Chalon sur Saône
TRIBUNAL DE CHALON - Prison ferme et interdiction de séjour en Saône et Loire...
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 13 Novembre 2024 à 14h35
Le 16 septembre, elle a bien cru qu’elle y passait. Depuis le temps qu’il la menaçait... Elle a eu si peur que cette fois-ci elle a non seulement déposé plainte mais elle est à l’audience, ce jeudi 12 novembre, dans une ambiance sourde et agitée.
Les deux familles sont là, de part et d'autre de la barre. Un enfant en poussette est gardé en dehors de la salle mais juste derrière la porte, pour entendre ce qui se dit. Les mères se manifestent, celle de la victime n’est pas la plus discrète. La présidente du tribunal contient tout ce petit monde régulièrement mais tout ce petit monde s’en fiche bien, au fond, de cette justice-là.
Le prévenu a 26 ans. Il est né au Kosovo en 1998, il est arrivé en France avec ses parents lorsqu’il avait 5 ans. Il s’exprime très bien. Il a formé couple avec la victime « pendant 12 ans ». Ils ont été mariés « religieusement seulement », puis ils seraient séparés, en tous cas, le sont de corps, depuis environ 3 ans. Il vit à Albi, elle vit à Chalon-sur-Saône, depuis 2022, avec leurs trois filles.
Ce qui ressort de cette affaire c’est une violence continue, et ce qui frappe, c’est qu’on la ressent même pendant l’audience, dans les attitudes et réactions des uns et des autres. En mars 2024, le prévenu a été condamné pour violence sur conjoint ou ex-conjoint. La femme n’avait pas remis le certificat médical à la police, il n’était donc pas dans le dossier : il fixait une ITT de 45 jours.
Romance et réalité, ce couple infernal
Violence à tous les étages, pour obtenir un rapport sexuel, ou se justifiant d’une jalousie, intrusions, surveillances, tout. Elle dit tout ça et répète en même temps : « Moi je l’aime, malgré tout ce qu’il m’a fait ! Je pensais mourir avec lui. » Alors, elle le pensait sur un versant romantique mais, quand le 16 septembre, elle s’est retrouvée à terre dans le hall de l’immeuble, le genou de son mari appuyé sur sa gorge, pendant qu’il la fouillait, cherchant son téléphone à elle, elle a eu peur de mourir, justement, de sa main à lui. Comme quoi, hein.
Le prévenu est jugé pour :
- tentative de soustraction d’enfant par ascendant des mains de la personne chargée de sa garde le 21 août dernier (forçant la fille aînée à monter, seule, dans son véhicule, il échoue parce qu’elle résiste pleure et crie, du coup il se saisit du bébé, fait un tour de parking et revient vers qui hurlait qu’on appelle la police) ;
- vol de téléphone ;
- atteinte à l’intimité de la vie privée (il a placé un traceur dans une chaussure de la femme, « c’est pas mon idée, j’ai vu ça sur Tik-Tok ») ;
- violence avec ITT de 15 jours le 16 septembre, en récidive légale, condamné en mars dernier.
La famille et les menaces de mort
« C’est sûr c’est pas normal », « c’est juste un p’tit truc de jalousie », « on a toujours été ensemble, en fait », etc., le prévenu reste sur un récit personnel embarrassé. La présidente et les juges assesseurs l’obligent à préciser ses dires, ça prend du temps.
La procureur le confronte plus durement, avec un succès plutôt relatif, mais la famille est prévenue au passage que le parquet compte poursuivre les auteurs de menaces de mort adressées à la victime après son dépôt de plainte, et que « s’il lui arrivait quoi que ce soit, on saura vers qui se tourner, la justice ne laissera pas tout cela impuni ».
Le niveau de violence qui court en circuit fermé
L’avertissement situe bien le niveau de violence qui court en circuit fermé dans ces clans. Clans que l’on retrouve aussi dans des familles françaises, bien sûr ! On en a vu en correctionnelle comme aux assises. La seule différence c’est le mode d’expression : dans un cas il est plus discret (et dans les milieux socio-économiques confortables, feutré mais pas moins efficace dans la destruction qui peut conduire aux assises, ndla), dans le cas qui nous occupe, il est affiché, exubérant.
« Ma femme » versus « ma chose »
La présidente : Quand vous placez un Air Tag dans sa chaussure, que voulez-vous faire ?
Le prévenu : Je sais que ça ne se fait pas, ok. Mais oui, c’est un truc de jalousie, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
La présidente, voix métallique : Vous vous rendez compte de la gravité de votre comportement ?
Le prévenu : Oui mais, c’est ma femme, c’est…, c’est…
La présidente l’interrompt : Cela n’implique pas d’être la chose d’autrui.
« Madame est très atteinte, elle se sent en danger constamment »
Après la plainte du 17 septembre, la femme reçoit un TGD, un téléphone grave danger. Elle le déclenche le 9 octobre, elle dit l’avoir vu dans les escaliers. C’est qu’elle est plongée dans une peur permanente avec son cortège de réactions anxieuses. Alors qu’elle est à la barre, elle se met à pleurer, sa mère arrive à pas de loup derrière elle pour lui donner de l’eau, mais la victime se retourne en poussant un cri strident, le visage déformé par la peur. A bout de nerfs. Cela dit le cirque des familles, y compris la sienne on l’a constaté à l’audience, n’a rien pour apaiser, rassurer, reposer. « Madame est très atteinte, elle se sent en danger constamment » écrit le médecin.
« MAIS DE QUEL DROIT ? »
Le 8 octobre, l’homme faisait l’objet d’un mandat de recherche. Il est placé en détention provisoire pile un mois plus tard, le 8 novembre. « Ce sont des violences particulièrement graves, dit la procureur. Tout ça pour un motif dérisoire : prendre le téléphone portable de madame. MAIS DE QUEL DROIT ? C’est insupportable. Il y a l’Air Tag, aussi : c’est un acte prémédité. » La magistrate rappelle tous les faits, sans oublier la pression sur les enfants. « C’est ramener la femme à un objet. » Elle rappelle la condamnation de mars dernier et requiert la peine de 3 ans de prison ferme et une interdiction définitive du territoire français, ou, si le tribunal estime que la situation du prévenu en France est régulière (de fait, elle l’est, ndla), une peine de 4 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire, et retrait de l’autorité parentale.
L’avocat du prévenu plaide « la relaxe »
L’avocat du prévenu (barreau de Toulouse) plaide « la relaxe, ou en tous cas la plus grande prudence » : les violences furent réciproques, les menaces seront sans suite car « il veut tout stopper avec madame », mais « il a reconnu ses enfants, il a le droit de les recevoir », et il n’y a « pas de vol puisque le téléphone a été restitué », « il vérifiait le montant des allocations CAF ».
Le prévenu ajoute : « Ne m’enlevez pas le droit de mes enfants. »
La victime ajoute : « J’ai écouté ce que l’avocat a dit, que les violences ont commencé quand il a été loin de ses enfants mais les violences ont commencé dès le lendemain de notre mariage. »
3 ans et 4 mois de prison ferme, interdiction du département pendant 5 ans
Le tribunal condamne l’homme à la peine de 4 ans de prison dont 1 an est assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de travailler, de suivre des soins en psychologie et en psychiatrie (il semble être déjà suivi par un psychiatre), payer le droit fixe de procédure. Interdiction de contact avec la femme et les trois enfants ainsi que de paraître à leur domicile.
Révocation du sursis de 4 mois prononcé en mars dernier, avec incarcération immédiate.
Maintien en détention pour les 3 ans ferme.
Interdiction de séjour en Saône-et-Loire pendant 5 ans.
Retrait de l’exercice de l’autorité parentale sur les enfants (il pourra éventuellement demander plus tard à voir ses droits rétablis, mais dans l’attente, madame décidera seule pour tout ce qui concerne les petits. « Les faits ont été commis en leur présence. »)
Et la vie reprend ses « droits » ?
C’est ainsi qu’à l’issue d’une audience de plus de 2h30, cet homme encore jeune part en prison, pour 3 ans et 4 mois, à cause d’un « p’tit truc de jalousie ». Sa mère fait illico une crise de nerfs dans le hall du palais. La vie, retenue (plus ou moins bien) pendant le temps du jugement, reprend son cours. Reprendra-t-elle également ses « droits » ?
FSA
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