Le vulgarisateur Bernard Pivot a fait entrer les mots dans la cour des grands en jouant avec eux
Par Michel Poiriault
Publié le 07 Mai 2024 à 09h49
Parti sous d’autres cieux ce lundi 6 mai, Bernard Pivot s’était confié à info-chalon au mois de mars 2018. Nous vous livrons ci-dessous la restitution de ces échanges verbaux.
Popularisé grâce aux émissions télévisées d’antan « Apostrophes », « Bouillon de culture », puis « Championnats d’orthographe », « Double je », l’intervieweur hors pair qu’est Bernard Pivot aux trois 7 d’or, président de l’académie Goncourt depuis 2014 est décédé à l'âge de 89 ans ce lundi. En avril 2018, il s'était posé à la salle Marcel Sembat à Chalon sur Saône dans le cadre d’une théâtralisation. il s'était livé à info-chalon.com. Interview à relire pour l'occasion.
Bernard Pivot à Chalon-sur-Saône, c’est un peu le Beaujolais qui se mettra à la table de la Côte chalonnaise ?
« Oui, mais ce n’est pas la première fois que moi qui ai passé mes vacances dans le Beaujolais je visite la Bourgogne, que la Côte de Nuits, la Côte de Beaune et la Côte chalonnaise ne me sont pas inconnues, loin de là ! Et je me permets de vous rappeler que j’ai même présidé la commission des personnalités qui aidait la Bourgogne à entrer au patrimoine de l’UNESCO. »
Quelle tournure prendra votre intervention ?
« C’est une sorte de pièce avec un texte qui existe en livre (« Au secours ! Les mots m’ont mangé » N.D.L.R.), une comédie sur scène. Ce n’est pas une conférence, mais un spectacle avec une mise en scène. Je suis l’unique comédien qui va de son bureau au pupitre, du pupitre à un comité de lecture de chez Larousse, et qui raconte l’histoire d’un écrivain depuis sa naissance où il regrette de ne pas savoir encore parler, jusqu’à sa comparution devant Dieu où, confondu avec Patrick Modiano, il entrera au paradis. Ca raconte toute son histoire qui passe par l’Ecole normale supérieure, les romans, le prix Goncourt, son passage à « Apostrophes », etc. »
Quels types de public ciblerez-vous ?
« Je ne cible aucun public, je cible tous les publics qui veulent prendre un peu de bon temps et s’amuser. Ce que j’ai découvert avec plaisir, c’est de faire rire les gens. J’ai découvert ça sur le tard, parce qu’il n’y a que cinq ans que je vais sur scène, et c’est un formidable plaisir de savoir qu’à un moment les gens vont rire. Apporter du plaisir à un public de cent, deux cents, trois cents, quatre cents ou cinq cents personnes devant moi, c’est un plaisir que je n’avais pas à la télévision, parce qu’à la télévision quand l’émission est finie vous ne savez pas si les gens sont contents ou pas. Il n’y a pas de lien charnel entre les téléspectateurs et celui qui est en direct dans un studio, tandis que dans un théâtre vous êtes devant le public, vous le voyez, vous l’entendez, il applaudit, il rit. Ce contact charnel est quelque chose que j’ai découvert sur le tard de ma vie, et surtout j’ai découvert le plaisir donc de faire rire les gens. »
Les mots ont-ils la place qu’ils méritent dans la société ?
« Ah, les mots sont très importants, sans eux nous serions de pauvres gens qui ne pourraient pas communiquer les uns avec les autres. Les mots nous sont aussi indispensables que l’oxygène, l’eau ou la nourriture. Ils sont à la fois nos amis, nos compagnons, nos esclaves, nos copains, ils nous suivent partout, ils sont partout dans notre corps, dans notre bouche, dans notre vie, dans notre mémoire, dans notre imagination. On ne peut rien faire sans les mots. Je compare d’ailleurs dans le spectacle les mots à des petites bêtes qui sont toujours prêtes à les utiliser, et en même temps les mots nous submergent de temps en temps et parfois la nuit dans des rêves ou des cauchemars. »
La frontière est-elle ténue entre les faire apprécier à leur juste valeur, et le fait dans le camp d’en face de s’en détourner par manque d’affinités ?
«Mais il y a un bon usage des mots, un usage démocratique, un usage de politesse, un usage amoureux. Avec les mots on peut avoir toutes les formes de liaison imaginables. On peut les haïr, les adorer, s’en servir pour déclencher la guerre, on peut s’en servir pour déclarer son amour, comme je m’en sers pour intéresser et amuser les gens. On peut s’en servir pour des conférences scientifiques, sur le marché pour vendre des fruits et légumes, on s’en sert dans la diplomatie, dans la politique, etc. Les mots, encore une fois, sont à notre disposition, on en fait ce que l’on veut, et tant qu’à faire il vaut mieux s’en servir pour un bon usage pacifique que s’en servir pour déclencher des guerres… »
Comment développer l’appétence pour la lecture, voire l’écriture ?
« L’appétence pour l’écriture, elle existe. Vous savez, je me demande même si à un certain moment il n’y a pas plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent. A mon avis il vaut mieux encourager la lecture que l’écriture. Souvent, quand on aime lire, on est saisi du besoin d’écrire. Alors encourager la lecture, quand on est parent c’est donner le bon exemple, quand on est professeur c’est justement faire aimer les mots, la littérature, les livres. Quand on est journaliste comme moi, eh bien c’est d’essayer d’intéresser les gens en leur proposant des émissions, des articles ou des ouvrages de télévision, et les amener à fréquenter les librairies, et ainsi de suite. Quand on est au pouvoir politique, c’est aussi comme le gouvernement vient de le faire, essayer de faire en sorte que les bibliothèques soient ouvertes plus longtemps qu’actuellement, qu’elles soient ouvertes le dimanche…Il y a mille moyens de favoriser la lecture : les prix littéraires encouragent la lecture, les salons littéraires aussi. Il y a plein de moyens, privés ou publics, qui relèvent du pouvoir politique comme il relève du pouvoir des familles d’encourager la lecture. »
Le mot ne vaut-il pas finalement que par l’idée que l’on en a, autrement dit par son interprétation ?
«Oui et non. Les mots ont un sens, et parfois plusieurs sens. D’où l’intérêt justement d’avoir recours au dictionnaire, j’en ai toujours été un grand utilisateur, et je suis quelqu’un qui préconise toujours de lire les dictionnaires. Les mots ont une orthographe, une apparence, un état-civil, et donc cet état-civil on le retrouve dans les dictionnaires. Alors à partir de là on est poète, romancier, et on peut jouer avec les mots, on fait des mots croisés, on en fait ce que l’on veut, mais au départ ils ont un sens très, très précis et ce sens-là on ne peut pas l’oublier quand on écrit un article ou un livre.»
Quel sera votre prochain ouvrage ?
« C’est un ouvrage que j’ai écrit avec ma seconde fille, qui s’appelle Cécile Pivot, et qui est sorti le 14 mars chez Flammarion. C’est un livre en hommage à la lecture, ça s’intitule : »Lire ! » C’est un ouvrage illustré dans lequel elle raconte ses liens de lectrice amatrice, et moi, mes liens avec les livres de lecteur professionnel. »
Crédit photo : DR
Propos recueillis par Michel Poiriault
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