Agglomération chalonnaise

TRIBUNAL DE CHALON - Maltraitances : une mère perd l’autorité parentale sur ses trois enfants

TRIBUNAL DE CHALON - Maltraitances : une mère perd l’autorité parentale sur ses trois enfants

« Vous avez été témoins des violences, monsieur ? - Oui. - Tout vous paraissait normal ? - C’était pas mes enfants, alors... - Quand même, monsieur, des enfants frappés, mordus, ... même si ce n’est pas vos enfants. »

 Dernier dossier à l’audience de comparution immédiate, ce lundi 6 décembre. Un couple est à la barre. Une femme née au Creusot en décembre 1997, et un homme né à Chalon en août 2000. Elle avait déjà deux enfants quand elle l’a rencontré, en janvier 2022. Une fille née en 2018, un garçon né en 2020. Ensemble ils ont une petite fille, elle naît en 2022.

On le dit de suite : la présidente a déployé beaucoup de moyens pour interroger, tour à tour, les prévenus, mais ils sont restés quasi mutiques. Il faut dire que les faits font partie de ceux qui sont sans doute difficiles à reconnaître entièrement... alors, de là à en assumer la responsabilité... 
La présidente a déployé des moyens, les juges assesseurs également, mais face au tribunal, l’homme et la femme, bien habillés, bras bien croisés, opposent une histoire quasi sans paroles, si ce n’est violente.

Signalement de l’école 

La famille venait de quitter sa commune de résidence, cet automne. Le 6 décembre, la nouvelle école fait un signalement. Le petit garçon, 4 ans, s’est ouvert la veille à son institutrice : « X - alias Doudou - est méchant, il me tape. Maman me tape aussi. »
Or, le 6 décembre, le petit lui dit : « C’est de ta faute, maîtresse, maman m’a tapé parce que je lui ai dit que je t’avais parlé de Doudou. » L’institutrice constate des traces rouges sur sa nuque, un bleu dans le bas du dos et sur la clavicule gauche. 
Le soir même, la gendarmerie appelle la mère : elle est convoquée. La procédure est lancée.

« Dégage, je vais te fracasser ! »

Le père des enfants est entendu. Il s’est séparé de la mère en 2020, il dit qu’elle n’était « pas comme ça, avant » mais qu’il avait remarqué que lorsqu’il grondait ses petits, ceux-ci se protégeaient de leurs avant-bras comme si on allait les taper, et puis quand il leur téléphonait il entendait leur mère crier beaucoup sur eux. « Dégage, je vais te fracasser ! » Les enfants ont évoqué des douches froides, et d’être couchés encore mouillés. 

Frappés, mordus, des claques, des coups de cuillère en bois, objets de moqueries

Le petit garçon a dit une fois que « Doudou est méchant et maman a dit que c’est bien fait ». 
Un médecin reçoit les enfants l’un après l’autre, note ce qu’ils lui disent : « Les enfants sont frappés, mordus, reçoivent des claques et des coups de cuillère en bois, ils sont l’objet de moqueries et des interdictions de manger. » Il relève dans les deux cas « une détresse psychologique certaine ».

Parfois « punie de manger »

Et puis les deux « grands » sont entendus par un gendarme formé aux auditions de petits. La petite dit qu’elle est parfois « punie de manger », que quand avec son frère ils se mordent, leur mère les mord aussi, que « Doudou » les tape « avec ses claquettes », et que « Doudou et maman se tapent mutuellement ». 
Ces deux-là vont alors vivre chez leur père. Madame, placée sous contrôle judiciaire comme son compagnon, a une interdiction de contact avec ses deux aînés. La plus petite, fille du prévenu, va vivre chez ses grands-parents paternels, son père l’y rejoindra. 

C’était mal barré, tout ça

La présidente interroge chaque prévenu, longuement, et commence par le couple qu’ils formaient. Il est difficile de tout capter car ils sont peu audibles lorsqu’ils s’expriment. On comprend juste, parce que la présidente insiste sur ce point que « madame a trompé monsieur » et qu’en septembre, « madame a tapé monsieur ». En septembre, le couple se sépare, puis se reforme aux vacances d’octobre. 
Question de la présidente à la femme : « Est-ce que, quand vous vous séparez de monsieur, il y a un lien avec les violences sur les enfants ? » Réponse hésitante : « Hummmm… Non. » 
Synthèse de la présidente : « C’est vous qui le trompez, c’est vous qui le frappez, et c’est vous qui le protégez. »

Tous les éléments qui convergent en faveur de la véracité des dires des petits

Les enfants mentiraient donc sur le comportement de leur beau-père à leur égard ? La présidente reprend tous les éléments qui convergent en faveur de la véracité des dires des petits, maître Bouflija les reprendra lors de son intervention (elle représente le père et ses deux enfants). Véracité et honnêteté car ils ne chargent pas le beau-père, non, ils imputent les principales violences, quotidiennes, à leur mère, et des « calottes » données avec « ses claquettes » de la part du prévenu, « de temps en temps ».

« C’est pour leur montrer que »

La mère se tient dans un discours qui tourne en rond sur « les bêtises » des enfants, leurs disputes, et la nécessité d’intervenir avec violence.  « Tu as mordu ? Je te mords », pour « leur montrer qu’on ne doit pas le faire ». Les coups avec une cuillère en bois ? « C’est parce qu’ils se tapaient avec, c’est pour leur montrer que ça fait mal. » « Les bleus, madame, on les a vus » reprend la présidente. Et les fessées infligées à la dernière-née, âgée alors de 18 mois à deux ans ?

« La place du beau-père » c’est quoi ? « Ne pas s’occuper des enfants » 

Nouvelle synthèse de la présidente : « On a l’impression qu’ils sont de trop, ces enfants. » Sur ce point le prévenu dit avoir toujours été clair : il rencontre, alors qu’il a 22 ans, une femme âgée de 25 ans, mère d’une petite fille et d’un nourrisson, et qui lui annoncera quelques semaines plus tard être enceinte de lui… 
« J’ai dit que je ne veux pas prendre la place père, juste la place du beau-père. » Et « la place du beau-père » c’est quoi, pour lui ? « Ne pas s’occuper des enfants. »

Menaces : « Je vais appeler le père fouettard – ou, la police des enfants – qui va vous emmener »

Ne pas s’en occuper et voir leur mère les maltraiter sans intervenir, ce n’est pas franchement neutre comme position, la procureur y reviendra. En attendant, le tribunal continue de se casser les dents sur cette femme qui n’en démord pas, pour le coup : les enfants étaient « infernaux », quant à leur beau-père, « il ne les a jamais touchés ». 
Entre les couchers sans dîner et les couchers après une douche à l’eau froide, « quand on était en crise » disait la fillette, il y avait les menaces de leur mère : « Je vais appeler le père fouettard – autre version : la police des enfants – qui va vous emmener. » « Ils étaient terrorisés », dit encore la présidente sans obtenir la moindre réaction des deux prévenus.

Un silence oppressant

Une juge assesseur à monsieur : « On a le sentiment, monsieur, que vous ne vous posez aucune question. » Silence. La procureur lit un extrait de l’audition d’un des enfants à qui le gendarme demande : « ça fait mal quand maman elle tape ? Et quand Doudou il tape ? » Réponse : « Oui ça fait très mal. » Du côté des prévenus : silence.

« Madame dit que vous avez mis des fessées à votre fille. – Si elle le dit, c’est peut-être vrai »

Maître Ravat-Sandre intervient pour la plus jeune des enfants. Une administratrice ad-hoc du conseil départemental de Saône-et-Loire est dans la salle. L’avocate lit un extrait de l’audition du prévenu : « Madame dit que vous avez mis des fessées à votre fille. – Si elle le dit, c’est peut-être vrai. Mais c’était juste une tape, une fois. » « C’est très confus » commente Agnès Ravat-Sandre. « Il y a eu des gestes totalement inadaptés sur cette petite fille. »

« Les enfants ont peur de leur mère et ne veulent plus la voir à cette heure »

Maître Sarah Bouflija intervient pour le père des deux grands et les enfants eux-mêmes. « Madame est mère, elle a donc le devoir de protection et de subvenir aux besoins affectifs de ses enfants : il n’y a rien eu de tout ça. » La femme regarde au sol, pendant ce temps. Le prévenu regarde l’avocate. « Madame ne parle que d’elle, de comment elle va ‘se reconstruire’ mais elle ne parle pas des enfants. Or les enfants ont peur de leur mère et ne veulent plus la voir à cette heure. Et, quand on frappe ses enfants, et qu’on les frappe tous les jours, on n’est pas digne de l’autorité parentale. »

« Comment peut-on être aussi indifférent au sort d’autrui ? »

La procureur répète deux fois cette phrase, qu’on peut aussi formuler ainsi sans trahir le sens de son propos : comment peut-on être aussi indifférent à la souffrance d’enfants ? C’est bien le sens de ce que la magistrate développe : « Une telle indifférence quand des enfants sont maltraités sous votre toit, ça inquiète. » De surcroît : « Il ne s’est pas contenté d’indifférence, il a aussi été violent : les « calottes » avec « ses claquettes », c’est lui. »

« Quand la petite fille se plaint à son père, la mère lui dit ‘Ta fille est une menteuse’ »

« Moi je ne vais pas me lancer dans la psychologie. Je ne sais pas comment une mère aimante devient une mère maltraitante. Et quand la petite fille se plaint à son père, la mère lui dit ‘Ta fille est une menteuse’. »
« Ils nous décrivent ces enfants comme des monstres, mais à l’école on les dit très gentils. Des claques, des coups de poing, des coups de cuillère en bois : on y va comme un dresseur de fauves. »
« 18 mois, 4 ans, 6 ans : c’est un dossier de violences. Ils ont assisté à tout cela ! (chaque petit fut témoin des violences sur son frère ou sa sœur, ndla) La sécurité physique et la sécurité psychique sont prioritaires dans les vies des enfants. »

« Protection des enfants »

La procureur requiert la même peine pour chacun, soit 2 ans de prison dont 1 an serait assorti d’un sursis probatoire pendant 2 ans (« Monsieur a démontré qu’un enfant, c’est peu de choses pour lui »), elle demande aussi le retrait de l’autorité parentale de chacun sur ses ou son enfant(s). « Quand on a failli à ce point ! C’est aussi une question de protection des enfants, et qu’ils sachent que ‘la police des enfants’, c’est la gendarmerie, la police nationale et la justice qui les protègent. Ils doivent savoir qu’ils sont en sécurité. »

Une situation au-dessus de ses capacités psychiques, une femme « débordée »

« Madame est débordée psychiquement, plaide maître Chavance. Sa relation avec monsieur est devenue toxique en 2023, il l’insulte, il s’alcoolise pendant des mois. » Et puis, pas de paroles : « C’est une famille où il n’y a pas de dialogue, et madame, débordée psychiquement, ne sait pas demander de l’aide. Elle a grandi dans la violence. Débordée, épuisée, elle a reproduit. Je suis persuadée qu’elle a des regrets mais elle est en proie à sa propre souffrance. » 
L’avocate dit que le retrait de l’autorité parentale de chaque parent sur le nourrisson aurait pour conséquence de faire de lui « une pupille de l’Etat » …

« Immaturité »

Maître Marceau rappelle, lui, que « les châtiments éducatifs » non seulement existaient encore il y a peu, mais sont encore quasiment « institutionnels » en Angleterre… Bon. L’avocat finit par aborder un angle que l’instruction n’a pas balayé (l’audience n’a apporté aucun élément sur les parcours scolaires et de formations professionnelles des prévenus, ndla) : « Ils sont jeunes et ils sont immatures. » 
« C’est un dossier nébuleux. Ces parents ont échoué sur le plan éducatif. Ils n’avaient pas la volonté de leur nuire, ils ont agi en fonction d’intérêts d’autorité. Le retrait de l’autorité parentale serait une violence judiciaire. »

Il est 21h30 quand le tribunal donne sa décision 
Le tribunal dit les prévenus coupables de ce qui leur est reproché.

6 mois ferme et le retrait de l’autorité parentale
La femme est condamnée à la peine de 2 ans de prison dont 18 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans avec exécution provisoire (= les mesures entrent en vigueur immédiatement). Obligations de soins, d’indemniser les victimes (renvoi sur intérêt civil) et interdiction de contact avec monsieur. Le tribunal lui retire l’autorité parentale sur ses trois enfants. 
Elle sera convoquée par un juge de l’application des peines qui regardera s’il y a lieu d’aménager les 6 mois de prison ferme.

« On ne manquera pas de signaler sa situation au juge des enfants »
L’homme est condamné à la peine de 12 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de soins, d’indemniser les victimes, interdiction de tout contact avec madame ainsi qu’avec les deux enfants de 4 et 6 ans. 
Le tribunal ne retire pas l’autorité parentale de monsieur sur sa fille : « On a choisi que cette petite fille garde un parent (selon la filiation, elle garde ses deux parents, ndla)  mais on ne manquera pas de signaler sa situation au juge des enfants afin qu’on s’assure de sa prise en charge effective. »

La présidente regarde la femme : « On espère qu’il y aura une évolution. »

FSA