Chalon sur Saône

10 coups de poing, 30 jours d’ITT, « mais il peut avoir un bracelet à partir de quand ? »

10 coups de poing, 30 jours d’ITT, « mais il peut avoir un bracelet à partir de quand ? »

Quand il lui a mis le premier coup, elle dit qu’elle s’est recroquevillée sur l’enfant qu’elle portait et que c’est pour ça que son crâne a tout pris. Elle est à l’audience, ce lundi 3 octobre, et la seule chose qui la taraude c’est de savoir quand il va sortir de prison.

 Non parce qu’elle en a peur, mais parce qu’elle semble avoir besoin de lui. Si la vie était simple, ça se saurait.

Elle lui crache dessus, il perd « le contrôle »

Ça s’est passé en Bresse, dans la soirée du 14 septembre. Soit un couple et deux enfants dont un enfant commun, âgé de 2 ans. Ils reçoivent de la famille, celle de madame, et une amie. Frictions, désaccords, on ne sait mais madame se fâche et invite ses cousins à partir. Ne reste plus que l’amie. Là-dessus une dispute se déclenche entre monsieur et madame. Les cris réveillent le petit. La mère va le trouver, le prend dans ses bras. Le père la suit, elle lui crache dessus, c’est, d’après ce qui est dit à l’audience, la seconde à partir de laquelle il perd « le contrôle ». Il est littéralement hors de lui, lui assène 10 coups de poings. Elle en a le nez cassé, des ecchymoses « en lunettes », des acouphènes permanents pendant 48 heures. Elle a garde « une anxiété majeure avec culpabilité ». Culpabilité ? Sans doute ne faut-il pas jouer avec des allumettes mais c’est une autre histoire car l’auteur des coups est dans le box.

La qualité de son attachement : « C’est ma femme, c’est mon enfant, c’est ma petite famille »

L’homme, brun avec une raie impeccable dans les cheveux, porte un haut de survêtement blanc et noir, et porte aussi bien fort la qualité de son attachement : « C’est ma femme, c’est mon enfant, c’est ma petite famille. » Ah les mots ! On vit bien sous leur gouverne, on devrait y accorder davantage d’attention. Passons. A la charge de l’instabilité du prévenu : cette nuit-là, il a quitté le domicile, est d’abord monté sur le toit, puis a rôdé dans les parages puis s’est réfugié chez sa mère, à Fragnes-la-Loyère (laissant au passage son travail, qu’il aimait pourtant et lui faisait bien gagner sa croûte). Les gendarmes de Bresse l’ont cherché en vain jusqu’au 30 septembre : l’homme était revenu au domicile, pour voir son fils, dit-il. C’est ainsi qu’on l’a arrêté. Il est placé en détention provisoire ce 1er octobre.

« Monsieur, respecter votre fils, c’est respecter l’intégrité de sa mère »

« Le but c’était de voir mon fils, on ne quitte pas sa famille comme ça. Je ne suis pas le plus mauvais des pères. – Monsieur, respecter votre fils, c’est respecter l’intégrité de sa mère. » Il semble en convenir, rapidement. Le tribunal lui demande comment il voit « l’après » de cette vie de couple. « Pour moi, ça reste ma femme, mon fils, ma famille. C’est avec ça que je vis depuis trois ans. »
Les juges entreprennent, à tour de rôle, de sonder le prévenu : si l’autorité judiciaire ordonne une mesure d’éloignement, est-il capable de la respecter ? « J’aurai pas le choix. »

Bouché

Les efforts des juges auront-ils de l’effet ? A ce jour, l’homme reste littéralement bouché par « ma femme », « mon fils ». Un juge assesseur va jusqu’à évoquer le risque statistique que le petit, exposé à la violence, devienne lui-même un jour… Mais le prévenu est bouché donc il est sourd. Le juge aura-t-il au moins semé une graine ? On ne sait jamais. Au procureur qui lui demande « et votre place, elle est où ? », le prévenu répond : « Normalement, j’ai ma place de compagnon et de père, mais après ce que j’ai fait… »

Justice et orthopédie

A son casier, au moins 8 condamnations, de 2013 à 2022, pour des conduites sans permis et sans assurance, pour du petit trafic de stupéfiants, pour un vol, pour violence, pour récidive de conduite sous stupéfiants. Il assure qu’il a arrêté de se droguer, « quand j’ai eu mon fils et pour repasser mon permis et aller travailler ». 
Le tribunal : « Vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous stabiliser et vous insérer, mais tous ces efforts sont anéantis à cause de votre violence. »

On ne sent jamais mieux le travail d’orthopédie de la justice que dans ces jugements pour violence, mais on y sent bien aussi que la fameuse insertion n’est du coup qu’un gage fragile en dépit des efforts de l’institution pour mettre tout le monde au travail et chez le psychologue. 
Cela dit, cette phrase, comme la précédente, peut semer une graine : l’homme est capable mais porte en lui « un truc » qui peut le planter à répétition.

« Je tiens à dire que la violence est des deux côtés »

Et puisqu’on parle de « répétition », écoutons la victime qui offre au tribunal une sincérité qui ébrèche la répartition des rôles à l’audience. « Je tiens à dire que la violence est des deux côtés. Je lui ai craché dessus (alors qu’elle portait son petit, ndla) et après il a perdu le contrôle. Il n’était plus lui-même. (…) Pour la suite, je veux être en paix, qu’il n’y ait plus de violence. » Triste, elle ajoute : « Y a jamais eu de violence sans alcool. » Elle aussi avait bu le soir des coups. La jeune femme voudrait une interdiction de paraître au domicile mais ne veut pas d’interdiction de contact : « Je veux qu’il soit au courant de tout pour mon fils, qu’il ait des photos, etc. »
Un juge assesseur intervient : « Vous dites penser à vos enfants, mais pour que les enfants aillent bien, il faut que les parents aillent bien. » La femme lui répond en plein dans le mille : « Dès les premières fois j’ai eu peur, mais je l’aime quand même. » Elle sourit.

« Toute violence est le non-respect d’une règle morale, d’une règle sociale, et d’une règle pénale »

« Une telle violence n’est pas admissible, dit le procureur. Il faut avoir le courage de déposer plainte. Toute violence est le non-respect d’une règle morale, d’une règle sociale, et d’une règle pénale. » Sur ce dossier : « On a l’impression qu’il voulait détruire sa compagne. » Le magistrat requiert une peine de 2 ans dont 1 an assorti d’un sursis probatoire de 2 ans. Maintien en détention pour la partie ferme et interdiction de tout contact avec les deux victimes (la femme et le petit enfant).

Une telle violence n’est « pas habituelle même si leur relation est toxique et compliquée »

« Les faits sont extrêmement graves. La victime a été d’une grande honnêteté : il y a eu des violences réciproques, violences tues par monsieur. Madame a bien dit qu’une telle perte de contrôle n’est pas habituelle chez monsieur.  Pas habituelle même si leur relation est toxique et compliquée. Madame veut la paix mais tient encore à lui. (…) Il ne faut pas minimiser l’impact de cette violence sur l’enfant. Quant à monsieur, il lui faut quelqu’un qui l’aide à comprendre pourquoi il bascule et se déchaîne. La colère c’est quelque chose de profond. » Maître Richez-Pons plaide pour une peine aménagée.

1 an de prison ferme, puis 2 ans sous main de justice, contacts autorisés s’il c’est pour parler de l’enfant

Le tribunal dit le prévenu coupable, le condamne à la peine requise : 24 mois dont 12 sont assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Maintien en détention pour les 12 mois ferme. Puis obligations de travailler, de suivre des soins psychologiques et en addictologie, payer les droits fixes de procédure. Enfin, interdiction de paraître sur la commune de résidence de madame, et interdiction de contact sauf des contacts par téléphone uniquement et uniquement relatifs à l’enfant (« limités aux droits qui vous seront octroyés par le juge aux affaires familiales » que madame a saisi). 
Le tribunal ordonne le retrait de l’exercice de l’autorité parentale de monsieur sur son enfant. 
Renvoi sur intérêt civil pour évaluer les préjudices de madame (dont la cloison nasale n’est pas encore réparée).

Chacun est bien resté à l’endroit où il se trouvait en arrivant 

Et chaque membre de cet ex (en principe) couple de dire très spontanément là où il en est :
Monsieur : « Donc là, je n’ai plus aucun droit sur mon fils ? » (La présidente lui réexplique – mais ce mot « droit », « droit sur mon fils », alors que la loi, il faut la lire* : c’est davantage de devoirs que de droits)
Madame : « Mais il peut avoir un bracelet à partir de quand ? »

* https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006136194  

FSA