande de renvoi, considérant que tout le monde a eu le temps de s’organiser et que si l’un ne s’organise pas ou n’oriente pas sa cliente vers un confrère ou si le prévenu change d’avocats au débotté, c’est l’affaire de chacun.
Le principal prévenu d’abord placé en détention provisoire, a obtenu par recours son assignation à résidence (à Paris, chez sa compagne) sous surveillance électronique (ARSE). Il porte donc un bracelet à la cheville. Il est sorti de prison mais pour un autre titre de détention. La co-prévenue, Nadia X, est sous contrôle judiciaire.
Les faits
L’affaire démarre par un courrier anonyme adressé au commissariat de Chalon-sur-Saône, ainsi qu’à l’URSSAF, à la CAF, à Pôle emploi, etc. Un courrier pris au sérieux tant il est précis. Ce courrier parle de travaux au black (2021, 2022, jusqu’en octobre 2023), de locations à des femmes qui se prostituent (2022 jusqu’au 17 octobre 2023) dont le loyer est perçu en espèces, de femmes de ménage payées de la main à la main.
La police commence par des surveillances des entrées d’immeubles situés au numéros 36 et 38 de la rue Victor Hugo vers la gare. A chaque surveillance on contrôle des hommes qui sont des clients de relations sexuelles tarifées. Deux séries d’écoutes téléphoniques d’un mois chacune, confirment les dénonciations. La BSU de Chalon enquête mais le GIR (groupement interministériel de recherche*) est co-saisi et travaille sur le volet patrimonial du prévenu.
Quatre logements au final sont loués « en direct »
Les appartements sont mis en location sur Airbnb et Booking, sauf quatre d’entre eux qui, au final, seront loués « en direct ». Le studio dit « Victor Hugo » est loué au mois. La prostituée chinoise qui l’occupe en octobre dernier, est entendue. Elle reconnaît le prévenu sur planche photo, dit qu’il est au courant de ce qui se passe.
Nadia X occupe un logement au dernier étage, elle y vivait déjà quand le prévenu a acheté les immeubles et a pu y rester et même, trouver à payer son loyer et gagner sa croûte en assurant la conciergerie, l’intendance et les ménages des appartements à Chalon et à Givry aussi (un immeuble dont les locations servent plutôt aux touristes et gens de passage). Elle est prévenue pour avoir tiré profit, elle aussi, d’une activité illégale.
Un couple unit par l’immobilier, exclusivement
L’instruction démarre, menée par la présidente Milvia Barbut, précise et incisive. Le prévenu est marié depuis 2010. Son épouse et lui ont acheté des biens immobiliers en leurs noms, et ils ont créé une SCI pour gérer d’autres biens, un immeuble à Givry, un à Dijon, deux à Chalon. Ils sont mariés mais ont chacun leur vie, avec d’autres. Madame a demandé le divorce après l’interpellation de monsieur.
Acheter des immeubles, les retaper, les rénover, puis louer, à la nuit. Nadia X voit son volume de travail augmenter, elle s’occupe également de l’immeuble de Givry où elle se rend en bus. Du coup au fil du temps d’autres petites mains la secondent, elle-même finit par être payée 1500 euros, au black, toujours et le prévenu a cette phrase qui sonne étrangement : « Il fallait la récompenser de son travail. »
Sa défense ne tient pas
L’homme se défend mais sa défense est mitée. Il se contredit. D’un côté Nadia était son « capitaine à bord », de l’autre il ne fait « confiance à personne quand il s’agit d’argent ». Ses avocats auront beau plaider qu’en gros cette Nadia l’a « infiltré » en installant « un réseau de professionnelles » rue Victor Hugo, leur version ne tient pas devant ce que le prévenu a lui-même écroulé à la barre. Le tribunal s’adosse à la procédure, et dans la procédure il y a des écoutes, l’exploitation du téléphone portable du prévenu et des auditions de pas mal de gens.
« La chinoise elle gagne 300 à 400 euros par jour »
Exemple. Pourquoi parle-t-il de « tapin » ? « Je ne sais pas, répond l’homme. C’était quoi le contexte ? » La présidente lit : « … Non mais le soir les filles elles ont du monde. Je parle des deux tapins. » Il ne sait plus que bredouiller.
Autre exemple. Un tunisien a acheté un café pas loin et veut lui louer un appartement au mois : « il l’a bien fait à la chinoise ». Alerté, le boss répond : « La chinoise elle gagne 300 à 400 euros par jour. Lui, il pourra pas. » La présidente : « Comment vous le savez, qu’elle gagne 300 à 400 euros par jour ? » Le prévenu : « Moi je ne savais rien de ce qu’elle faisait, mais pour payer 1300 euros par mois, il faut gagner plus que 3000 euros. » Et il écarte les mains en signe d’évidence, sauf que c’est si énorme que ça ne passe pas. D’ailleurs le tribunal le renvoie dans les cordes : « 1300 euros de loyer mensuel pour un studio, à Chalon ? Bien joué ! »
Il bredouille souvent
Le contenu de son téléphone est aussi navrant qu’accablant. Il échange via WhatsApp avec des jeunes femmes. L’une lui écrit qu’elle veut quitter le logement « parce que le travail est très mauvais ». « Monsieur, vous l’appelez ‘chérie’, ‘bébé’. » Flottement. Il bredouille.
Une autre femme va venir avec sa sœur. Il demande une photo de la femme et de la sœur. « Pourquoi vous voulez une photo de ma sœur aussi ? – Pour voir si vous êtes jolies. »
Ce papier peint-là jure avec celui de l’entrée où monsieur vante ses valeurs, son rapport au travail, que nul ne conteste par ailleurs puisque ce n’est pas le sujet.
Des blacks, du black, des « habituées »
« Et quand je dis que je ne veux plus faire de black ? » Cyrielle Girard-Berthet, substitut du procureur, offensive et claire, ne le lâche pas. « Black » ce n’est pas que les revenus dissimulés, c’est aussi qu’il parle en réalité des prostituées africaines. Il en rit légèrement mais la procureur le cite : « ‘Une black qui est déjà venue...’ Vous entretenez la confusion entre au black et une black. Comme vous imposez le terme d’ « habituée » à Nadia X. Vous dites parler ainsi des gens qui viennent souvent alors que Nadia X dit clairement que ça désignait des prostituées. » Maître Le Fur vient au soutien de son client. « On va reprendre les écoutes, c’est pas le problème », enchaîne la procureur qui cite des extraits. Réaction du prévenu : « Ah, mais prostituée vous pouvez le prendre autrement. A Dijon y a des jeunes filles qui viennent et... » Et c’est glauque et c’est comme ça du début à la fin.
Un profil caractérisé (outre les faits)
Le prévenu a tout de l’escroc, du profil des escrocs : il présente super bien, il s’exprime plutôt bien sauf en privé (cf. les écoutes), il a des amis dans la salle, persuadés qu’il « s’est fait piéger », il joue sur les mots, il revendique à tout bout de champ « la valeur travail », il va jusqu’à évoquer son épouse (vies séparées, monsieur a une compagne à Paris), « j’ai vécu avec quelqu’un qui est dans un parti et qui m’a donné des valeurs ». Il fait feu de tout bois mais les éléments de réalité de la procédure l’emportent.
Tiens, pourquoi parle-t-il de « putes » dans ce que les écoutes ont recueilli ?
Le travail de la façade est donc intense mais ne saurait résister à ce qu’opposent les magistrates (que des femmes, ce lundi), siège et parquet confondus. Et, bien qu’il ne désarme pas, « c’est pas mon modèle économique », « j’ai jamais exercé ce métier (proxénète !), « il n’y a que les travail qui paie », « je gagne beaucoup d’argent » - son discours a la consistance d’une guimauve. Tiens, pourquoi parle-t-il de « putes » dans ce que les écoutes ont recueilli ? « Y a des femmes, quand elles se retrouvent seules dans un appart, on dit d’elles que c’est des putes. Du coup c’est pas parce qu’on dit que c’est une pute que c’est une prostituée. » Tssss. Franchement, l’audience a duré plus de huit heures mais les jeux étaient faits avant même les réquisitions.
Gagner plus, toujours
Cyrielle Girard-Berthet, substitut du procureur, s’y colle un peu après 19 heures et pendant une heure. « Il avait ‘une équipe’ qui intervenait pour des travaux dans ses logements, il rémunérait en espèces. Les femmes de ménage : on est systématiquement sur des profils de misère sociale et financière. Il se fiche totalement de la situation de précarité des femmes qu’il faisait travailler. » Sur la relation avec Nadia X : « Plus je gagne, plus tu gagnes », lui a-t-il dit, elle avait donc un intérêt à ce que les locations tournent à plein. « Il y avait une subordination mais il y avait aussi une complicité. »
« A facilité l’implantation de la prostitution »
« C’est un homme d’affaires. Il est impossible, au vu de tous les éléments, qu’il n’ait pas su ce qui se passait : une activité illégale qui rapporte beaucoup d’argent en espèces. Monsieur a facilité l’implantation de la prostitution vers la gare. Il est connu de la justice et fut déjà incarcéré. Plusieurs procédures classées sans suite figurent sur Cassiopée. Il travaille et sa compagne attend un enfant mais ce ne sont pas des totems d’immunité au regard de faits si graves. » La procureur requiert une peine de 5 ans de prison avec mandat de dépôt, une amende de 80 000 euros et la confiscation du numéraire trouvé dans sa voiture (plus de 2000 euros en liquide), des deux immeubles, de la Rolex, etc.
A 21h23, après les plaidoiries de la défense, les prévenus ont la parole :
« Je me suis battu trois ans pour avoir ce bébé » dit monsieur. « Je me suis perdue dans ce dossier, dit Nadia X. Je n’ai fait que répondre aux attentes de monsieur. Je n’ai pas profité, je n’ai pas d’argent. »
C’est ainsi que le tribunal déclare chacun coupable et condamne :
Nadia X à la peine de 30 mois de prison dont 18 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans avec obligation de travailler et interdiction de contact avec monsieur. La partie ferme est aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique. A noter qu’il est vraisemblable qu’elle aura de nouvelles dettes suite à cette histoire pour avoir perçu des indemnités journalières alors qu’elle travaillait au noir.
Raphaël (anciennement Madjid) M. à la peine de 4 ans de prison. Le tribunal décerne mandat de dépôt. Amende de 80 000 euros, interdiction de séjour dans le 71 pendant 5 ans, et des saisies « à titre de valeur proportionnée au préjudice de l’URSSAF » (pas loin de 100 000 euros avec la pénalité pour le travail dissimulé).
« Je ne vous remercie pas pour cette décision » dit l’homme d’une voix forte. Il est fort probable qu’il fera appel. Trois policiers en tenue entrent dans la salle pour l’emmener au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. Il est bientôt 23 heures.
FSA
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