Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Incendies à Simandre : 7 ans de prison et 5 ans de suivi socio-judiciaire pour le coupable, enfant du pays
Par FSA
Publié le 01 Mars 2024 à 08h28
Il a suffi d’un briquet et d’alcoolémies positives à ce pompier volontaire, pour réduire en cendre plusieurs hangars agricoles et deux habitations sur la commune de Simandre entre juin et novembre 2023. L’auteur est jugé ce 29 février à l’audience des comparutions immédiates. La salle est pleine, des gens debout en tapissent le fond.
Sur les 8 incendies qu’on lui reproche, il en reconnaît 7. Il conteste celui qui fut déclenché sur la commune de Baudrières, le 8 novembre dernier.
Le prévenu est un homme âgé de 37 ans. Il souffle lorsque l’escorte l’introduit dans le box : les parties civiles comblent tous les bancs de la partie gauche de la salle. Les autres bancs accueillent des gens de Simandre - c’est qu’on juge un enfant du pays, pas un inconnu de passage -, des pompiers, du public et pas mal de journalistes.
Juste après l’exposé des faits par le président Madignier, l’homme aux yeux cernés déclare : « J’ai reconnu les faits que j’ai commis. Les autres, c’est pas moi. Mais je cherche toujours le pourquoi du comment. J’ai pas de réponses. »
En détention provisoire où il est placé le 10 novembre, il a rencontré un expert-psychiatre dont le rapport dit : pas d’altération du discernement, pas d’abolition, mais des problèmes d’alcoolisme et de pyromanie*. Le médecin préconise une injonction de soins.
Difficile d’imaginer le niveau de souci et de peur qui a habité tout Simandre sur ces quelques mois. Les incendies qui se succèdent sont volontaires, cela ne fait aucun doute. La gendarmerie enquête, et, comme toujours dans l’histoire des incendies en milieu rural, chacun a des soupçons, soit en raison de litiges entre X et Y, soit parce qu’on a vu X ou Y traîner par-là, etc. Un témoin remarque toutefois que Nicolas M. intervient sur tous les incendies mais « n’y fait pas grand-chose », rapporte le président.
« Calvaire pendant des mois », « angoisse »
Le brouillard se dissipe le 9 novembre, lorsqu’un habitant capte des silhouettes avec sa caméra de chasse. Il montre les clichés au maire de Simandre qui pense qu’il peut s’agir soit de X, soit de Nicolas M. On interpelle les deux hommes, on perquisitionne leurs domiciles dans la foulée. Nicolas M. reconnaît spontanément.
La tenaille (« calvaire pendant des mois », « angoisse », « je me suis effondré, on cherchait le pyromane et heureusement qu’on ne l’a pas trouvé, je peux vous le dire ») qui enserrait toute la commune relâche enfin sa vilaine étreinte.
Dans la nuit du 8 au 9 novembre a lieu l’incendie sur la commune de Baudrières, le prévenu dit ne pas en être l’auteur. Son véhicule est au moins passé sur cette commune à l’heure du déclenchement de l’incendie. L’homme maintient qu’il était parti avec l’idée d’en finir avec sa vie, en causant un choc frontal contre un poids lourd (brrrr).
Paroles de victimes
Et les autres ? Hangars, granges, tonnes de fourrage, matériel agricole, complètement détruits, maisons d’habitation, ferme, ravagées par propagation. Pourquoi ? Est-il conscient de ce qu’il a fait vivre aux victimes ?
Certaines d’entre elles viennent à la barre dire un peu ce que ça leur a fait et souligner un point, si cruel :
« Il était là, il m’a vu effondré. Il m’a soutenu, il m’a aidé tous les jours qui ont suivi. Et ça, je n’arrive pas à comprendre » dit son beau-frère, première victime.
« C’était le premier pompier arrivé sur les lieux. Il est venu me questionner sur l’importance des dégâts. Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux ? » dit un autre.
Un ancien raconte : « Il était là, bourré comme une cantine, appuyé sur le camion. A 70 ans, voir ça, c’est une honte. Ma maison, montée de mes propres mains ! »
Un jeune, très ému : « Je me suis retrouvé à fumer une cigarette avec lui. Moi j’aurais jamais cru que c’était lui. »
Un autre : « Mon père a passé sa vie à construire cette ferme, et en une nuit il (le prévenu) a tout détruit. Je n’ai plus aucun souvenir de mon père. Ça fait mal. Il faudra bien qu’il nous donne des réponses, un jour. »
Pyromane ? Le prévenu dit que ce n’était pas contre tel ou tel
Les paroles des victimes soulignent ce fait insensé : un homme, bien connu d’eux et au service de la population depuis 17 ans, a volontairement détruit leurs outils de travail et aussi une partie du produit de leur travail, et non seulement il leur parle, mais il s’intéresse aux dégâts causés, aide son beau-frère efficacement. Qu’est-ce que c’est que cette malignité ?
Car le prévenu n’était en conflit avec personne (hormis sa famille à cause de ses problèmes financiers), n’avait pas de litige à vif, n’avait pas de motif à vouloir éventuellement se venger.
Ce dernier point penche en faveur de la pyromanie* : le seul goût, si l’on peut dire, de jouir d’un feu géant déclenché par une petite flamme sur une botte de foin. L’impulsion est excitée, l’impunité permet la réitération, même si le prévenu savait bien, et le dit, qu’il se ferait prendre. Il a mis le feu sur le territoire où il intervenait en tant que pompier, aux premières loges pour constater les grands effets obtenus avec de tout petits moyens (l’ingestion de quelques verres de whisky et un briquet qui marche).
« J’ai vrillé », « j’ai fait de la m… »
Le prévenu ne lâche pas grand-chose. Pourtant il était pompier volontaire depuis 17 ans, pourtant il savait bien les risques qu’il faisait prendre à des gens dont il dit qu’il ne leur en voulait de rien. Alors pourquoi ? Il ne sait pas.
Il dit juste qu’il a « vrillé » au moment de son divorce. Sa situation matérielle était déjà mauvaise, « des arriérés, des découverts depuis des années », elle s’est aggravée. L’homme dit qu’il ne boit sur un mode criminel que depuis juin dernier, depuis les premiers faits. Il dit qu’il a « fait de la merde », qu’il est dépressif. A l’audience il intrigue, semble très défensif ce qui peut se comprendre mais pour les victimes son attitude ajoute des questions au lieu d’en éliminer.
« Sentiment de trahison de l’institution des sapeurs-pompiers »
Le colonel Frédéric Pignaud est venu en personne à l’audience témoigner du « sentiment de trahison de l’institution des sapeurs-pompiers ». Il a une « pensée pour les sapeurs-pompiers de Loisy, de Tournus, qui ont risqué leur peau ».
Le SDIS71 : c’est à l’auteur des incendies de porter le coût des moyens engagés
Après une pause, le SDIS 71 a la parole en premier. Une parole à charge qui démonte point par point les éléments saillants et répétés mis en avant par le prévenu : alcoolisme récent, dépression, difficultés matérielles majeures. C’est à l’auteur des incendies de porter le coût des moyens engagés, ils s’élèvent à près de 144 000 euros. Et, au titre du préjudice moral, de l’atteinte à l’image et à l’honneur du corps des sapeurs-pompiers, le SDIS71 demande 2 500 euros.
Incompréhension et « des préjudices colossaux »
Les parties civiles se succèdent, puis les avocats de ceux qui se sont faits représenter. Points communs : l’incompréhension de ces faits, les « cinq mois de calvaire » et « des préjudices colossaux ».
Maître Desormeaux, puis maître Ronfard - qui met à mal la version d’une tentative de suicide dans la nuit du 8 au 9 novembre pendant qu’à Baudrières un nouvel incendie causait effroi et ravages. L’avocat demande en conséquence que le prévenu soit condamné pour ce fait qu’il conteste. -, puis maître Duquennoy et enfin maître Dufour racontent souffrances et vies bouleversées.
« Il est hors de question de penser qu’il ne sait pas ce qu’il fait »
Pierre Dufour insiste : pour ses clients, les actes du prévenu étaient prémédités, « et tout est à reconstruire ». « Ce qu’a commis monsieur est lourd de conséquences. » « Avec les connaissances qui sont les siennes, il est hors de question de penser qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Il sait ce qu’il fait. » Le prévenu a parlé d’une montée d’adrénaline en allant mettre un feu, puis d’une descente pénible ensuite. Comme quoi. Les maisons atteintes par propagation : « Nous sommes passés à deux doigts de meurtres. Ces faits ne se ramènent pas à de simples incendies matériels, il savait ce qu’il faisait. »
« Huit dossiers aux préjudices extrêmement importants »
« Monsieur a déclaré : ‘C’est facile, y a qu’à appuyer sur la roulette du briquet’. En effet, c’est facile de ruiner des vies de labeur, des souvenirs de bonheur familial... des pans de vies entiers sont partis en fumée. » Il est plus de 18 heures (c’est le seul dossier de l’après-midi), et c’est l’heure des réquisitions. « Huit dossiers aux préjudices extrêmement importants. La peur s’est répandue à Simandre, une psychose s’instaure. »
Madame Saenz-Cobo, vice-procureur, écarte ce qu’avance le prévenu pour sa défense : pas de préméditation ? « Pour moi ça ne change rien au dossier. » Il ne souhaitait causer que des préjudices matériels ? ... Les hangars agricoles incendiés les 26 et 9 septembre jouxtent des habitations. « C’est un pompier volontaire, il sait mieux que nous qu’un feu, on ne sait pas où ça va s’arrêter. »
6 ans et 5 ans de SSJ requis
La magistrate démonte à son tour la version du prévenu pour la soirée du 8 novembre, le dit coupable du feu incendiaire à Baudrières. « Personne ne s’attendait à ce que ça soit lui, personne ne le suspectait, y compris chez les pompiers. » Pour la procureur, « l’aspect crapuleux n’est pas exclu » (le prévenu a perçu 650 euros pour ses interventions sur les incendies qu’il avait causés volontairement).
Bref, Nicolas M. encourt 10 années d’emprisonnement. La procureur requiert contre lui une peine de 6 ans de prison suivis d’un suivi socio-judiciaire (SSJ) pendant 5 ans (avec 3 ans de prison à la clé en cas de manquements au cadre). Injonction de soins, indemniser, travailler, interdiction de paraître sur les communes de Simandre et de Baudrières et l’interdiction d’exercer comme sapeur-pompier.
Cet homme « sans antécédents judiciaires, qui travaille, qui est au service des autres »
Il est 18h40, maître Andali prend la parole et plaide : - la relaxe pour les faits de Baudrières. Les gendarmes ont écrit : « aucune démarche technique ne permet d’incriminer monsieur ». - une peine mixte (de la prison ferme et de la prison avec sursis probatoire) pour cet homme « sans antécédents judiciaires, qui travaille, qui est au service des autres », cet homme dont « l’expertise psychiatrique a été bâclée car tout ne va pas bien dans sa tête », cet homme qui a du mal à s’exprimer à l’audience, « car c’est compliqué de le faire devant cette salle pleine », cet homme qui vivait « une dégringolade ». « Il savait bien qu’il se ferait prendre un jour ou l’autre. »
« J’ai tout détruit »
Le prévenu a la parole en dernier. « Je suis encore incapable aujourd’hui de dire pourquoi j’ai fait tout ça, mais je vous le dirai un jour. J’ai tout détruit. Mes relations avec ma famille, mes amis, les agriculteurs. » Il pleure, frotte ses mains l’une contre l’autre, nerveux. « Le SDIS, ça fait 20 ans. Comme disait le colonel, la trahison c’est la pire chose que je vous ai faite. Je présente des excuses aussi à mes collègues (beaucoup de pompiers volontaires et professionnels assistent à l’audience, ndla). Et je m’excuse auprès de ma fille qui subit des choses en parallèle. J’espère que les personnes de la commune sauront... », sauront ne pas faire porter à l’enfant le poids des actes de son père.
7 ans de prison puis 5 ans de SSJ
Le tribunal se retire pour délibérer, revient vers 20 heures, déclare le prévenu coupable de tout ce qui lui est reproché et le condamne à la peine de 7 ans de prison avec maintien en détention, et à un suivi socio-judiciaire (SSJ) pendant 5 ans avec 3 ans de prison révocables en tout ou partie en cas de manquements au cadre imposé : suivre des soins (psychiatre et addictologue), indemniser les parties civiles, travailler, et puis interdiction de paraître sur les communes de Simandre et de Baudrières, interdiction de contact avec les victimes. Peines complémentaires : interdiction définitive d’exercer comme pompier ou pompier volontaire, interdiction de porter une arme pendant 5 ans.
Le président lui explique la peine, et ajoute : « Cette peine lourde s’explique par la répétition des incendies. Le tribunal est monté au-dessus des réquisitions du fait que quelque chose laisse craindre une certaine dangerosité par l’inconscience de ces actes. Vous avez été stoppé par des faits totalement indépendants de votre volonté. Vos actes ont eu des conséquences graves pour la commune, et sur les victimes. »
La salle, dont la procureur avait salué le calme, est totalement silencieuse, grave. Le prévenu encaisse comme il peut. Il a dix jours pour faire appel de cette décision s’il le souhaite.
FSA
Le tribunal a statué sur quelques demandes d’indemnités et a renvoyé sur intérêts civils pour les plus importantes.
* https://www.slate.fr/story/105103/incendiaires-pyromanes
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