Chalon sur Saône

A Chalon, l’enquête de police met au jour une histoire terrible

A Chalon, l’enquête de police met au jour une histoire terrible

Le SAMU a d’abord écouté son désespoir, le 16 mai dernier, au téléphone. Mais quand l’homme a dit qu’il avait un pistolet chez lui et qu’il pouvait s’en servir contre son ex-épouse, l’appel a basculé vers la police.

L’intervention de la police à son domicile à Saint-Marcel, et surtout l’enquête qui s’ensuivit, ont mis au jour une histoire terrible, vraiment terrible.

Un homme né en 1967 se tient à la barre, ce lundi 5 février. Il doit répondre de détention non autorisée d’armes, de harcèlement de son ex-épouse et de menaces de mort contre elle aussi. Mais l’homme qui se tient à la barre met dans le malaise, il flotte, passe de phrases ancrées dans la réalité à des considérations vaporeuses qui évoquent une forme de délire. 

Un naufrage sous tensions

Le couple a connu 18 ans de vie commune. Il se sépare en 2012. Les époux divorcent en 2013. Depuis cette date, la femme vit dans la crainte de lui. Elle s’en cache, il la harcèle, la menace. Elle protège leurs enfants - devenus majeurs - aussi. Le prévenu se sert d’ailleurs de ce point pour justifier ses appels et messages : c’était pour avoir des nouvelles de ses enfants.
Sauf que. Leur fils aîné dit que son père battait sa mère « tous les jours », le plus souvent avec un balai, que son père battait parfois son frère, plutôt à coups de poing, et le battait lui, avec le balai aussi. Maître Ravat-Sandre rappellera que le prévenu n’est pas poursuivi pour violence, dont acte.

Un harcèlement insupportable 

L’ex-épouse a ouvert un commerce dans une petite commune. Monsieur en appelait la mairie qui témoigne : il parlait de nazisme, de pédophilie, tenait des propos incohérents. Nazisme ? ... « Il a un problème avec la famille de ma mère », dit le fils en audition. La mère de madame était une femme juive-allemande, comme on dit, qui a fui le nazisme, justement. Et qu’est-ce que cela a fabriqué dans la tête de monsieur ?

Insultes et menaces haineuses, pas anodines du tout

Ça a fabriqué des insultes et des menaces, en direction de la principale victime, de type persécutoire, y compris le concernant, lui - mais sur un versant haineux : « je vais te fusiller, t’exterminer », il lui reproche d’être « une juive allemande », il lui envoie une photo d’une arme de facture allemande. 
Il en fit autant contre la grand-mère de ses enfants dont les derniers mots furent : « Sois paisible ma fille, il ne me touchera plus » rapportera la victime. 
On ne voit le prévenu que de dos puisqu’il comparaît librement, mais ce dos paraît soudain concentrer quelque chose de monstrueux, tapi sous des propos débonnaires à la barre comme partout où il passe. 
Que dit l’expert psychiatre ? 

Le prévenu comparaît sous camisole chimique

Eh bien l’expert, en janvier 2023, écrit que monsieur n’a aucun problème « cognitif » comme on dit maintenant, aucune « carence éducative », pas de maladie psychiatrique, rien de tout ça. 
Monsieur souffrirait d’un « déficit de l’adaptabilité » et d’« immaturité ». Tout ou presque est perçu par lui comme « des intrusions dans son intimité », il donne à entendre « des étrangetés », il a « des difficultés relationnelles », il a « un trouble du spectre autistique d’intensité légère ». Bon. Rien sur cette façon meurtrière d’insulter son épouse qui ne saurait avoir le moindre rapport avec des difficultés relationnelles. 
Le prévenu est désormais suivi, reçoit une injection-retard d’Abilify, et une infirmière passe chez lui chaque jour lui donner d’autres médicaments.

La victime témoigne à l’audience de l’angoisse, de la peur, et tombe en pleurs

Placé sous contrôle judiciaire, il voit ce contrôle renforcé par le port d’un BAR (bracelet anti rapprochement) mais le fait souvent sonner, et la victime angoisse à chaque fois puisqu’un agent de Securitas l’appelle pour lui dire de se mettre à l’abri le temps qu’on localise monsieur. 
Lui, tranquille : « j'étais sorti me promener », « je m’étais endormi », « j’oublie de mettre le bracelet, comme j’oublie de prendre mes lunettes ». 
La victime témoigne à l’audience de l’angoisse, de la peur, et tombe en pleurs quand elle évoque une tentative de suicide de l’un de ses fils suite au harcèlement de son père qui l’avait déclaré… mort ! Au point que la sœur du prévenu avait envoyé un message de condoléances à la mère du garçon. « Il a même mis une croix dans sa boîte aux lettres avec son adresse. » 
Voix brisée, à l’image de ce temps brisé, fracturé sans vergogne et sans relâche par cet homme-là, depuis si longtemps. 

La faute à l’alcool, la faute au spectre autistique

La présidente Barbut le confronte à chaque pas de l’instruction à sa responsabilité, sans grand succès. L’homme invoque l’alcool (il en est dépendant) ou encore ses difficultés relationnelles ramassées par le DSM sous l’étiquette « spectre autistique ». 
Il dit carrément qu’il souffre « d’autisme » depuis longtemps, alors qu’il a travaillé comme ambulancier, puis comme aide-soignant, y compris au CHS du coin. 
Le fait est qu’il peut être « dérouté » et en devient déroutant, son avocate le plaidera, mais enfin « vous en parlez comme si ça expliquait vos passages à l’acte », et cependant il n’a jamais rien fait pour prendre ses difficultés en charge, souligne la présidente. Il ose un « si j’avais commencé, mais… » 
De toute façon on ne voit toujours pas le rapport avec les ignominies qu’il a imposées à sa belle-mère et à son épouse, y compris devenue ex-épouse.

« Il faut se méfier de son désespoir apparent, c’est bien plus grave que ça ! »

Maître Bernard intervient pour elle, justement, victime « d’intrusions incessantes », après « un mariage imprégné de violences physiques et morales ». « L’expertise psychiatrique date de janvier 2023, il a eu une obligation de soins, et pourtant, aucune remise en question de la part de monsieur. » Puis : « Il faut se méfier de son désespoir apparent, c’est bien plus grave que ça ! » L’avocate demande « une vraie réponse judiciaire ».

Sur 4 condamnations, 3 infractions visaient déjà madame

C’est que le prévenu fut déjà condamné plusieurs fois. 2013, appels malveillants réitérés. Victime : madame. 2013, rappel à la loi pour des violences. Victime : madame. 2014, conduite sous l’empire de l’alcool. 2015, récidive de CEA, refus d’obtempérer et dégradation d’un bien appartenant à … madame. Dernière condamnation le mois dernier pour des délits routiers.

« C’est monsieur qui fait vivre des choses insupportables à son entourage »

Patrice Guigon, procureur de la République, rappelle ce casier, « ses antécédents judiciaires », dit que les faits sont établis, que l’expert psychiatre relève une certaine dangerosité car monsieur ne reconnaît pas la gravité de ses actes. Et même si le médecin conclut à une altération de son discernement, il n’en est pas moins responsable. 
« C’est monsieur qui fait vivre des choses insupportables à son entourage. » Le procureur requiert une peine de 18 mois de prison dont 12 seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 3 ans, parmi les obligations, celle de porter le BAR pendant cette durée.

« Il ne mélange pas tout, il n’a pas perdu le sens des réalités »

Maître Ravat-Sandre demande au tribunal de « faire la part des choses ». « On ne reproche à monsieur aucune violences conjugales, c’est du harcèlement et des détentions d’armes achetées en salle des ventes sans qu’on trouve la moindre munition chez lui. » L’avocate estime que rien ne vient dire que l’état dépressif de madame ait un lien avec le comportement de monsieur. « Il ne mélange pas tout, il n’a pas perdu le sens des réalités. »

Une peine conséquente et adaptée aux craintes que le prévenu suscite

Peut-être ce dernier a-t-il compté dans la décision du tribunal qui va faire fort : pas de prison pour monsieur, mais un suivi socio-judiciaire (SSJ)* pendant 5 ans, avec 3 ans de prison à la clé s’il ne respectait pas le cadre qui lui sera imposé. C’est une peine conséquente. 
Injonction de soins, obligations de travailler, d’indemniser la partie civile. 
Interdiction de tout contact avec madame et les enfants du couple, interdiction de paraître au domicile de madame, où qu’il soit, ainsi que sur son lieu de travail. 
Interdiction de paraître sur deux communes du département. 
Obligation de porter un bracelet anti-rapprochement (mêmes zones de pré-alerte et d’alerte que pendant son contrôle judiciaire**).
Interdiction de porter ou de détenir une arme pendant 15 ans.

FSA

*Sur le SSJ on peut lire : https://montceau-news.com/faits_divers/741337-justice-lapplication-des-peines-6.html
Et : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/ 
** https://www.info-chalon.com/articles/2023/06/02/80375/tribunal-de-chalon-port-d-un-bar-pour-un-homme-en-attente-de-jugement/