CÔTE D'OR

Procès en appel pour l’affaire de la fusillade de Beaune

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 19 Novembre 2024 à 07h19

Procès en appel pour l’affaire de la fusillade de Beaune

Ce lundi 18 novembre s’est ouvert le procès en appel d’un des deux hommes déjà condamnés, en septembre 2023, pour une fusillade à Beaune, en juillet 2018. Une cavalcade folle et dix victimes tout ça « à cause d’une carotte » d’un dénommé « C. ».

 A l’époque, Loïc B., 37 ans aujourd’hui, vit à Chevigny Saint Sauveur, avec la mère de sa fille, en attente d’un second enfant. A l’époque il est livreur. Un livreur non déclaré et sans permis de conduire (invalide faute de points). Il a une activité annexe : il achète, dit-il, des voitures, souvent volées, les retape et les revend. Il a donc 4 à 5 voitures sous la main, dont une Audi.

L’accusé a un casier chargé, « un parcours difficile », un mode de vie qui l’est également, du coup. En centre éducatif, l’année de ses 14 ans, il rencontre JP K. Ils vont se recroiser et se perdre de vue plusieurs fois, jusqu’en 2018 où ils se retrouvent.

Mais le voleur est volé

Loïc B. traverse une sale période. Il perd son boulot de livreur, il perd son père si on a bien compris, sa compagne attend un autre enfant, ça lui met une pression très forte, trop. Il consomme une vingtaine de joints par jour, picole plus que de raison. Il est sorti de prison en août 2017, il est en sursis mis à l’épreuve (prononcé en 2015 mais suspendu à chaque incarcération, donc en cours en 2018 – il est suivi par un CPIP et par un JAP*).
Le 29 juillet 2018, sa compagne est à l’hôpital depuis une à deux semaines, sa grossesse nécessite une surveillance médicale. Il a donc la responsabilité de sa fille. Il sort de chez lui, croise son Audi… réalise que C. qui fut hébergé par sa compagne et lui, lui a volé sa caisse.

C’est le début d’une histoire proprement dingo dont plusieurs habitants d’un quartier de Beaune, autour de la rue Marie Noël, vont faire les frais

Le 29 juillet, il décide, avec son pote JP K., d’aller récupérer le véhicule. « On sait que la voiture est sur Beaune. Je l’avais achetée 1000 euros un mois auparavant, il me l’a volée. »
il confie sa fille à une amie, propriétaire d’une Clio bordeaux qui va servir pour la première expédition. Puis avec K., ils vont d’abord à Bligny sur Ouche parce que « C. » est de là-bas. Ils interrogent « des gens ». Ils ont « une petite altercation ». Un mineur « monte avec nous » (fait d’enlèvement et de séquestration qui sera jugé par un tribunal correctionnel – une jeune fille s’était interposée, Loïc B. l’a frappée) Alcool et shit, encore.

A partir de là, les faits tels que la présidente de la Cour les expose :

La police de Beaune est requise le 30 juillet 2018 à 1h25 du matin : un véhicule vient de tenter de percuter des jeunes posés sur des bancs derrière le 1 de la rue Marie Noël. Une Clio « rouge ou bordeaux » est arrivée « à faible allure », longeant le City Stade. Deux personnes à son bord. Un jeune qui va demander ce qu’ils cherchent se fait gazer à la lacrymo.  La Clio percute un banc, manœuvre et tente de percuter des gens, lesquels jettent sur la voiture ce qui leur tombe sous la main. Echange de coups de poing, incultes et menaces à caractère raciste, dont « bandes de bougnoules on va revenir vous calibrer ». Les deux hommes en Clio sont à la recherche d’un nommé « C. » à cause d’un problème de voiture. 

Ils tirent des coups de feu : 7 personnes sont blessées dont 2 grièvement

Mais plus tard dans la nuit, à 4h20, les deux individus reviennent, avec d’autres vêtements, dans une autre voiture, une Mercedes classe II grise. Ils tirent des coups de feu : 7 personnes sont blessées dont 2 grièvement. La police retrouve au sol une bourre de cartouche : elle correspond à un calibre 12 d’une arme de chasse. On relève des traces de pneus dont des traces circulaires comme s’il y avait eu un rodéo. 
Sur les bancs : des impacts de plombs et du sang. Une seconde bourre est trouvée.

L’enquête est confiée à la police de Beaune et à la PJ de Dijon. Les deux scènes ont fait en tout 10 victimes (4 sur la première scène, 7 sur la deuxième, dont une personne victime des deux scènes).

Les enquêteurs rapprochent ces faits avec d’autres :
Le 29 juillet à Bligny sur Ouche, un jeune (mineur) est enlevé par deux individus dans une Clio bordeaux, ils sont à la recherche de « C. », « pour une carotte ».
Le 30 juillet à 4 heures du matin, deux jeunes tombent en panne de scooter et sont accostés par deux hommes en Mercedes. Le conducteur porte un masque Anonymous. Ils cherchent « C. ».
La Clio appartient à une femme qui vit à Dijon. La voiture est régulièrement utilisée par Loïc B. et un ami. 
Le 30 juillet à 7h20 on trouve la Mercedes classe II entièrement calcinée, à Plombières les Dijon. 
Les deux individus sont localisés dans le Var, sont interpellés le 8 août et placés en garde à vue.

Les hommes sont mis en examen puis placés en détention provisoire. Les victimes et des témoins se constituent parties civiles, et des associations aussi. Maison des potes, Fédération nationale des Maisons des potes, la LICRA. 

En septembre 2022, la chambre de l’instruction ordonne la mise en accusation des deux mis en examen devant la cour d’assises, en retenant le caractère raciste des violences volontaires et des tentatives d’assassinat (l’intention homicide est exprimée par le projet de revenir « vous calibrer », et les lésions sont dans des zones vitales). Loïc B. est en état de récidive légale, condamné pour vol avec arme, en 2012, par une cour d’assises.

La Cour d’assises de la Côte d’Or, le 23 septembre 2023, acquitte les deux hommes pour les violences volontaires mais les déclare coupables de tentative d’assassinat en raison de l’appartenance à une prétendue race.  Loïc B. est condamné à 14 ans de réclusion et à 3 ans de SSJ (18 mois de prison au cas où), avec injonction de soins. Un expert psychiatre avait conclu à l’altération de son discernement. 
J.Ph K. est condamné à 12 ans de réclusion. 

K. accepte sa peine ; il se désiste le 12 décembre. Loïc B., lui, interjette appel en décembre 2023. Le parquet interjette à son tour appel pour l’acquittement. 
Résultat : la Cour est saisie en appel pour tous les faits, sauf qu’un seul accusé est dans le box.

Loïc B. encourt la peine de réclusion criminelle à perpétuité

Loïc B. est donc rejugé cette semaine pour avoir tenté, avec préméditation, de donner volontairement la mort à 7 personnes, le commencement d’exécution n’ayant manqué son objet que par la survie des victimes.
Il est jugé également pour le délit connexe de violence volontaire avec menace ou usage d’une arme (une voiture et une bombe lacrymo), en réunion, et en raison d’une appartenance à une prétendue race, en état de récidive légale. (4 victimes, avec des ITT allant de 5 à 7 jours)

Position de l’accusé sur les faits : « Je reconnais ce qui s’est passé, mais tout ce qui est raciste, rien à voir, et je ne suis pas d’accord sur l’intention de tuer. »

La folle cavalcade, scène 2 

La Clio est sérieusement amochée. Les deux hommes retournent sur la région dijonnaise. « Arrivés chez moi, on a continué à boire, on s’est monté la tête comme deux c… . On a décidé de leur faire peur, comme nous on a eu peur. » C’est que son récit de la scène 1 est différent de celui de la mise en accusation. Il décrit un encerclement, une agression « pour en découdre », puis « la panique à bord », et des manœuvres du conducteur pour se dégager et pouvoir s’enfuir.

Ils se montent donc la tête, filent chez l’amie à la Clio pour récupérer le fusil de chasse de Loïc, entreposé avec d’autres affaires à lui dans la cave de l’amie. Il charge son arme. La présidente y revient : « On voit qu’il y a eu une préparation, quelque chose est réfléchi. » Réponse de l’accusé : « C’était tout déjà sur place, on avait tout à portée de main. »

A cause d’une carotte… la scène 2

C’est ainsi que, au volant d’une voiture volée, masque Anonymous sur le visage, vêtements changés, arme chargée aux pieds de K., que les deux hommes prennent l’autoroute pour Beaune… Olivier Bray, avocat général au procès, remarquera que conduire ainsi masqué c’est quand même un bon moyen pour se faire contrôler. « J’y ai pas pensé, j’étais pas en état » dit l’accusé. Au retour, ils n’ont plus d’argent pour payer leur trajet, ils reviendront par la nationale.

Loïc B. refuse toujours de dire à qui il aurait, en fait, donné l’arme. Ce refus a entraîné de vaines recherches, la présidente lui dit qu’il s’est peut-être ainsi privé d’éléments pour sa défense.
« On partait pour faire peur. Je ne suis pas un tueur. Je regrette vraiment, tout le mal que j’ai fait, à tout le monde. Si j'avais été seul, je ne serais pas retourné sur les lieux. »

Trois jours après les faits, les hommes fuient la région dijonnaise puis sont interpellés : « J’étais très fatigué. On m’a mis au SMPR, avec un traitement très lourd. »

Verdict vendredi.

FSA 

*CPIP : conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation
JAP : juge de l’application des peines
** SMPR : unité sanitaire psychiatrique, service de psychiatrie implanté en milieu pénitentiaire