Saône et Loire

"Que sera notre société si nos enfants sont nombreux à être maltraités et en souffrance ?" s'interroge Marie Mercier, sénateur de Saône et Loire

"Que sera notre société si nos enfants sont nombreux à être maltraités et en souffrance ?" s'interroge Marie Mercier, sénateur de Saône et Loire

Invitée par l'UDAF Saône et Loire à s'exprimer le jeudi 5 décembre à Charnay les Mâcon dans le cadre d'une conférence-débat " Enfants et parents face au numérique , Marie Mercier s'est livrée à info-chalon.com sur les questions du rapport des enfants au numérique.

 Vous avez été sollicitée par l’UDAF Saône et Loire, quels sont les conseils que vous donnez aux familles inquiètes face au danger du numérique ? 

Le monde évolue à une vitesse vertigineuse. D'abord, il est important d'avoir conscience des dangers du numérique, qui représente par ailleurs un progrès extraordinaire. Pour protéger ses enfants, il est nécessaire, en tant que parents, de respecter leur droit à l'image. L'association Caméléon a lancé une campagne choc pour alerter sur les milliers de photos de leurs enfants qu'ils postent sur les réseaux sociaux en les exposant aux prédateurs sexuels : c'est un danger invisible mais bien réel.

Les défis de la parentalité numérique sont immenses : il s'agit de savoir accompagner ses enfants, d'établir des règles de bonne utilisation des écrans et de s'y tenir, de les sensibiliser aux risques qu'ils courent. Sans être trop intrusifs, les parents doivent avoir un droit de regard sur les contenus lus et postés. La communication à la maison est essentielle sur ce sujet. Et puis aussi, dès que c'est possible, les parents peuvent proposer des activités familiales, des occupations qui détournent les enfants des écrans. Se promener, dessiner, cuisiner, bricoler, jouer à des jeux de société, il y a tant d'idées pour ne pas s'ennuyer sans écrans.

Comment peut-on protéger les enfants et les adolescents ? Est-ce que cela doit passer par une réponse législative ? 

Le législateur a son rôle à jouer, j'en sais quelque chose. Mais il ne peut agir seul. Il est crucial que la société prenne conscience des dangers qu'elle crée pour nos enfants, des violences que nombre d'entre eux subissent, et qu'une volonté collective, puissante et déterminée, s'élève contre cette réalité. C'est justement ce qui est en train de se passer, pas à pas. L'initiative de l'UDAF de Saône-et-Loire, que je remercie vivement, en est la preuve. Par ailleurs, la parentalité est au cœur du sujet : les parents sont en première ligne et, s'ils doivent être soutenus par l'ensemble de la société, il leur revient d'éduquer leurs enfants, de leur apprendre à gérer les écrans pour leur bien.

 La  pornographie en ligne est accessible en ligne d’un simple clic. Quelles mesures le législateur pourrait envisager pour mettre un terme à cela ? 


Depuis 2017, rapporteur des missions et textes de loi qui s'y réfèrent au Sénat, je lutte contre les violences sexuelles sur mineurs. J'ai fait voter un amendement qui impose le contrôle de l'âge des visiteurs des sites pornographiques gratuits dans la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Ce fut une petite révolution, et depuis un combat incessant pour faire appliquer mon dispositif : l'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel et du numérique, pouvait alors mettre en demeure les sites ne respectant pas la loi, puis saisir le président du Tribunal judiciaire de Paris afin qu’il fasse bloquer les sites incriminés.

Outre que le Gouvernement a attendu 14 mois pour signer le décret d'application de mon amendement, les sites pornographiques ont utilisé tous les moyens juridiques possibles pour s'y opposer. Deux décisions favorables de la Cour de cassation ont malgré tout donné raison à ma démarche, en soulignant que le contrôle de l'âge des visiteurs est « nécessaire, adapté et proportionné à l'objectif poursuivi par le législateur de prévention de l'accès des mineurs aux contenus pornographiques sur internet », et en déclarant possible de contraindre les fournisseurs d’accès à internet à bloquer un site non conforme à la loi, au même titre que les hébergeurs et les sites eux-mêmes. 

Depuis, deux avancées majeures ont été obtenues dans cet interminable feuilleton judiciaire :


 Le 6 mars 2024, le Conseil d’État a écarté les critiques faites à mon amendement et décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour trancher la situation.
En effet, selon la directive sur le commerce électronique de 2000, le principe du « pays d’origine » s’applique au numérique, c’est-à-dire que c’est au pays où l’entreprise a installé son siège que revient le rôle de légiférer. Cette règle s’appuie sur le principe de confiance et de reconnaissance mutuelles entre les États membres de l'UE. J'avance au contraire que les États membres peuvent prendre des mesures afin de garantir chez eux l’ordre public, la protection de la santé publique, la sécurité publique ou la protection des consommateurs. Or préserver les mineurs des sites pornographiques gratuits entre bien dans le champ de la protection de la santé publique et des consommateurs, voire même de l'ordre public. La question posée à la CJUE est donc : n’y a-t-il pas de règle supérieure de droit européen qui permettrait l’application de dispositions visant à la protection des mineurs ? Réponse attendue courant 2025.
En attendant cette décision, pour sanctionner ces plateformes, la France pourrait constituer un recours auprès des pays européens où siègent les entreprises de pornographie et notifier la Commission européenne : pourquoi cela n'est-il toujours pas fait ? C'est ce que je demande au Gouvernement.

Le 17 octobre 2024, la Cour d'appel de Paris a décidé de contraindre les fournisseurs d'accès à internet à empêcher techniquement l’accès à plusieurs sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge des internautes. Sont concernés par cette décision les sites pornographiques extra-européens pour lesquels la juridiction a ordonné le blocage sous 15 jours, « jusqu’à ce que soit démontrée la mise en œuvre par ces derniers d’un contrôle autre que purement déclaratif » pour s’assurer que leurs utilisateurs sont majeurs. C'est une grande victoire pour nos enfants.


Il aura fallu déployer quantité d'énergie pour parvenir à ces avancées, et le combat n'est pas fini. Le rendez-vous organisé par l'UDAF 71 est un signe extrêmement encourageant: plus les responsables, les journalistes, les citoyens auront conscience de la nécessité d'agir pour protéger nos enfants, plus nous aurons de chance d'aboutir. La situation évolue dans le bon sens.

Si on parle du harcèlement, les réseaux sociaux sont une véritable plaie pour un grand nombre d’adolescents. On ne compte plus le nombre d’adolescents qui mettent fin à leurs jours victimes de harcèlement. La justice et la réglementation française sont-elles trop laxistes ? 

J'ai souvent provoqué en disant tout ce qui concerne les mineurs est mineur... Or nos enfants représentent la société de demain. Que sera-t-elle si nos enfants sont nombreux à être maltraités et en souffrance ? Heureusement, les mentalités changent, même si ça ne va pas assez vite à notre goût.
Lorsqu'en février 2023 j'ai déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, cela a fait beaucoup de bruit. Un débat a eu lieu deux mois plus tard dans l'hémicycle du Sénat, puis le Gouvernement a repris ma proposition par décret. Tous les médias se sont alors emparés du sujet. Dans les affaires de harcèlement, il y a d'abord la victime à protéger, à qui il faut éviter la double peine lorsqu'on l'oblige trop souvent à fuir ses harceleurs - comment peut-elle dans ces conditions avoir confiance en la justice et au monde des adultes ? -, mais il est important aussi de porter attention aux petits harceleurs pour éviter la récidive : ils restent des enfants, peut-être en souffrance, avec une inversion des valeurs. La justice ne peut pas tout, la question éducative et de la parentalité se pose. Je crois que c'est tous ensemble que nous parviendrons à renverser la situation.

 

L.G 

L’Union Départementale des Associations Familiales de Saône-et-Loire (UDAF 71) vous invite à participer à une conférence débat

« Enfants et parents face au numérique »

Jeudi 5 décembre de 14h à 16h30

Salle de La Verchère
350 chemin de La Verchère
À Charnay-lès-Mâcon

Entrée gratuite en s’inscrivant à l’adresse suivante :
[email protected]