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TRIBUNAL DE CHALON - Audience stups-douanes : le prévenu accuse son patron

TRIBUNAL DE CHALON - Audience stups-douanes : le prévenu accuse son patron

Dans ce dossier, on parle allemand avec « un accent des Balkans ». L’histoire démarre en Espagne et prend fin à Beaurepaire-en-Bresse. Bienvenue à l’international. Celui du transport routier et celui du trafic de drogues.

Le 19 avril dernier, les services des douanes contrôlent un ensemble routier immatriculé en Allemagne. Le chauffeur arrive d’Espagne et rentre en Allemagne. Il finira à Varennes le Grand, au centre pénitentiaire, en attendant que les laboratoires d’analyses rendent leurs rapports et qu’il soit jugé. Le grand jour est arrivé, c’est ce lundi 27 mai, à l’audience des comparutions immédiates. 

Sous la palette tout au fond à droite de la remorque

La prise est de 32,4 kg d’herbe de cannabis. C’est pas dingue, comme quantité, quoique dans ce milieu on parvienne à tuer pour ça (pour l’argent que ça représente, pour le pouvoir qui pourrait vous échapper puisque s’affranchir du joug des lois écrites c’est vivre dans la jungle de la loi du plus fort, comme on dit). 
La drogue reposait dans des cartons eux-mêmes dissimulés sous la palette placée tout au fond à droite de la remorque (comme la potion magique pendant les jeux olympiques d’Astérix et de sa bande). La remorque était par ailleurs pleine de marchandises alimentaires à l’intention d’une enseigne de hard discount.

Le prévenu se dit innocent et accuse son « patron »

L’audience est hard elle aussi, parce qu’elle est longue, immense. En partie parce que le prévenu, qui se dit innocent, accuse son patron. Voilà qui est inhabituel. Le tribunal a donc un nom, ce qui n’arrive jamais, et puis de toute façon le prénommé Cemal a lui-même téléphoné aux gendarmes, et puis dans la salle un homme assis au quatrième rang, écoute et prend des notes. Ambiance.

L’un des deux, ment, plaidera la défense

Le prévenu est un homme au visage buriné et inquiet. Il a 48 ans, c’est un allemand d’origine turque. Il raconte que son patron avait voulu faire le voyage avec lui jusqu’en Espagne, et devait revenir avec lui, mais qu’en dernière minute, le fameux Cemal avait décidé de rester un peu, prenant « quelques jours de congés » pour faire la fête « avec des amis ». Avant le départ du chauffeur, ils vont dîner au restaurant, mais Cemal s’absente un long moment. Était-ce pour introduire et cacher la drogue dans le camion ?

L’article 392 du code des douanes

Pour les douanes la messe est dite. Vous êtes détenteur d’une marchandise non autorisée ? Alors vous êtes responsable de la fraude, point barre. En conséquence l’agent présent à l’audience demande la condamnation du chauffeur assortie d’une amende de 157 204 euros et la confiscation de l’ensemble routier. 
Pour le parquet la messe est dite également mais essentiellement en vertu de l’article 392 du code des douanes*, et accessoirement en raison du stress important qu’a manifesté le chauffeur au moment du contrôle. Le représentant du ministère public requiert une peine de 3 ans de prison avec maintien en détention et une ITF (interdiction du territoire français) de 10 ans.

« Ce qu’il dit colle parfaitement à tous les éléments qu’il y a dans son téléphone portable »

« Monsieur le procureur, vous ne m’avez pas apporté la preuve que monsieur X savait ce que transportait le camion. » Ramazan Öztürk attaque ainsi une super plaidoirie qui va ranimer les esprits. « Monsieur X ne raconte pas d’histoire ! Il n’a qu’un seul discours et c’est la cinquième fois qu’il le dit, de plus ce qu’il dit colle parfaitement à tous les éléments qu’il y a dans son téléphone portable – dont il a donné tous les codes sans difficulté. C’est pas courant, dans les trafics ! Dans son téléphone, rien de suspect. Cette opération s’est déroulée à son insu, et cela est rendu possible par le lien de subordination qui le lie à Cemal. »

Monsieur X est sous les ordres de Cemal, lequel a chargé la marchandise

L’avocat se fait vif : « Le soi-disant patron, il est où ? On lui a saisi son camion, sa marchandise, son employé est en prison, et il ne se manifeste pas ? Par contre les frères XX (le fameux Cemal et son frère, employé de la société lui aussi) ils sont partout ! Et pourtant, c’est des chauffeurs, soi-disant. Et puis si Cemal était un simple salarié, pourrait-il se permettre de se dire brusquement en congé et rester en Espagne ? Et puis quand on interroge son frère, celui-ci déclare (maître Öztürk lit un PV) : ‘Officiellement c’est YZ’. ‘Officiellement’ ? Pourquoi ‘officiellement’ ? Et officieusement c’est qui ? Monsieur X est sous les ordres de Cemal, lequel a chargé la marchandise. »

Le téléphone de mon client a parlé

« Puis ils vont au restaurant. C’est là le nœud de l’affaire, car forcément il y en a un qui ment. Soit mon client, soit Cemal… or le téléphone de mon client a parlé. » L’historique des appels indique bien, que pendant le temps du dîner, le prévenu « a parlé pendant 9 mn à sa copine », puis à 20h09, appelle Cemal qui ne répond pas, idem à 20h10. A 20h17, puisqu’il est seul à table, « il envoie une photo de son plat à sa copine ». Enfin, à 20h26, « Cemal répond et revient dans le restaurant. »

« Vous savez comme moi que celui qui conduit, c’est pas celui qui commande » 

« Tout va dans le sens des déclarations du prévenu. S’ils étaient complices, alors pourquoi il le balance ? Et Cemal ne reste pas en Espagne bien longtemps ! Non, il rentre juste après son chauffeur ! Les deux frères disent que celui-ci (le chauffeur) a des problèmes économiques, à cause de sa maison, or il n’a pas de problèmes. Ce dossier est un cas particulier, et vous savez comme moi que celui qui conduit, c’est pas celui qui commande. Vous ne pouvez pas affirmer qu’il était au courant. Il y a un doute sérieux. Mais si vous dites ‘on doit le condamner’, je vous demande de mettre fin à sa détention. Il est en prison depuis un mois, il ne voit personne et clame son innocence. »

Relaxe sur le plan pénal mais condamnation sur le plan douanier

Le tribunal déclare le chauffeur routier coupable de détention, transport et importation non autorisée de stupéfiants, le relaxe pour les délits pénaux, le condamne pour les délits douaniers (ce sont les mêmes délits mais pas référés au même code) à la peine de 2 ans avec sursis, à une ITF de 10 ans, à une amende de 157 200 euros, ordonne la confiscation du tracteur et de la remorque.

L’article 392 du code des douanes a encore frappé.

FSA

* https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006616017/