Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Nous sommes à quelques jours de Noël et voilà pas qu’un coiffeur dominicain qui vit en Espagne prend 2 ans ferme pour transport de drogue.

TRIBUNAL DE CHALON - Nous sommes à quelques jours de Noël et voilà pas qu’un coiffeur dominicain qui vit en Espagne prend 2 ans ferme pour transport de drogue.

 Alors, par « dominicain », entendre « né en République Dominicaine » et non « religieux catholique » quoi qu’il puisse l’être par ailleurs. La présidente ne l’a pas interrogé sur ce point. C’est qu’elle a eu beaucoup à lui demander : l’homme, âgé de 30 ans, avait gardé le silence que ça soit en retenue douanière ou en garde à vue chez les gendarmes de Louhans.

Une mule sur l’aire du poulet

Le 6 décembre dernier, les douaniers ont fait se rabattre une camionnette, sur la tristement célèbre « aire du poulet de Bresse », sur l’A39 dans le sens sud-nord. Aire célèbre non pour ses poulets bressans, pourtant réputés vifs et vigoureux grâce au plein air et qu’on cuisine volontiers en « suprêmes » c’est dire !, mais pour les saisies de drogues qui se succèdent, d’année en année, au point qu’on ne comprend pas que les trafiquants persistent à passer par là mais c’est leur problème.

Enfin, c’est surtout le problème des transporteurs. Celui-ci, voyez, il a montré aux douaniers un document de transport qui attestait de son trajet d’Espagne jusqu’en Allemagne. Sauf que sa camionnette était vide aux trois quarts. Le quart plein c’était que de l’herbe de cannabis. Pour 99,229 kg (chiffre qu’on a cru entendre de la bouche de la présidente) ou 89,229 kg (chiffre du procureur) d’herbe de cannabis.

« Le tribunal a connu des dossiers avec un peu plus d’originalité dans la dissimulation »

Quoi qu’il en soit, ça fait un total de 82 sachets thermosoudés rangés dans 7 cartons « type cartons de déménagement », sans autre forme de procès : les douaniers ouvrent les battants arrière de la camionnette, et tac, direct, ils tombent sur la Marie-Jeanne (marijuana en français, paraît-il). Comme dit la présidente : « Le tribunal a connu des dossiers avec un peu plus d’originalité dans la dissimulation. Mais ça donne moins de travail aux douaniers, on peut s’en réjouir. »

La présidente ne se laisse pas emporter par la poésie de la situation 

Le prévenu n’est même pas chauffeur routier. « Alors comment, de coiffeur, on se retrouve entre l’Espagne et l’Allemagne à conduire un véhicule avec une CMR (le doc de transport) ? » L’homme dit qu’il a connu « des gens marocains » et qu’il n’avait pas de travail à ce moment-là. Il est coiffeur à domicile.

La présidente ne se laisse pas emporter par la poésie du contexte : « Vous n’avez pas eu de contrat de travail, ça ne sentait pas le transport légal, monsieur. Qui a payé l’autoroute, l’essence ? » L’homme répond qu’on lui a donné « 300 euros ». Et sa rému ? « On » lui a dit qu’on verrait plus tard et « il l’a cru, pour lui c’était un copain, quoi » traduit l’interprète. Le prévenu a assisté au chargement ? « Non, non, non. »

« Est-ce que ça ne sent pas très fort le transport illégal ? »

A ce stade, la présidente refait le point : « Donc des gens que vous connaissez par d’autres gens vous proposent de faire un transport transfrontalier contre rémunération mais sans contrat de travail. Ils vous donnent un téléphone. Est-ce que ça ne sent pas très fort le transport illégal ? » Le prévenu ne sent toujours rien.

Il consomme de la drogue ? « Non. » Pourquoi il a refusé de donner les codes de déverrouillage des téléphones ? (le sien et celui fourni par les trafiquants) Il ne se sentait pas bien, il a dit aux douaniers qu’il leur donnerait le lendemain, ou alors il l’a dit aux gendarmes. C’est allé très vite : arrêté le 6, il est présenté au procureur de la République le 7 et placé en détention provisoire. Alors « le lendemain », c’était déjà trop tard.

« Il n’est pas du genre à faire des problèmes »

A part ça il vit en couple avec une femme déjà mère de jumeaux, dont l’un, a-t-il dit à son avocate qui rapporte cet élément au tribunal, est « autiste ». Voilà un fait qui, même s’il était réel, a zéro chance d’atténuer sa responsabilité mais bon. 
Il est venu en Espagne « pour aider sa mère ». Il a une carte de résident, et « il n’est pas du genre à faire des problèmes » – si on excepte la montagne qui s’abat sur lui depuis le 6 décembre. « Il n’a pas pu contacter sa famille, depuis » plaidera son avocate. Si c’est vrai, c’est pas normal, si ?

Amende douanière « au prix de gros »

Bref, le procureur requiert une peine de 3 ans de prison avec maintien en détention évidemment, et puis l’amende que réclament les douanes soit la somme de 432 895 euros, « au prix de gros, sinon c’est 10 euros le gramme ». A 10 euros le gramme, ça doublerait le montant. Pour le procureur, le prévenu « se doutait » bien que quelque chose clochait, au minimum, « la présomption de responsabilité » - selon le code des douanes – s’applique. Il demande aussi une interdiction du territoire français (ITF) de 10 ans, et la confiscation du véhicule, entre autres.

« Il n’a pas de casier et il vivote » plaide maître Chavance. « Savait-il ce qu’il transportait ? Non. Il se doutait qu’il transportait quelque chose de rare, ça aurait pu être des tableaux. Il n’y avait pas de cachette, de trappes, rien. Le téléphone blanc était déjà débloqué. Monsieur n’a aucune attache ici, du sursis simple serait suffisant. »

« Le trafic de drogue est-il un crime ? »

On se permet une toute petite remarque : rien de moins rare que le cannabis ou que n’importe quelle drogue en circulation, et ces 99 ou 89 kilos équivalent à un micron au regard des quantités insensées qui transitent si on en croit les rapports sur le sujet du trafic de produits stupéfiants. C’est même une catastrophe mais c’est aussi une économie, souterraine ça se peut, mais qui pèse, visiblement. 
D’ailleurs, là, à l’instant, en écrivant, on lance une recherche sur internet « le trafic de drogue en France » et parmi les occurrences proposées par le moteur de recherche, celle-ci : « le trafic de drogue est-il un crime ? » Tiens donc, on se renseigne. Eh bien la réponse est non. Le trafic de drogue relève du pénal et non des assises. La peine encourue a une tronche de prix de gros, elle est de 10 ans.

Prendre la mesure et la nature de tout ce dont chaque trafic s’accompagne

Le législateur a imposé une peine complémentaire d’inéligibilité (bonjour pour dire le mot sans savonner) que les politiques contestent quand ça les concerne, un peu comme le cumul des mandats mais on s’égare… Donc, une peine complémentaire pour moraliser un peu la vie publique (l’actualité est éloquente sur ce sujet) mais le trafic de stupéfiants reste bien pépère en correctionnelle. Il faut venir aux audiences, constater les ravages sur les malheureux dépendants, découvrir les méthodes, la violence inouïe (jugée aux assises, elle, le plus souvent) qui préside en ce milieu. Il faut connaître tout ça pour prendre la mesure et la nature de tout ce dont chaque trafic s’accompagne.

2 ans de prison, 10 ans d’ITF et amende douanière

Revenons à ce coiffeur dominicain qui a chuté sur l’aire du poulet de Bresse. Le tribunal le dit « coupable » de détention et de transport de stupéfiants (deux fois : une fois au pénal, une fois sur l’action douanière), le condamne à la peine de 2 ans de prison, ordonne son maintien en détention, ajoute une ITF de 10 ans et l’amende douanière de presque un demi-million d’euros. Le produit restant et la camionnette immatriculée en Allemagne sont confisqués.

FSA